Le commandement, c’est la volonté du chef qui est mis en avant, le cap à suivre par les Hommes de rang. La troupe se met en mouvement sur la seule initiative du chef. Par contre le management, c’est le consensus qui est mis en exergue et qui met les gens en mouvement. Les deux (2) expressions sont au fait complémentaires, elles reposent sur l’esprit de corps et ont la même finalité dans la conduite des opérations. Une réussite des opérations requiert avant tout l’adhésion des Hommes de rang et un exercice subtil de l’autorité. Le métier des armes exige la sauvegarde des intérêts supérieurs de l’État par l’usage d’une violence légale, donc il faut un ordre, le principe.
Même si les règles de discipline et d’éthique militaire ne sont pas à ce jour mieux observées dans le milieu FACA du fait de sa désagrégation, ce ne sont pas les grands principes qui font et qui feront l’essor de l’action dans des situations concrètes, c’est à la force de cohésion du groupe qui repose sur la « fraternité d’armes », ce lien qui unit aussi bien les camarades entre eux, que ceux-ci à leurs chefs, et grâce auquel se développe une exceptionnelle confiance collective.
Le rôle des chefs est déterminant. Il leur revient de capter la confiance, d’abord par leur compétence, mais aussi par un exercice de l’autorité combinant une nécessaire fermeté avec une exemplarité sans faille et une attention bienveillante portée à chacun de leurs subordonnés. Ainsi pourront-ils les former et les commander de sorte que soient dominées les pulsions de haine et de meurtre.
Il leur revient aussi, dans ces situations terribles où il n’est pas de bonne solution, de cultiver le discernement et le caractère qui leur permettront de choisir la moins mauvaise et de décider, dans leur pleine liberté d’hommes.
La RCA a opté pour une armée de garnison, sous-entendu, une armée républicaine avec des obligations de loyauté, de neutralité de l’institution militaire envers le pouvoir de l’Etat, à cette nouvelle vision, la communication revêt un enjeu démocratique.
Notre armée a beaucoup de maux dont d’une part, des pratiques de communication totalement biaisées et d’autre part la culture et les logiques militaires qui constituent des barrières à l’expression des militaires, jusqu’aux débats de fond sur les questions d’éthique, de discipline et de la cohésion au sein de l’armée.
En cette période de crise que traverse notre armée, la communication reste sa principale qualité. Même si la parole d’un soldat obtient une crédibilité excessive, il convient d’en exploiter. Pour ce faire, il s’agit d’éduquer autant que possible l’expression médiatique à tous les échelons de la hiérarchie. Donc bien communiquer est une capacité de résilience ; or le moteur de cette résilience reste la mobilisation de tous les maillons de la chaîne, y compris le plus modeste des soldats. La communication verticale, si peu, elle est utilisée pour des décisions, la communication horizontale sera de plus en plus conseillée.
En général, le personnel militaire donne des ordres aux subalternes directement sous leurs ordres selon la chaîne de commandement et reçoivent directement leurs ordres de ceux qui sont à l’échelon immédiatement supérieur. Les membres de la chaîne de commandement ne reçoivent d’ordres que d’un unique supérieur et ne donnent d’ordres qu’à un groupe défini d’individus placés directement sous eux dans la chaîne.
Également, la chaîne de commandement interdit à un officier, même de rang supérieur, de donner des ordres à des soldats de rang inférieur qui ne sont pas directement dans sa chaîne de commandement. Malheureusement, ce principe est mal observé où on assiste parfois à des éclats de voix des officiers sur les subalternes, même sur ceux ne relevant pas de leur commandement.
Le commandement apparaît comme l’une des pratiques les plus naturelles mais l’exercice du commandement n’est guère chose aisée, loin s’en faut. L’esprit de rébellion étant également inhérent à la nature humaine, le commandement repose sur un équilibre pour le moins précaire et sa conservation requiert d’ingénieux artifices.
La diversité des caractères et des situations auxquels le chef se trouve confronté implique non seulement une grande capacité d’analyse, mais aussi une constante adaptation à l’environnement. Les méthodes qui se révèlent efficaces avec un groupe de personnes et à une certaine époque, en effet, peuvent s’avérer infructueuses auprès d’une autre communauté ou en d’autres temps, si bien qu’il n’existe que des règles approximatives pour diriger et assurer ce délicat exercice.
Sur le principe de l’autorité nécessaire pour obtenir l’obéissance des individus subordonnés, suivent le principe de la légitimité, sans laquelle nulle acceptation et reconnaissance du pouvoir n’est possible puis le principe de persuasion, qui permet de susciter l’adhésion.
Ainsi l’autorité s’appuie tout à la fois sur la fonction occupée, la personnalité du chef, la capacité de décision et la gestion des responsabilités qui en découlent, lesquelles nourrissent le sentiment de respect éprouvé par ceux qui sont commandés. La légitimité du commandement est fondée sur la nécessité des rapports de subordination, sur la compétence du subordonnant, mais également sur la cohérence des directives données, porteuses de sens, l’ensemble desdits critères constituant la crédibilité de celui qui commande.
