Du 26 au 28 février, le Nigeria est l’hôte de la conférence sur le Lac Tchad. Elle est organisée par le gouvernement nigérian et l’Unesco en vue de lancer un projet de préservation de cette région ravagée par le changement climatique et les conflits de toutes natures. Sur la toile, nombreux sont les Centrafricains qui s’inquiètent de cette réunion qui pourra relancer le transfert des eaux de l’Oubangui pour alimenter le Lac Tchad.
Depuis 40 ans, le Lac Tchad qui borde le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Nigeria a perdu 90% de sa surface pour mauvaise gestion et actions anthropiques néfastes. Cela a une incidence sur la région: crise alimentaire, déplacement des populations, crise militaro-politique et instabilité,…
Ainsi, pour sauver le Bassin du Lac Tchad qui nourrit environ 40 millions de personnes, les pays riverains et des organisations internationales, notamment l’Unesco multiplient les initiatives. C’est dans cette logique que des experts, scientifiques et leaders politiques de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT) sont à Abuja (Nigeria) pour réfléchir sur les pistes de sauvegarde de cet espace vital. Au milieu des solutions de revitaliser le Lac Tchad figurent le mégaprojet de transfert d’eau du fleuve Congo vers le Lac Tchad. Son étude a été réalisée par la société chinoise Power China, étude évaluée à 10 milliards de dollars.
Ce projet en gestation est salué par les Chefs d’Etat des pays riverains du Lac Tchad. «Le transfert des eaux du fleuve Oubangui vers le lac via un canal créé pour l’occasion va coûter très cher, mais c’est indispensable», se réjouit le président nigérien, Mahamadou Issoufou.
Mais les Centrafricains ne portent pas dans leur cœur ce programme ambitieux de transport des eaux de l’Oubangui ou de la Kotto pour remplir le Lac Tchad. «Les conséquences seront désastreuses pour nous ! Hors de question de subir les conséquences de la mauvaise gestion du Lac Tchad ! Rien n’a été fait pour éviter son assèchement !», s’est plaint Mr Romaric.
Que pensent et disent les Centrafricains ?
Si ce gigantesque projet qui revient sur la table par l’entremise de la société chinoise Power China qui a construit le barrage des Trois-Gorges réjouit les uns, il suscite déjà débat et est désapprouvé par les Centrafricains qui craignent d’être les grands perdants.
Guillaume Favreau, hydrogéologue, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement a donné son opinion sur l’étude de faisabilité de ce projet qui n’est pas encore à son terme. «Il y a un manque de données sur ces conséquences écologiques. On navigue un peu à vue sur la question du changement climatique dans le bassin, donc on ne sait pas très bien, à l’heure actuelle, quelle sera la répercussion d’une éventuelle augmentation de la pluviométrie sur les apports des principaux affluents des lacs» ? a-t-il prévenu. «On a aussi un manque de données sur les eaux souterraines et sur les eaux de surface. Donc à toutes incertitudes sur les données, évidemment on a des incertitudes sur les projections qui pourront être amenées sur la qualité des eaux», a-t-il noté.
Sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, les Centrafricains crient au complot craignant que ce projet n’assèche l’Oubangui au profit du Lac Tchad.
Pour Mokpem Menewei Herve, «Il faut tout simplement dire non ou de parler de référendum sur la question. Référendum financé par les demandeurs… ». Athanase Nguengo-pagbia a commenté que ce projet n’est pas à privilégier : «On n’arrive pas à d’interconnecter en énergie. C’est l’eau de l’Oubangui que l’on veut utiliser pour sauver le lac Tchad. Non, on ne peut pas tuer un peuple comme ça. La décision revient aux trois peuples: les RDCongolais, les Congolais et les Centrafricains». Et, Miguel Elioz, un Centrafricain résident de rappeler que les deux Congo n’accepteront pas le transfert de l’Oubangui contrairement à son pays la Centrafrique. «Vu notre statut d’eternel assisté, la probabilité pour que nos autorités acceptent ce projet est forte. Ce qui ne sera pas le cas pour les deux Congo qui n’attendent pas grand chose de la part du Tchad. En tout état de cause, nos autorités ont droit de dire NON au nom du principe de souveraineté de chaque pays. Que nos autorités analysent d’abord l’impact réel de ce drainage à long terme », a-t-il déclaré.
