La résolution de la crise centrafricaine passe inéluctablement par la question du rétablissement de la confiance rompue entre les citoyens, la société civile, les partis politiques, les mouvements politico militaires et les institutions républicaines.
Aujourd’hui, confrontée à la plus grave crise de son histoire- après les drames, qui ont constitué, pour elle, les périodes de l’esclavage et de la colonisation- depuis son accession à la souveraineté internationale en 1960, la RCA continue de s’interroger, plus que jamais, sur son avenir et son destin. Les ressorts et causes de ce moment douloureux se situent, à notre avis, dans la question de confiance entre les différents acteurs qu’il faut rétablir impérativement si l’on veut ressouder le lien social distendu. La restauration du vivre ensemble, de la réconciliation nationale, de la cohésion nationale, du pacte républicain- que nous appelons de nos vœux- est à ce prix.
Aussi longtemps que cette question cruciale de la confiance entre Centrafricains, entre les Centrafricains et les différents protagonistes du conflit, ne sera pas résolue, toutes les tentatives de solutions- exogènes- importées de l’extérieur, n’associant pas ces différentes strates de la société, sont et seront vouées à l’échec. Le règlement de ce conflit centrafricain, qui a, certes, des ramifications et conséquences extérieures, est essentiellement centrafricain.
Mais le facteur « confiance » ne se décrète pas. Elle se cultive patiemment. Avec le concours – disions- nous- de toutes les personnes concernées.
Ainsi donc, la résolution de la grave crise centrafricaine sera envisagée, ici, à l’aune du rétablissement de l’impératif de confiance entre les citoyens (1), du rétablissement de l’impératif de confiance entre le citoyen et les institutions républicaines (2), de la restauration
du préalable de la confiance entre les citoyens, les partis politiques et la société civile (3), de la restauration du préalable de la confiance entre les partis politiques, les mouvements ou groupes armés- de nouveaux acteurs dans le paysage sociopolitique centrafricain- et les institutions républicaines (4).
1. Le rétablissement de l’impératif de la confiance entre les citoyens centrafricains entre eux
Unis par un seul et même destin- une patrie (la République centrafricaine), un hymne national (la Renaissance), une devise (Unité, Dignité, Travail) et une langue nationale commune (le Sango)-, les Centrafricains ne se font, malheureusement, pas suffisamment voire- jamais- confiance entre eux. Le Centrafricain a une fâcheuse tendance, celle portée à faire confiance spontanément à l’allochtone, à l’allogène au détriment de son concitoyen. Une situation, qui se vit, consciemment ou inconsciemment, dans la vie de tous les jours, dans la vie des affaires ou même dans la gestion des affaires publiques où il est arrivé et il arrive encore aujourd’hui que de structures importantes de l’Etat soient sous l’autorité d’agents d’origine étrangère.
Ce phénomène, typiquement centrafricain, est très difficilement observable, voire impensable dans beaucoup de pays du continent. Pour avoir voyagé dans certains pays notamment africains ou côtoyé des ressortissants de pays étrangers, je suis en mesure d’affirmer, sans ambages, que cette conception de gestion de la chose publique est inconcevable ailleurs. Elle peut même paraître troublante, étrange au regard des exigences du secret d’Etat requis pour assurer l’exécution du service public.
En mettant le doigt sur cette tare comportementale, je n’entends pas appeler le(s) Centrafricain(s) à un certain repli sur soi, qui n’aurait, d’ailleurs, pas de sens, de raison d’être mais plutôt à une once de sursaut national, de réveil patriotique ; à ressentir- un tant soit peu- l’amour, la proximité de son compatriote. Il ne doit pas considérer son frère ou sa sœur comme un adversaire. Encore moins un ennemi.
Ce (ou cette) concitoyen (nne) dont il s’en méfie, souvent à tort, peut avoir des qualités ou compétences techniques certaines ou être de probité morale indéniable, il aura tendance à préférer faire confiance à l’altérité venant de lointaine contrée. Cad celui qui vient d’ailleurs, le créditant spontanément- sans même le connaître suffisamment- du bénéfice du doute.
Dans les relations inter-personnelles, ce phénomène de suspicion systématique s’est amplifié avec la naissance des partis politiques et l’émergence des groupes armés, qui ont entraîné dans leur sillage des réflexes primaires de tribalisme, d’ethnocentrisme, de régionalisme, de népotisme et d’un communautarisme exacerbé.
Aujourd’hui, en Centrafrique, il n’est pas de très bon ton de porter une étiquette à connotation très confessionnelle. A la moindre étincelle, au moindre incident impliquant Chrétiens et Musulmans, cela peut valoir d’être désigné, malheureusement, à la vindicte populaire. Aux actes de criminalité, de cruauté commis sur des personnes se succèdent des représailles de même nature.
