En Centrafrique, les groupes armés continuent de faire la loi, comme en témoignent les affrontements de dimanche soir en plein centre de Bangui. François Hollande n'a-t-il pas retiré trop vite la force française Sangaris ? Y a t-il tout de même aujourd'hui une lueur d'espoir, notamment à Paoua, dans le nord-ouest du pays ? Martin Ziguélé a été Premier ministre de 2001 à 2003. Aujourd'hui, il est député MLPC et soutient la politique du président Touadera. De passage à Paris, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Martin Ziguélé, comment expliquez-vous l’attaque de dimanche soir contre une base de l’ONU en plein centre de Bangui, pas très loin de la résidence du chef de l’Etat ?
Martin Ziguélé : Selon toute vraisemblance, ce sont des personnes qui étaient opposées à cette intervention au Kilomètre 5. Ce camp du contingent égyptien a été attaqué dans la même journée, où ce contingent était en première ligne pour essayer de sécuriser le Kilomètre 5.
Contre les milices Seleka ?
Contre les milices ex-Seleka.
Il y a ces incidents à Bangui, et puis il y a les très graves affrontements de ces derniers mois en province, notamment dans votre ville natale de Paoua, au nord-ouest. Est-ce que votre pays s’enfonce dans l’anarchie ?
L’année 2017 et le début de l’année 2018 ont été très difficiles pour notre pays sur le plan sécuritaire. Malheureusement, cela était prévisible, parce que nous avons fait des élections dans un pays où le désarmement n’a pas eu lieu, où les groupes armés ont gardé leurs capacités intactes. En face, l’Etat n’a pas de force militaire. Du côté de l’Etat, vous n’avez que la Minusca.
A Paoua, votre ville natale, le 31 décembre, deux musulmans ont été lynchés en plein centre-ville. Qu’est-ce qui se passe chez vous ?
Oui, ce qui s’est passé à Paoua, c’est qu’un groupe armé local, j'allais dire autochtone, a fait venir des éléments du MPC de Mohamed Bahar. Ils ont fait alliance, puis, il y a eu conflit d’intérêts. Parce que, vous savez que ces groupes armés gèrent les opérations de transhumance, la frontière du Tchad est tout à côté. Ils se sont affrontés.
Je rappelle que Paoua est le deuxième bassin le plus peuplé de la RCA, après la ville de Bangui. Et ce qui s’est passé, c’est qu’aujourd’hui, à Paoua, il y a eu l’intervention de la Minusca, conjointement avec les premiers contingents de l’armée centrafricaine déployés sur le terrain. Ils ont réussi à sécuriser l’ensemble de la commune. Mais vous savez, Paoua est adossée à la frontière tchadienne sur plus de 200-300 kilomètres.
Donc, qu’est-ce que les groupes armés résiduels font ? Ils se cachent le long de la frontière. Et de temps en temps, des éléments de ces groupes armés attaquent les populations, ce qui sème la panique. Mais la situation est maîtrisée. Et c’est un exemple, à mon avis, qu’il faut multiplier et étendre dans le pays. Et il faut poser des actes. C’est kilomètre carré par kilomètre carré que le retour de l'Etat, de l’autorité, se fera.
Votre ville de Paoua a vu arriver les premiers bataillons des nouvelles Faca, les Forces armées centrafricaines...
Absolument. Il y a eu un premier contingent dont l’arrivée a été d’ailleurs largement saluée par la population. Ce sont des personnes qui parlent le sangho, qui se font renseigner directement par la population. Et c’est ce qui leur a permis de se déployer très rapidement, jusqu’au-delà de la ville de Paoua, dans tous les gros villages. Et cela a fait que, sur les 65 000 personnes qui étaient réfugiées à Paoua, aujourd’hui il en reste moins de 10 000.
Au nord-est de votre pays, l’un des hommes forts de la rébellion, Nourredine Adan, menace de relancer une offensive militaire sur Bangui, comme en mars 2013. Est-ce qu’il faut prendre cette menace au sérieux ?
Des menaces comme celle de Nourredine, même si elles ne se réalisent pas, ont un effet dévastateur sur ce que nous tous nous recherchons : la paix et la cohésion sociale. Et c’est pour que ces menaces-là ne deviennent pas une réalité que je pense qu’il faut un véritable sursaut de volonté politique pour qu’on priorise la question sécuritaire.
