c’est à travers la reconstruction des maisons détruites pendant la récente crise que l’Ong Nourrir entend faire retourner les musulmans ayant fui les violences à caractère intercommunautaire dans le 5ème arrondissement de Bangui pour se réfugier au Km5 et les chrétiens qui ont quitté Bazanga. Au total, 210 maisons sont en construction. A bâtons rompus avec le Chargé de programme de l’Ong Nourrir, Cnc a abordé les enjeux et les défis de ce programme de retour des déplacés.
Corbeaunews.Centrafrique (CNC) : M. Eric Sépamio, bonjour ! En tant que Chargé de programmes de l’Ong Nourrir, dites-nous quels sont les enjeux du Projet d’appui à la réintégration des retournés et des rapatriés spontanés que vous dirigés présentement dans le 5ème arrondissement de Bangui. M.
Eric Marcelin Sépamio (EMS) : Bonjour, Monsieur le Journaliste ! Je vous remercie tout d’abord pour l’opportunité que vous m’offrez pour parler du projet que nous mettons en œuvre en ce moment dans le 5ème arrondissement de Bangui et qui fait l’objet de curiosité et de questionnements chez nos compatriotes. Répondant à votre question, Nourrir est une organisation non gouvernementale nationale, créée en 2005. Elle vise trois objectifs déclinés en domaines d’actions, à savoir (1) le Développement local ; (2) l’Assistance humanitaire et ; (3) l’Ingénierie sociale. Aujourd’hui, Nourrir intervient dans au moins deux préfectures de la RCA sur plusieurs programmes, sans compter les programmes que nous avons déjà terminés. Nous travaillons présentement sur le redéploiement de l’administration publique dans la Ouaka qui consiste à construire ou à réhabiliter les bâtiments administratifs, doter les Préfets de véhicules et de motocyclettes, renforcer la capacité des cadres et agents de l’Etat dans différents domaines et, fournir des bureaux, des mobiliers pour le retour de l’autorité de l’Etat. Notre zone d’intervention dans la Ouaka couvre ses cinq Sous-préfectures, à savoir Bambari, Kouango, Grimari, Ippy et Bakala. Dans la Mambéré Kadéi, nous intervenons à Berberati, Gamboula, Carnot et Gazi. Dans la Sangha Mbaéré, nous sommes à Nola, Bayanga et Bambio. Enfin dans la Lobaye, nous œuvrons à Boganda et Boganangone. En plus, nous réalisons, en ce moment, le Projet d’appui à la réintégration des retournés spontanés dans la ville de Bangui, précisément dans la 5ème Arrondissement. Je voudrais noter ici qu’à Bambari, nous menons, en consortium avec l’Ong internationale Triangle, le projet d’hygiène et assainissement (Wash). Ce projet consiste à donner de l’eau potable à la population et assurer l’assainissement. Toujours à Bambari, nous menons un programme de Sécurité alimentaire dans le cadre du Projet d’appui aux organisations de base porteuses d’initiatives agricoles dans la zone périurbaine de Bambari.
CNC : Parlant du Projet d’appui à la réintégration des retournés et des rapatriés spontanés dans le 5ème arrondissement de la ville de Bangui, quels sont les enjeux véritables de ce projet ?
EMS : Tout comme nous, vous savez que du fait de la crise que notre pays a connue, beaucoup de nos compatriotes ont quitté leurs domiciles. Il y en a qui se sont retrouvés sur les sites de fortune qu’on appelle péjorativement ‘’ledger’’, d’autres ont carrément quitté le pays. Avec le retour progressif de la paix, il aura bien fallu mener des actions pour ramener les gens. Le gouvernement centrafricain a lancé une vaste opération de fermeture des sites de fortune, afin que ces sites reprennent leurs activités. Or, il s’avère qu’en partant, leurs maisons ont été brûlées, vandalisées, voire complètement détruites. Dans ce cas, ils vont retourner pour dormir où ? C’est ainsi que nous avons réfléchi, en partenariat avec le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) de mettre en place ce projet, afin d’appuyer ceux qui veulent réellement retourner dans leurs quartiers. Ce projet leur permet d’avoir des abris là où ils pourront retourner pour dormir.
CNC : Pourquoi alors choisir particulièrement le 5ème arrondissement de Bangui ?
EMS : La situation géographique et démographique de cet arrondissement, ainsi que l’ampleur de l’impact de la crise en termes de destruction de maisons expliquent largement notre choix. Car, vous savez que le 5ème arrondissement est le plus balaise à Bangui, la plupart des déplacés de Bangui fait partie de cet arrondissement qui fait frontière directe avec le 3ème arrondissement où il y avait eu l’extrême violence. Même dans le 5ème arrondissement, ce sont quatre (04) quartiers que nous avons ciblés, à savoir Bazanga et Edville qui font frontière directe avec le 3ème arrondissement, Ngouciment 2 et Banga 1.