Sur le terrain politique, en RCA, on a vu des chefs d’Etat préférer confier la gestion de leur protection ou garde rapprochée, celle d’organismes publics relevant du bloc de compétence de la souveraineté nationale à des personnes non autochtones, convaincus que ces dernières étaient plus fiables qu’un national car moins enclines ou moins suspectes d’actes de trahison ou de félonie.
C’est dans ce même ordre d’idées que des pans entiers de l’économie nationale sont tenus, de tout temps, par des personnes d’origines étrangères. Les nationaux devant se partager la portion congrue.
Cette mentalité de défiance systématique vis-à-vis de son compatriote doit changer. Le salut de la nation, de la République requiert une vision insufflée à chaque Centrafricain et tournée vers l’esprit de concorde nationale. De fraternité.
Les données de l’ethnie, de la région ou de la religion ne doivent pas être les dénominateurs communs. Elles ne doivent pas dicter le comportement de l’individu vis-à-vis de son frère ou de sa sœur dans notre société.
Je saisis cette opportunité pour saluer le travail remarquable et inlassable fait par la Plateforme des confessions religieuses de Centrafrique emmenée par Son éminence l’Archevêque de Bangui, le Cardinal Dieudonné Nzapalainga, le Révérend Pasteur Nicolas Guérékoyamé et l’Imam Omar Kobine Layama, qui ne ménagent aucun effort pour renouer les fils du dialogue entre les différentes communautés centrafricaines afin de faire renaître le vivre ensemble.
La résolution de la crise centrafricaine, qui a sapé gravement les bases du vivre ensemble et menace la pérennité de la nation nécessite un changement de cette grille de lecture pour intégrer un autre paradigme, celui du rétablissement rapide de la confiance rompue entre les citoyens centrafricains entre eux.
Les pouvoirs publics nationaux- avant les locaux- ont un rôle important à jouer dans le renouement de cette confiance nécessaire pour raffermir le vivre ensemble.
2. Le rétablissement de l’impératif de la confiance entre le citoyen et les institutions républicaines
Force est de constater que le citoyen centrafricain- lambda- ne se reconnaît pas suffisamment dans les institutions républicaines issues de la Constitution. Il ne se sent pas suffisamment représenter par les institutions. Du moins, il considère que ses intérêts, ses besoins, ses préoccupations essentiels sont passés par pertes et profits par les pouvoirs publics.
Ce, pour plusieurs raisons. Principalement, parce que ses problèmes au quotidien ne sont pas pris en compte ou très insuffisamment pris en charge par les pouvoirs publics.
Plus globalement, ses problèmes concernent les enjeux de la sécurité- pouvoir vaquer librement à ses occupations en paix et en sécurité sur l’ensemble du territoire national-, de l’emploi- pouvoir avoir un travail pour assurer son autonomie matérielle et celle de sa famille-, du manger- pouvoir se nourrir tous les jours à sa faim ainsi que ses proches-, du logement- pouvoir se loger décemment dans les conditions optimales de sécurité-, de la santé- pouvoir assurer, en cas de besoin, les soins de santé primaire ainsi que ceux de sa famille, de l’éducation- pouvoir se former et envoyer ses enfants à l’école grâce à un enseignement public de qualité-, du vestimentaire- pouvoir s’habiller correctement-, d’une justice indépendante et équitable- pouvoir recourir aux institutions judiciaires s’il se sent léser dans ses droits fondamentaux.
Le gouvernement de la RCA doit s’attacher à se doter de services et d’institutions publics fiables pour susciter l’intérêt et l’adhésion du citoyen. Cela veut dire qu’il doit mettre en place une administration efficace, une police et une gendarmerie nationales et républicaines capables de protéger le citoyen. Une armée nationale et professionnelle susceptible d’être projetée sur l’ensemble du territoire de la République et recentrée sur ses attributions régaliennes de défense de l’intégrité du territoire national.
Le chef de l’Etat doit renoncer, impérativement, à constituer- comme c’est le cas habituellement- une soldatesque fidèle composée, généralement essentiellement de membres de son ethnie, dévouée à la protection de sa seule personne et à celle des membres de sa famille et prompte à mâter toute poussée insurrectionnelle ou fronde émanant de la société civile ou d’un segment de la population au nom de revendications légitimes ou catégorielles. Une soldatesque qui ne répond que de lui et ne dépend pas de la chaîne de commandement militaire. De la hiérarchie militaire.
L’armée doit être en symbiose avec la nation, être le reflet de la composition sociologique du pays. Elle doit être composée d’authentiques nationaux cad des fils et filles du pays.