Quant à la faculté de persuasion, grâce à laquelle un chef peut gagner la confiance de ses subordonnés, elle requiert du charisme (un talent de séduction), s’appuie sur une pratique active de la communication, établie tant sur la forme que sur le fond (procédés rhétoriques et contenu informationnel), et se trouve pérennisé par un comportement exemplaire.
Celui dont l’autorité est fondée sur la seule obligation, en effet, ne peut susciter l’adhésion. Aussi doit-il être assuré que son pouvoir sera renversé dès lors que l’opportunité se présentera à ses subordonnés de contester un joug perçu comme tyrannique, et de s’émanciper d’une tutelle subie plutôt que consentie. L’objectif recherché par toute figure de souveraineté est bien l’obéissance des sujets qui lui sont attachés.
Le chef l’est à plusieurs égards, tant par le truchement des valeurs qu’il défend, que par les exigences qu’il a vis-à-vis de ses subordonnés et la conduite qu’il adopte quotidiennement devant eux, génératrice d’un phénomène d’identification inconsciente et, partant, de mimétisme.
La figure du chef militaire n’échappe pas au mouvement de discrédit qui gagne progressivement toutes les positions professionnelles dominantes (pénétrant même la cellule familiale à travers une dépréciation de l’autorité parentale).
Il y a un paramètre sociétal, également déterminant, qui mérite d’être relevé. Il s’agit de celui-ci qui a trait à l’influence grandissante des médias et au développement soudain des NTIC. Habitués à être tenu informés de tout ce qui passe dans les quatre coins de la planète en temps quasi réel, les citoyens s’attendent à bénéficier d’un même degré d’information au sein de leur environnement professionnel. Ils expriment de forts besoins en la matière, assimilant transparence et démocratie. Internet opère à cet égard une véritable révolution. La vitesse de propagation des données fut peut-être moins décisive que le caractère de plus en plus public de cette nouvelle forme de communication.
Le tri sélectif des données et les différents filtres mis en place par les chaînes de télévision, par exemple, se lèvent au profit d’un réseau où chaque internaute n’est pas seulement un spectateur éclairé du monde, mais peut se transformer en acteur dynamique, en force de proposition, à travers la participation à des chats ou grâce à la création de blogs. Ce mode convivial et participatif entre donc dans les mœurs.
Dans ces conditions, à l’heure de la communication, le soldat peut-il rester à l’écart d’une telle révolution? Alors que la parole et l’image sont devenues les deux vecteurs de notre époque pour tous les acteurs sociaux, pourquoi seul le soldat devrait-il être privé de ces arguments ? Beaucoup de soldats FACA ont leur profil sur facebook et expriment leurs opinions sur les sujets de société.
Parmi ses effets, la révolution de la communication porte atteinte au caractère sacré de la hiérarchie ; elle va contraindre à décentraliser les systèmes, à sous-traiter, à responsabiliser des cellules autonomes, à « déverticaliser » les structures. L’autorité formelle y prendra un « coup de vieux » et il sera plus difficile qu’auparavant d’avoir pour seuls arguments son grade ou sa position hiérarchique. L’idée de l’émancipation intellectuelle qui oblige l’homme à se servir de son propre entendement est à notre époque rentrée dans l’armée.
Le style des discours résolument directifs, l’information descendante, le commandement de type «absolument vertical», qui jadis apanage du chef militaire, deviennent inefficaces, voire contre-productifs ; tandis que le style de la communication interactive, consistant à expliquer et à dialoguer, mais aussi à prendre en compte le retour d’expérience des situations d’énonciation et de réception d’un message, obtiennent de meilleurs résultats.
Dans un tel contexte de mutation, les officiers doivent compenser le déséquilibre par une multiplication des actions de persuasion. La communication – plus précisément la communication verbale – devient donc, pour le chef militaire, un indispensable et quotidien outil de légitimation dans l’exercice de ses fonctions et l’accomplissement des missions qu’il confie à ses troupes, devenues de simples équipes. Par elle, l’officier s’efforce de motiver ses hommes, de susciter leur adhésion et de renforcer la cohésion du groupe.
Mais communiquer, ce n’est pas seulement s’exprimer, c’est aussi savoir écouter l’autre. Le chef doit donc apprendre à écouter ses subordonnés. Dans les cas les plus extrêmes, il y a autojustification du chef. Ainsi, il y a nécessité désormais d’accompagner les ordres, à appliquer de toute une série d’explications qui visent, d’une part, à expliciter au mieux leur mode d’application et d’autre part, ce qui serait particulièrement inédit, de démontrer le bien-fondé de ces ordres. Un tel type de commandement suppose d’établir une communication avec ses subordonnés qui ne peut plus reposer sur le seul rapport hiérarchique.
Aujourd’hui, il faut tout manager et c’est l’essence même du commandement, et plus largement de l’institution militaire, que l’on a longtemps surnommée la « Grande Muette », tant à cause de son silence forcené que de sa neutralité politique. La communication verbale, en effet, c’est-à-dire la bilatéralité, la mise en commun de la parole, était la grande absente du système militaire, qui lui préférait l’information au sens de la théorie mathématique. Le chef émettait un message, et l’objectif recherché était une moindre déperdition du contenu cognitif au niveau du récepteur, en vue d’une efficacité maximale.