CNC : Croyez-vous que seule la construction d’abris permettra le retour des déplacés, étant donné les causes complexes de leur fuite ?
EMS : Je tiens à souligner ici que ce projet comporte trois volets dont le premier est celui de la Construction d’abris. Un total de 210 abris ont été répertoriés pour être reconstruits, réparti comme suit : 133 maisons au quartier Bazanga, 45 maisons à Edville, 15 à Ngouciment et 17 maisons à Banga. Cette répartition se justifie par le fait que pendant la crise, il y a eu des destructions tant du côté des musulmans que du côté des chrétiens. A Banga et à Ngouciment, voire dans une partie de Edville par exemple, ce sont quasiment 100% des maisons des musulmans qui ont été détruites ; par contre, aux quartiers Bazanga ce sont presque 100% des maisons des chrétiens qui ont été détrites. C’est pourquoi le projet vise à appuyer ces deux communautés, afin de retourner dans leurs quartiers respectifs. Le deuxième volet concerne la cohésion sociale. A ce niveau, il est question de préparer le terrain, parce que les gens qui étaient partis ne l’étaient pas pour rien. Il y a eu des problèmes. Il y en a qui ont eu des altercations avec d’autres, soit que leurs enfants aient été impliqués dans les groupes de milices, de part et d’autre… Donc, il aura fallu mener des actions de cohésion sociale, notamment des campagnes de sensibilisation auprès de la population, de faire des plaidoyers auprès de cette population au niveau des deux communautés, tant chrétienne que musulmane afin de revenir au vivre ensemble. Puisque cela fait plus de cinquante ans que nous vivons ensemble, il n’y a jamais eu de tel problème. Pourquoi seulement maintenant que cette déchirure va-t-elle s’opérer ? Il est donc nécessaire que nous nous mettons ensemble pour discuter du problème et d’entrevoir ensemble, les solutions. Je souligne que la base de tout ce que nous faisons, c’est la cohésion sociale, sinon même les abris construits seront tous détruits en cas de résurgence de la crise. Le troisième volet vise l’appui à la réhabilitation des infrastructures communautaires. La crise n’a pas épargné ces infrastructures, à l’image du Centre d’écoute et l’école maternelle du 5ème arrondissement qui ont été vandalisés. Aujourd’hui, c’est une activité que nous avons déjà réalisée à 100%.
CNC : A ce jour, quel est l’état de mise en œuvre de ce projet, notamment en ce qui concerne les trois volets dont vous avez fait allusion ?
EMS : Initialement, le projet devrait prendre fin en décembre 2017. Mais, puisque nous avons démarré le projet en retard, en juillet 2017 au lieu de janvier, nous avons fait un prolongement d’un mois, donc jusqu’à fin janvier 2018 pour terminer le projet. En ce qui concerne le volet Abris, et jusqu’à ce 30 janvier 2018, nous avons déjà construit à Bazanga 127/133 abris ; à Edville 42/45 abris ; à Ngouciment 13/15 abris et ; à 16/17 abris. Il ne nous reste, au maximum quelques jours de travaux pour tout finaliser. En ce qui concerne la réhabilitation des infrastructures communautaires retenues, les travaux sont à 100% réalisés, car le Centre d’écoute et l’école maternelle du 5ème arrondissement sont réhabilités et déjà opérationnels. Pour ce qui est de la cohésion sociale, des campagnes de sensibilisation menées ont permis à ce que des musulmans de Bazanga et de Edville aient pu regagner leur domicile. Il y a deux jours, une famille musulmane du quartier Banga a regagné sa maison.
CNC : Etant donné la délicatesse et l’enjeu de ce projet, n’aviez-vous pas rencontrez des difficultés ?