Les autorités centrafricaines, ayant eu l’habitude d’intégrer, dans l’armée et les services de sécurité, des éléments étrangers, cela a entraîné un effet délétère, contre productif que nous payons cash aujourd’hui.
La crise structurelle centrafricaine n’y est pas complètement étrangère. L’institution militaire, dans son ensemble, envisagée comme la force la mieux organisée dans un pays doit pouvoir survivre au processus d’alternance démocratique.
L’Etat doit se préoccuper de mettre en place une justice indépendante qui dit le droit, rien que le droit et qui ne soit pas soumise, sujette aux puissances de l’argent ; à la corruption.
Le système éducatif et de formation professionnelle restructuré afin d’être adapté au marché du travail, doit être capable de former des citoyens opérationnels, employables sur le terrain.
Le système d’enseignement supérieur doit jouer son rôle de formateur de cadres capables de prendre le relais le moment venu, de relever les défis du développement.
L’Etat doit créer un environnement juridique et des affaires favorables au développement de l’initiative privée et des entreprises.
Il doit mener une lutte sans merci contre la fraude et la corruption endémiques, les passe-droits et les détournements de fonds publics, qui gangrènent les circuits administratifs.
En d’autres termes, toutes les missions de l’Etat et des collectivités territoriales doivent pouvoir être remplies dans les conditions optimales.
Cela induit, bien entendu, le parachèvement de la mise en place des institutions prévues par la Constitution. Nous pensons ici singulièrement aux élections locales cad municipales et régionales. Sans oublier, l’élection du Sénat, qui représente les collectivités territoriales.
C’est à cette condition que le citoyen centrafricain adhèrera à l’œuvre de (re) construction nationale, se sentira pris en compte par les pouvoirs publics, aura donc confiance dans son pays.
La résolution de la crise centrafricaine suppose le rétablissement de la confiance rompue entre le citoyen et ses institutions. Ceci n’exclut pas la part de responsabilité, incombe aux partis politiques et à la société civile.
3. La restauration du préalable de la confiance entre les citoyens, les partis politiques et la société civile
En RCA, sans être capables de produire un véritable projet de société ou programme politique, les partis politiques sont réduits à être conçus sur une base essentiellement ethnique ou régionale.
Du coup, le potentiel adhérent sera, la plupart du temps, tenté d’opérer un choix politique par rapport à son ethnie et/ou ses accointances personnelles avec le chef du parti ou un membre de la direction de ce parti et non pas sur la base d’une idéologie politique apte à prendre en compte l’ensemble des défis, qui s’imposent à la société.
Cette attitude a pour effet de fausser les règles du jeu du vote. Les éléments objectifs, qui sont censés sous-tendre le militantisme partisan sont balayés d’un revers de main au profit de considérations subjectives. Cela n’est pas sans incidence sur le devenir de la société.
La plupart des partis politiques n’ont pas été créés sur la base d’un corpus idéologique. Ce qui se traduit souvent, au moment des élections ou en dehors de celles-ci, par la conclusion d’alliances contre nature pour satisfaire un intérêt personnel. Les alliances ne se scellant pas sur la base d’un programme de gouvernement mais par rapport à l’attribution d’un strapontin ou d’un poste ministériel.
Ce qui a pour effet de se traduire, sur le terrain, par une désaffection des citoyens de la chose politique, matérialisée au moment des opérations électorales par une faible mobilisation des électeurs ; un taux de participation en deçà des standards internationaux.
Les électeurs se sentent un peu floués par l’appétit des politiques.
Pour être suffisamment attractifs, les partis politiques doivent être ou devenir des partis nationaux, représentatifs sur le plan sociologique cad être capables de recruter dans toutes les couches de la société et dans les 16 régions (préfectures) que compte le pays.
Ils doivent être capables de produire ou disposer d’un projet de société en prise directe sur les enjeux nationaux. C’est à ce prix que le citoyen centrafricain pourra se sentir en confiance, en sécurité.
Les formations politiques doivent jouer leur rôle constitutionnel d’organes chargés de contribuer à l’animation de la vie politique et de concourir à l’expression du suffrage universel.
Dans l’opposition, elles doivent rester des forces de proposition, former, en leur sein, des sortes de Shadow Cabinet à l’anglaise. Car, elles ont vocation à gouverner.
Le citoyen a le sentiment-à tort ou à raison- que les partis politiques ont une part de responsabilité dans la déliquescence de l’Etat et la décrépitude du pays ayant engendré le chaos. C’est ce qui peut expliquer que le Centrafricain ne se presse pas de s’encarter.
Mais c’est peu de dire que l’élite politique a failli à sa mission d’éducation à la culture politique et à la culture du civisme vis-à-vis du militant.