En décembre 2015, au premier tour de la présidentielle, vous n’êtes arrivé que 4e avec quelque 10 % des voix. Beaucoup de Centrafricains à l’époque vous soupçonnaient de complicité avec les rebelles de la Seleka. Et de fait, n’avez-vous pas eu une certaine complaisance à leur égard ?
Non, je n’ai eu aucune complaisance à l’égard de la Seleka. Je ne pouvais pas en avoir. Et si j’avais été un complice ou un soutien de la Seleka, pourquoi je n’ai pas exercé de responsabilité politique à un niveau très élevé sous la Seleka ?
La question n’était pas là. Je pense que, comme en 2003, date à laquelle le régime du MLPC de Patassé a été renversé en 2003, et j’ai toujours joué le rôle de chef de l’opposition contre le régime de l’ancien président François Bozizé.
Et de ce fait, par sophisme, lorsque Bozizé a été renversé par la Seleka, les uns et les autres ont exploité cette situation pour me présenter comme étant le complice Seleka. Je n’ai jamais été, ni de près, ni de loin, associé à la naissance, au fonctionnement ou à la prise du pouvoir des Seleka !
Face à la partition de fait de votre pays, quelle est la solution ? Un renforcement de la Minusca ou la mise sur pied des Faca, les forces armées centrafricaines ?
Je crois que les deux doivent aller ensemble. C’est pour ça qu’il faut relever le niveau, le volume des militaires formés et accélérer le calendrier. Et cela doit aller de pair avec la Minusca. Et le problème de la Minusca : c’est une mission qui a pour objectif de ramener la paix. Mais il faut que les moyens humains et matériels suivent, 12 000 hommes pour une telle superficie, vous voyez tout de suite les limites, surtout si la couverture aérienne, les moyens aériens, font défaut.
Depuis quelques mois, il y a un nouvel acteur dans votre pays, c’est la Russie. Qu’est-ce que vous pensez de la dernière rencontre à Cotonou entre des diplomates venus de Moscou et l’ancien président Michel Djotodia ?
Si cette rencontre a pour objectif de demander, que ce soit à Djotodia ou à Bozizé, d’user de leur influence sur les groupes armés qui se réclament d’eux, pour revenir à la paix, sans que nous allions à l’affrontement, je pense que ce serait positif. Mais puisque ni la partie russe, ni M. Djotodia, n’ont fait de communiqué pour expliquer quels sont les objectifs, j’en reste à cette supposition-là. Mais si c’est pour des motifs autres, il va falloir que les uns et les autres expliquent ce qu’ils se sont dits pour nous permettre à nous, politiques, de prendre position.
Vous parlez de motif autre. Au nord-est de votre pays, on évoque aussi des contacts entre les Russes et Nourredine Adan, l’ex-numéro deux de la rébellion, en vue de l’exploitation de vos ressources minières...
J’ai lu également cela dans les médias, mais je préfère juger sur pièce avant de me prononcer. Et puis, je voudrais rappeler que l’article 60 de la Constitution de notre pays confie à l’Assemblée nationale la responsabilité d’autoriser tout accord, toute convention, portant sur les ressources naturelles ou les conventions financières.
Et à ce titre-là, si ces démarches existent et si elles aboutissent à des signatures de contrats ou de conventions, ces documents arriveront à l’Assemblée nationale. Et naturellement, l’Assemblée nationale aura à s’exprimer. Donc, je souhaite que nous ayons des informations officielles pour pouvoir nous prononcer en toute connaissance de cause.
Ça, c’est un message aux Russes, à Moscou ?
C’est un message à tout le monde.
Il y a déjà 18 mois que la force française Sangaris a plié bagages. Est-ce que les Russes occupent la place laissée vide par les Français ?
D’abord, je voudrais dire un mot par rapport à Sangaris. Je ne remercierai jamais assez le gouvernement français, sous le président Hollande à l’époque, d’avoir décidé de Sangaris. Mais je pense encore qu’annoncer le retrait de Sangaris le jour-même de la prestation de serment du nouveau président élu, cela a été perçu par les groupes armés comme un appel d’air.
Parce que, Sangaris, du fait de son expérience, de sa connaissance du terrain et de la disponibilité des moyens aériens, était la seule force qui pouvait stopper toute velléité. Et elle l’a fait à plusieurs reprises et avec succès. Et le départ de Sangaris, vous le constatez avec moi, a fait que dans le pays, qui était globalement entre les mains de l’Etat central, aujourd’hui beaucoup de préfectures sont contrôlées par les groupes armés.
Donc, la France n’aurait pas dû partir ?
Je pense qu’elle est partie trop tôt.