Dans ce débat sur la toile, Manoël Mageot, Hassabanebi Oumar Abdelkarim et Constant Mangazou sont favorables à ce projet «intégrateur».
Le premier interpelle ses compatriotes et rappelle les circonstances naturelles qui obligeront le Tchad et certains pays du Sahel à profiter de l’espace verdoyant centrafricain : «Est ce que l’Océan où se déverse en toute perte l’eau de l’Oubangui, nous paie une quelconque redevance ? Est ce que les 2 Congo s’acquittent d’une compensation? Est ce que l’eau de l’Oubangui bénéficie d’une attention particulière des autorités centrafricaines afin qu’elle soit véritablement utile aux populations de notre pays? Enfin, si le colon n’avait pas installé une frontière artificielle entre les 2 peuples du Tchad et de l’Oubangui, ne serions nous pas toujours aujourd’hui un seul et même peuple? Il faut savoir qu’à terme, la soif guidera les pas de nos frères du Nord vers nos verdoyantes contrées, bon gré mal gré. À vous de voir», a fait remarquer Mr Manoël Mageot. L’autre argument parvient de Constant Mangazou qui a mentionné que «nous devons sauver l’humanité».
Et l’avis d’un Centrafricain, Doctorant de l’Université d’Orléans:
A propos de ce projet de transfert des eaux de l’Oubangui au Lac Tchad par Palambo, nous avons recueilli l’avis d’un Centrafricain, le Chercheur Chanel Nzango, Hydrologue, Laboratoire CEDETE, à l’Université d’Orléans (France). Il est Doctorant et le titre de sa Thèse est : les barrages de l’Oubangui: de l’impact hydraulique à la prospective environnementale.
Selon lui, « le projet aura pour avantage de produire de l’hydroélectricité pour électrifier la ville de Bangui et sa périphérie. Il permettra aussi d’assurer une navigation fluviale permanente sur l’Oubangui». Comme la navigation est discontinue sur l’Oubangui, «le barrage de Palambo va réguler le débit de l’Oubangui». Sans oublier que «le projet sera créateur d’emplois».
A côté de tout cela, ce mégaprojet a aussi ses points noirs, c’est-à-dire, qu’il a des impacts négatifs, a commenté Chanel Nzango : «Le premier effet néfaste concerne le paysage: changement d’occupation du sol, risque d’érosion du versant ou des collines. Qui dit risque d’érosion du versant dit risque de sédimentation dans le lac de barrage ».
Dans cette droite ligne, il pourra y avoir «un risque de rupture de la continuité écologique: rupture de franchissement des poissons migrateurs, rupture de continuité des sédiments (piège à sédiments) etc…», a-t-il fait savoir à notre rédaction.
Sur le plan hydrologique, le Chercheur a indiqué il y aura une modification du régime d’écoulement. Le Doctorant a noté que le Lac va réguler le débit et cela sera très conséquent pour les communautés aquatiques situées en aval de Palambo ». Il a ajouté qu’au plan biologique, «il y aura une mutation écologique (sélection naturelle): certaines espèces qui ne vont pas s’adapter au milieu lacustre vont disparaitre en faveur des espèces limnophiles comme les carpes. Les carpes vont proliférer dans le lac de barrage au détriment des capitaines et autres ».
L’homme ne sera pas aussi épargné par les effets néfastes de ce programme ambitieux de méga-ouvrage. Il obligera «un déplacement forcé des riverains, qui seront indemnisés, à l’instar de celui du barrage de Mobaye dans les années passées», l’Hydrologue qui étudie les barrages de l’Oubangui et son impact.
Demain, à la clôture de cette conférence, les Chefs d’Etat des Pays du Lac Tchad et leur homologue centrafricain seront à Abuja.