En RCA, faute de moyens principalement, les associations de la société civile ne sont pas suffisamment structurées- donc puissantes- à l’instar de certaines de leurs homologues du continent comme au Sénégal ( Y en a marre), au Burkina Faso (Balai citoyen) ou dans une moindre mesure au Bénin, où elles jouent un rôle crucial dans la conscientisation du citoyen aux grands enjeux nationaux et où elles ont contribué à l’avènement de l’alternance démocratique dans leurs pays.
C’est aussi le cas en RDC (Filimbi ou le comité laïc catholique) où les associations de la société civile jouent tout autant un rôle important dans l’enracinement de la démocratie.
Les partis politiques et la société civile doivent se donner les moyens matériels et intellectuels pour encadrer les citoyens, les former à la culture politique et à la culture citoyenne afin de susciter leur intérêt et leur adhésion à leurs visions et leurs projets.
Je rappelle que les confessions religieuses centrafricaines ont joué et continuent de jouer un rôle très important dans la pacification du pays. C’est, aujourd’hui, la force la mieux organisée.
La résolution de la crise centrafricaine suppose donc la restauration de cette confiance rompue entre les citoyens d’une part et les formations politiques et les organisations de la société civile d’autre part.
4. La restauration du préalable de la confiance entre les partis politiques, les mouvements armés, nouveaux acteurs atypiques dans le paysage socio politique centrafricain et les institutions républicaines
Attirés par les avantages, les délices et autres prébendes du pouvoir, les formations politiques et les groupes armés jouent des coudes pour parvenir à leurs fins cad conquérir le pouvoir de l’Etat par des voies constitutionnelles pour les uns et- hélas- non constitutionnelles- par la force- pour les autres.
Non regroupés au sein d’une alliance, ils se regardent en chien de faïence, Obnubilés- pour ceux qui ne sont pas aux manettes- par l’idée d’arriver à gouverner l’Etat (présidence de la République, gouvernement, Assemblée nationale, Sénat) et/ou les instances des collectivités territoriales (les Communes ou les villes, les régions).
Les formations politiques ne parvenant pas toujours à disposer d’une majorité politique, à l’Assemblée nationale, pour gouverner, doivent être capables de construire des alliances politiques sur la base d’un programme politique défini afin de gérer l’Etat et/ou, le cas échéant, les collectivités territoriales.
Si, les années 2006, ont vu apparaître, brutalement, sur la scène nationale de nouveaux acteurs sociopolitiques atypiques, en l’occurrence, les groupes armés, qui ont, par la suite essaimé sur l’ensemble du territoire national, c’est, entre autres, parce-que l’offre politique censée être générée au niveau national, du pouvoir central à Bangui n’a pas été satisfaisante cad à la hauteur des enjeux.
Si, d’autre part, les revendications de certains groupes armés ont pu paraître fondées à un moment donné- abandon de régions entières de l’intérieur du pays à la misère et à la pauvreté, détérioration sans précédent des services sociaux de base, absence de la présence de l’Etat due à la mauvaise gouvernance, etc.-, leur modus operandi (mode opératoire) est, toutefois, sérieusement discutable. Voire contestable dans un contexte de démocratie.
Le règlement d’un problème de fond, politique ne s’obtient pas en recourant à la voie armée. A des méthodes militaires, à des méthodes violentes. C’est dans le cadre des institutions de la République, de la démocratie cad par le dialogue et la concertation que les problèmes nationaux doivent être résolus. Les armes ne règlent rien et n’ont jamais rien réglé.
Bien au contraire, elles contribuent à complexifier davantage la nature des problèmes.
Nous considérons que la déconcentration ou la décentralisation, modes de gestion administrative de proximité cad au plus près des collectivités territoriales et, qui rapproche l’administré de l’administration, est une option à privilégier car elle est propre à régler les problèmes des villes et des régions en Centrafrique. Il faut pour cela, libérer les préfectures (14) sous contrôle des groupes armés.
Grâce au mécanisme de péréquation,-que j’ai déjà évoqué abondamment dans mes précédents écrits- l’Etat, au niveau central, pourra corriger les inégalités entre les collectivités territoriales dans le cadre d’une vaste politique d’aménagement du territoire ou d’égalité territoriale.
L’Etat doit pouvoir se déployer sur l’ensemble du territoire national.
La RCA doit rester une et indivisible.
En conclusion, la résolution de la grave crise centrafricaine, qui tend à devenir structurelle- si les conditions de dégradation de la situation se prolongent dans le temps-, nécessite la restauration du préalable de la confiance entre les différents protagonistes que sont les citoyens, la société civile, les partis politiques, les groupes armés et l’Etat. La communauté internationale devant continuer à jouer un rôle d’accompagnement.