Le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra a dénoncé mercredi une instrumentalisation de la religion à des fins politiques, au lendemain d’affrontements meurtriers à Bangui qui font ressurgir le spectre des violences intercommunautaires entre musulmans et chrétiens.
La capitale centrafricaine a connu mardi un regain de violences meurtrières inédit depuis l’élection en février 2016 du président Touadéra qui a décrété mercredi un deuil national du 3 au 5 mai. Le bilan s’élève à au moins 16 morts et une centaine de blessés, selon des sources médicales.
L’attaque d’une église et le meurtre d’un prêtre par des hommes armés lors d’une cérémonie religieuse puis le lynchage de deux personnes soupçonnées d’être des musulmans et l’incendie d’une mosquée laissent craindre un retour des violences interreligieuses qui ont marqué le conflit centrafricain en 2013-2014.
"Ce conflit n’est pas confessionnel", a cependant martelé mercredi le président Touadéra qui s’est exprimé à l’église Saint Paul en présence de l’archevêque de Bangui, Dieudonné Nzapalainga. Il a dénoncé la tentative de certains groupes armés de "confessionnaliser leur ambition politique et le pillage du pays".
Depuis 2013, la Centrafrique est embourbée dans un conflit meurtrier. Les groupes armés contrôlent une majeure partie du territoire, où ils combattent pour le contrôle des ressources naturelles et de l’influence.
La descente en 2013 sur Bangui de la rébellion de la Séléka, prétendant défendre les musulmans, a entraîné la réaction de milices "antibalakas", souvent chrétiennes et animistes, contre ces hommes venus du Nord considérés comme des envahisseurs.
Mardi, un accrochage entre un groupe armé du général autoproclamé "Force" et les forces de sécurité centrafricaines a dégénéré.
Des hommes armés ont attaqué l’église Fatima, située non loin du quartier musulman du PK5, provoquant la mort de plusieurs civils dont le respecté abbé Albert Tougoumalé-Baba.
En réaction à la mort de l’abbé, une foule en colère a incendié une mosquée et lynché deux personnes soupçonnées d’être des musulmans.
"Les violences intercommunautaires n’ont jamais cessé depuis la crise de 2014. Elles prennent différentes formes en fonction des intérêts", relève Nathalia Dukhan, auteure de plusieurs rapports sur les milices centrafricaines pour l’ONG Enough Project.
- "Récupération politique" -
"Fin 2015, les tensions au PK5 ont été (déclenchéees) par les chefs de groupes armés Abdoulaye Hissène et Mokom pour la défense d’intérêts politiques et économiques privés. Aujourd’hui, on constate une très possible récupération politique du groupe de +Force+", ajoute la chercheuse. "En 2017, on voyait un conflit entre ethnies musulmanes, comme avec la planification d’une épuration ethnique des Fulani (Peuls). En 2018, on observe un retour aux divisions religieuses comme en 2014".
Mercredi matin, un rassemblement de manifestants devant la cathédrale de Bangui a été rapidement dispersé par les forces de l’ordre pour éviter de nouveaux débordements.
La Minusca et les forces de sécurité centrafricaines mènent depuis le 8 avril une opération militaire contre des milices armées du PK5 dont celle de "Force".
Le 10 avril, au moins 27 personnes sont mortes, dont un Casque bleu, dans des combats au PK5 entre une patrouille mixte Casques bleus rwandais/forces armées centrafricaines et les milices du quartier PK5.
De nombreux musulmans ne soutiennent pas les groupes armés du PK5. Depuis début 2018, les commerçants musulmans de cet arrondissement avaient demandé à plusieurs reprises aux Casques bleus d’intervenir contre les milices sévissant dans le quartier.
Le PK5 a souvent été au coeur des tensions dans la capitale depuis 2013 et les populations musulmanes de la ville y vivent retranchées.
Quand la coalition promusulmane de la Séléka a été chassée du pouvoir en 2014 après l’avoir pris de force en 2013, tous les musulmans se sont enfuis de Bangui ou se sont réfugiés au PK5.
Pris à parti et attaqués par les milices "antibalaka", les musulmans du PK5 ont alors financé des groupes d’"autodéfense" pour protéger le quartier.
Ces groupes ont progressivement laissé place à d’autres bandes mafieuses auxquelles les commerçants versent une "taxe" et que le président Touadéra a qualifiées de "bandits".
L’Etat centrafricain n’a d’autorité que sur une maigre partie du territoire. Bangui avait été depuis 2016 relativement épargnée par les combats.