François Hollande vous a laissés tomber ?
Je ne dirais pas qu’il nous a laissés tomber. Mais vous savez, la peur du gendarme, c’est le commencement de la sagesse. Ce n’est pas moi qui l’ai inventé.
Et comme la nature a horreur du vide…
Mais évidemment que le vide a été, malheureusement, rempli par des forces qui, chaque jour davantage, renforcent leur emprise. Regardez ce qui se passe dans le sud-est de la RCA, dans la région de la Ouaka, de la Basse-Kotto… L’Etat a pratiquement disparu ! Ce n’était pas le cas il y a deux ans.
Je ne parle pas du nord-est du pays. Bien sûr, dans l’ouest du pays, dans la région de lOuham-Pendé, Paoua, Bocaranga…, où comme par hasard, il y a eu une action concertée Minusca-Etat, une volonté forte. La situation s’est notablement améliorée. Moi, je ne vois que les faits. Et j’essaie d’en tirer des leçons pour agir.
Selon la Constitution, le gouvernement ne peut signer aucun contrat de concession minière sans l’aval des députés. Est-ce la raison pour laquelle quelque 80 parlementaires centrafricains ont été réunis le 8 mars dernier à Boali ? Ils auraient reçu, chacun à cette occasion, de la part du gouvernement centrafricain, la somme de un million de francs CFA.
Vous savez, je ne pense pas qu’il faille entretenir une guerre entre les institutions. Je vous rappelle que le bureau de l’Assemblée nationale n’est pas totalement inféodé à qui que ce soit. Je ne peux parler qu’en mon nom, je n’ai pas été à Boali.
Vous n’étiez pas à Boali le 8 mars dernier… Vous parlez de la guerre entre les institutions centrafricaines. Il y a, en effet, un bras de fer entre le président de la République Faustin-Archange Touadéra et le président de l’Assemblée, Karim Mekassoua. Est-ce la raison pour laquelle l’argent circule depuis quelques semaines entre Boali et Bangui ?
Non (rires) ! D’abord, un : l’argent ne circule pas entre Boali et Bangui. Et deuxièmement, je n’ai pas été à Boali. Donc, je ne peux pas parler de quelque chose que je ne connais pas. Mais ce que je voudrais dire, c’est que, tout problème politique peut être résolu par le débat politique entre les intéressés.
C’est-à-dire entre MM. Touadéra et Meckassoua…
... Et moi, je me suis toujours inscrit dans la démarche de faire en sorte que le débat politique prime sur des problèmes de personnes. La priorité des priorités c’est la survie. Je dis bien la survie de 5 millions de Centrafricains.
Pour le deuxième tour de la dernière présidentielle, vous vous êtes rallié au candidat Touadéra, sans doute dans l’espoir de devenir son Premier ministre. Mais ce n’est pas vous, le Premier ministre ! C’est Simplice Sarandji. Est-ce que vous n’y voyez pas une forme d’injustice ?
Je vous permets de poser la question au président Touadéra. Je suis allé le voir pour lui dire exactement le contraire, que je ne voulais pas être Premier ministre. Je l’autorise à vous le confirmer.
Mais vous pouvez changer d’avis.
Non. Je n’ai jamais demandé à être Premier ministre. Ni hier, ni aujourd’hui. Pour la simple raison que j’ai déjà été Premier ministre dans un contexte similaire. Et je pense que la roue de l’histoire tourne et que d’autres Centrafricains peuvent faire le travail de Premier ministre avec, peut-être, beaucoup plus de résultats que moi je n’ai eu à le faire il y a aujourd’hui treize ans.
Mais aujourd’hui, le MLPC et vous-même vous êtes toujours dans la majorité ou vous êtes passés dans l’opposition ?
Le MLPC est toujours dans la majorité et nous soutenons toujours le président Touadéra, parce que nous l’avons soutenu entre les deux tours des élections. Et nous sommes un parti structuré, loyal. Aujourd’hui, à ce jour, nous soutenons le gouvernement. Pourquoi ? Parce que le MLPC a déjà vécu une situation similaire.
Et nous aurions aimé que hier, il y ait une solidarité politique pour sortir notre pays de l’ornière. Si nous avions pu éviter un coup d’Etat en 2003 il n’y aurait jamais pu y avoir de coup d’Etat par la suite en Centrafrique. Parce que, les coups d’Etat, les guerres civiles, c’est un type de poison qu’il ne faut jamais essayer, même si l’on se prend pour Mithridate.