En outre, l’information ainsi délivrée n’avait pas pour but, paradoxalement, d’informer, c’est-à-dire de faire accéder au savoir, d’éclairer des décisions et d’expliquer des actions, mais plutôt de faire exécuter un ordre. Loin d’être une fin en soi, l’information n’était qu’un moyen. Son rôle ne se veut guère cognitif, descriptif ou narratif, il était prescriptif et performatif.
C’est surtout la tradition qui assurait le ciment humain de la communauté militaire. Ce n’est sans doute pas un hasard si la communication verbale prend une telle ampleur aujourd’hui.
Certes, il y aura une résistance au changement, les anciennes générations de militaires, souvent nostalgiques du temps béni où l’on s’exécutait sans broncher, regimbent devant de telles demandes de justification, auxquelles elles essaient en vain d’opposer la force de l’habitude. Ce qui ne manquera pas de créer d’inconfortables malaises auprès des jeunes recrues, aux aspirations divergentes.
D’un côté, l’ancien mode de commandement, autoritaire et ultra-directif, a mis en place un système de défense inconscient que l’on peut comparer à une attitude classique de « résistance au changement » face à l’introduction d’une pratique innovante, et rigidifie sa position dirigiste, au risque de braquer les jeunes recrues et de voir les rangs désertés ; de l’autre, se pliant au principe de réalité, une partie de l’institution militaire peut esquisser un mode de commandement assoupli, proche du management participatif, assouplissement qui voit poindre au loin le danger d’une armée de syndicalistes, prêts à faire grève le jour où les raisons d’une action ne sont pas clairement expliquées.
Notre armée est rentrée dans une période transitoire où les partisans de l’ancien système et les nouvelles générations vont certainement s’affronter. Les jeunes recrues aujourd’hui ont un niveau d’études assez élevé par rapport à leurs aînés d’hier. Ce sont pour la plupart ceux que le milieu scolaire et universitaire a livré au chômage, orgueilleux d’un niveau de connaissance.
Cependant la communication peine, on peut répondre par la mise en place, pour tout cadre, de formations idoines : séances d’information, séminaires de sensibilisation surtout, stages pédagogiques dans des centres d’instruction militaires ou des écoles de management, destinés à faire acquérir aux figures du commandement les compétences psychologiques et relationnelles nécessaires. L’armée doit prendre conscience de la gageure, et le niveau des formations proposées s’avère satisfaisant. Toutefois les formations dispensées dans les disciplines des sciences humaines et sociales demeurent encore trop peu nombreuses dans notre pays.
Parallèlement aux dispositifs de formation, destinés à améliorer l’aptitude de tout chef à la communication interpersonnelle, une autre solution consiste à élaborer un vaste dispositif de communication interne : sondages d’opinion, enquêtes de satisfaction, journal interne, campagnes d’information, réseau intranet. L’armée est peu familiarisée avec les procédés favorisant une libre circulation de l’information et ayant le souci d’inscrire l’ensemble du personnel dans une relation d’échange et de véritable réciprocité avec le commandement, afin que tout militaire puisse en quelque sorte, s’approprier les projets de l’institution, et s’y impliquer ainsi davantage.
Le management au ministère de la Défense passe par cette indispensable compréhension de l’environnement professionnel dans lequel le personnel évolue, et les efforts que de tels éclaircissements impliquent, en termes de communication, de la part des différents échelons de la hiérarchie, rapproche le commandement du management ; ainsi on compare volontiers l’institution militaire, dans les discours officiels, à une « entreprise », et l’on évoque volontiers les relations entre les services et leurs « clients ».
Notre armée doit rentrer progressivement dans l’ère du consensus, pour le meilleur comme pour le pire. Tandis que les entreprises se sont longtemps inspirées du modèle militaire dans leur fonctionnement, ce sont aujourd’hui les militaires, anciens pionniers, qui sont à la traîne et se mettent à appliquer les règles du management civil.
Le défi de l’armée en pleine reconstruction consistera donc à rénover des valeurs et des modes de fonctionnement devenus caducs, ou incompatibles avec les aspirations des individus et un environnement social dont les repères ont été modifiés, tout en conservant des fondamentaux identitaires sans lesquels ne peuvent plus être réalisées les missions de défense. En dehors des cadres particuliers de crise et des unités proprement opérationnelles pour lesquels ne peut s’appliquer cette politique de changement, les objectifs peuvent (obéissance, efficacité…) demeurer globalement identiques. Seuls doivent être modifiés les moyens (interaction, explication…) qui permettent d’atteindre ces derniers, et plus précisément la forme sous laquelle ils se présentent.
En résumé, la relation doit s’efforcer de sauver le contenu ; mais aussi une redéfinition stratégique permettrait alors de redéployer des moyens pertinents et de déterminer des modes de communication cohérents avec la vision globale de l’institution, loin des improbables juxtapositions que l’on observe pour l’heure et des bricolages relationnels qui colmatent les brèches humaines avec plus ou moins de bonheur.