EMS : Je dirais que nous avons rencontré beaucoup de difficultés. La première difficulté, c’est que nous avions lancé le projet de construction pendant la saison de pluie, ce qui fait qu’il y a eu beaucoup d’écroulement, vu que les abris sont construits en terre battue. Cela a même découragé beaucoup de nos bénéficiaires qui se croyaient en présence d’un projet fantôme. La deuxième difficulté, c’est celle de la contribution des bénéficiaires qui consiste en la fourniture des briques et la main d’œuvre. Mais, vu le niveau de la précarité économique de nos bénéficiaires à la sortie de la crise, ils ne pouvaient pas le faire. Ce qui nous a amenés à prendre en compte ces chapitres pour certains bénéficiaires dans le projet. Je tenais à souligner d’un trait particulier la difficulté en ce qui concerne la cohésion sociale. Il est vrai que nous avons mené des campagnes de sensibilisation, nous avons tenu des réunions de plaidoyer et les gens nous ont compris. Mais, avec ce qui se passe dans le pays, il suffit d’une petite crise pour que tout ce que nous avons dit parte à la volée. Il nous faut recommencer. Alors qu’à un moment donné, grâce à ce travail de sensibilisation, il y a certains bénéficiaires tant musulmans que chrétiens qui viennent sur les chantiers de construction pour suivre l’évolution des travaux de leurs maisons. Le cas de ceux de Km5 par exemple, quand il y a eu les événements d’octobre (2017), certains musulmans qui étaient prêts à regagner chez eux, sont repartis définitivement au Km5, d’ailleurs, ils ont rompu tout contact avec nous. C’est bien dommage ! Mais heureusement, on ne faiblit pas, on va vers eux et on réussit toujours à les convaincre pour qu’ils reviennent chez eux. Cet état des choses me fait dire que si jamais il n’y a pas de paix véritable en République centrafricaine, les activités de cohésion sociale ne peuvent aboutir. Et pour qu’il y ait la paix, il faut que tous les Centrafricains, toutes communautés confondues, comprennent la nécessité de la paix. Car, même si à Bangui il y a une paix relative et qu’on nous informe qu’à Bambari il y a une violence, la cohésion sociale est bloquée.
CNC : A première vue, l’on constate que les maisons construites sont uniformes, sachant que les maisons détruites comprenaient des grandes et petites maisons ?
EMS : La raison de cette uniformité est toute simple. Nous sommes des humanitaires qui intervenons auprès des personnes vulnérables. A ce titre, nous n’avons pas droit à faire de la discrimination entre les gens. Tout de suite, les bénéficiaires vont commencer à manifester leur frustration de voir que chez certains, nous avons construit trois, quatre ou cinq chambres, alors que d’autres n’ont qu’une chambre ? Nous avons opté pour une mesure standard de 24 m2, deux chambres et salon. Par contre, le bénéficiaire qui estime qu’en plus des 24 m2, il peut prendre l’engagement pour fournir les moyens supplémentaires afin de construire une grande maison, nous sommes d’accord pour l’accompagner, car on ne peut pas l’empêcher de le faire. Toutefois, notre contribution reste dans le cadre d’appui pour construire une maison de mesure standard. Vous savez, nous sommes à une période sensible post-crise, il faut prendre des mesures de sécurité pour éviter d’autres conflits gratuits.
CNC : Pour terminer, pourriez-vous nous présenter brièvement votre Ong, notamment en ce qui concerne ses missions et ses réalisations ?
EMS : Nourrir est une organisation non gouvernementale nationale, créée en 2005. Elle vise trois objectifs déclinés en domaines d’actions, à savoir (1) le Développement local ; (2) l’Assistance humanitaire et ; (3) l’Ingénierie sociale. Aujourd’hui, Nourrir intervient dans au moins deux préfectures de la RCA sur plusieurs programmes, sans compter les programmes que nous avons déjà terminés. Nous travaillons présentement sur le redéploiement de l’administration publique dans la Ouaka qui consiste à construire ou à réhabiliter les bâtiments administratifs, doter les Préfets de véhicules et de motocyclettes, renforcer la capacité des cadres et agents de l’Etat dans différents domaines et, fournir des bureaux, des mobiliers pour le retour de l’autorité de l’Etat. Notre zone d’intervention dans la Ouaka couvre ses cinq Sous-préfectures, à savoir Bambari, Kouango, Grimari, Ippy et Bakala. Dans la Mambéré Kadéi, nous intervenons à Berberati, Gamboula, Carnot et Gazi. Dans la Sangha Mbaéré, nous sommes à Nola, Bayanga et Bambio. Enfin dans la Lobaye, nous œuvrons à Boganda et Boganangone. En plus, nous réalisons, en ce moment, le Projet d’appui à la réintégration des retournés spontanés dans la ville de Bangui, précisément dans la 5ème Arrondissement. Je voudrais noter ici qu’à Bambari, nous menons, en consortium avec l’Ong internationale Triangle, le projet d’hygiène et assainissement (Wash). Ce projet consiste à donner de l’eau potable à la population et assurer l’assainissement. Toujours à Bambari, nous menons un programme de Sécurité alimentaire dans le cadre du Projet d’appui aux organisations de base porteuses d’initiatives agricoles dans la zone périurbaine de Bambari.
CNC : Monsieur Sépamio, je vous remercie.
Interview réalisée par Fred KROCK