A son âge, Justin, un Sud-Soudanais n'avait pas d'autre choix pour fuir la guerre civile dans son pays que de se réfugier en Centrafrique voisine, minée elle aussi par les conflits entre groupes armés.
Ce vieux monsieur de 72 ans reste hanté par la mémoire de ces "hommes du gouvernement sud-soudanais" qui ont "tué des civils et brûlé des maisons" dans son village de Source Yubu au Soudan du Sud. "Ils pensent que les rebelles sont dans la brousse et que la population les ravitaillent en nourriture", dit-il.
A Obo, ils sont 2.000 Sud-Soudanais comme lui à avoir franchi la frontière pour gagner le camp de réfugiés de la ville avec l'espoir de trouver la paix en Centrafrique. Mais ils ont découvert un pays ravagé par la pauvreté, les conflits et où plus de la moitié de la population dépend de l'aide humanitaire.
Au total, plus de 4.000 personnes ont fui la région d'Equatoria-occidental, dans le sud-ouest du Soudan du Sud, vers l'est de la Centrafrique depuis 2015, selon l'ONU.
En 2016, l'ONU a mis en place un camp à Obo, qui accueille la moitié de ces réfugiés, alors que certains ont déjà choisi de rentrer chez eux.
- Entre hostilité et menaces -
Car Obo n'est pas un sanctuaire de paix espéré: les Sud-Soudanais qui y sont restés se disent coincés entre l'hostilité d'une partie de la population et les menaces des groupes armés qui rodent à l'extérieur de la ville.
Comme les autres réfugiés, Justin a été rattrapé par la guerre opposant depuis décembre 2013 des clans du Mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS), ancienne rébellion ayant mené le Soudan du Sud à l'indépendance en 2011. Le conflit a fait des dizaines de milliers de morts, quatre millions de déplacés et provoqué une crise humanitaire catastrophique.
"J'habitais à Wau, quand les rebelles de Riek Machar (ex-vice président sud-soudanais et rival du président Salva Kiir) ont attaqué la ville", raconte Nicolas Anthony, arrivé à Obo en octobre 2016.
"Beaucoup de Dinkas (ethnie affiliée à l'Armée populaire de libération du Soudan, l'APLS, du président Kiir) ont été tués à Wau.
Cette ville du nord-ouest du Soudan du Sud "est devenue le terrain d'une +guerre des ethnies+, les Dinkas ne voulaient plus d'autres ethnies, ils voulaient rester seuls", dit-il.
- Réfugiés 'sans droits' -
"Vous savez, il y a beaucoup de tombeaux ici", ajoute-t-il en évoquant la vie au camp où de nombreux réfugiés sont morts par manque de soins.
Tous ceux interrogés racontent les mêmes difficultés: "on a même dû vendre les ustensiles de cuisine distribués par l'ONU pour s'acheter à manger", abonde Moise Valentino, 39 ans.
Cet agriculteur a bien tenté, comme d'autres, de se faire embaucher localement par des Centrafricains pour des travaux agricoles.
"Mais ils refusent de nous payer! Ils disent qu'on n’a pas de droit, qu'on a qu'à retourner au Sud Soudan!" s'énerve-t-il.
D'autres s'éloignent dans la brousse pour trouver des lopins de terre inoccupés mais, là encore, les problèmes surviennent.
"A chaque fois qu'on débroussaille un endroit, un natif d'Obo vient dire que c'est à lui. Donc on doit s'éloigner mais pas trop loin, car il y a la LRA", l'Armée de résistance du Seigneur (LRA), une des guérillas les plus sanglantes du monde, déplore James Simon Uffo, 32 ans.
Cette rébellion ougandaise créée par Joseph Kony continue ses exactions aux alentours d'Obo, malgré une traque de plusieurs années menée par les forces ougandaises et américaines qui l'a considérablement affaiblie.
- Rêves de foot -
Les réfugiés sud-soudanais doivent aussi composer avec les Peuls, des éleveurs de bétail transhumants. "Nous n'avons pas de bonnes relations avec eux. Quand on fait notre +petit jardin+, ils passent et le détruisent. On ne peut rien dire, ils sont armés (et rôdent) à 8 km de la ville", déplore James Simon.
A ces menaces s'ajoute la crainte de voir le conflit centrafricain débarquer à Obo. "Zemio et Mboki ont été attaquées, ça pourrait arriver ici aussi. On est chrétiens donc on pourrait se faire attaquer", redoute James Simon Uffo.
De fait, le sud-est de la Centrafrique a été le théâtre de nombreuses violences meurtrières en 2017 entre groupes armés, tantôt pour la conquête territoriale, tantôt pour le contrôle des ressources naturelles.
Face à ces difficultés, James Simon a renoncé à tous ses rêves, sauf un: des chaussures de foot et un ballon.
"On reste ici à penser à notre pays, à notre famille. Si on pouvait jouer au foot, on pourrait un peu oublier notre malheur", dit-il.