Bangassou (Centrafrique) - "Plus tard, je veux travailler dans l’informatique". Les yeux levés vers un tableau noir où s’alignent les noms de Steve Jobs et Bill Gates, Husseina, 17 ans, déplacée musulmane de Bangassou (sud-est de la Centrafrique) rêve d’un avenir meilleur.
Depuis que son collège a été fermé, Husseina n’a pas d’autre choix que de suivre les formations de fortune dispensées par des adultes au petit séminaire de Bangassou, où elle s’est réfugiée il y a un an avec les autres musulmans de la ville - environ 1.500 personnes - sans possibilité d’en sortir.
En mai 2017, un groupe armé antibalaka avait attaqué la ville, faisant 76 morts selon l’ONU. Bangassou vit depuis sous leur coupe, au rythme des violences, des caprices de la soldatesque et des rivalités entre chefs.
Seule force d’interposition présente, la Mission de l’ONU en Centrafrique (Minusca) tente de protéger ces déplacés reclus dans le séminaire catholique.
Ils sont menacés en permanence par les antibalaka, qui les accusent de connivence avec les groupes armés à dominante musulmane de l’ex-rébellion de la Seleka.
Fin 2017, quand le collège jouxtant le site de déplacés a fermé à cause de tensions intercommunautaires, Husseina et une centaine d’enfants musulmans ont été privés d’école.
Depuis, des parents tentent de leur apprendre divers métiers avec les moyens du bord.
- Word, Excel et couture -
"Les enfants étaient déprimés, alors on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose", raconte Djamaldine Salet, un déplacé qui a créé, en décembre 2017, au sein du séminaire le Centre d’apprentissage de la promotion informatique (Capi).
Au programme: maîtrise du clavier, apprentissage des logiciels Word, Excel... Quarante heures de cours par semaine dispensées à 40 enfants par Djamaldine Salet, avec des moyens rudimentaires.
Avec seulement deux ordinateurs, sans accès à internet, le Capi ne peut pas étancher la soif d’apprendre de tous les jeunes.
A quelques mètres de là, Moustapha Seck, penché sur sa machine à coudre, termine la confection d’une chemise, sous le regard attentif de ses trois apprentis.
"Ils ne partent pas à l’école, alors il faut bien qu’on les forme", explique le vieil homme qui a créé une association dans l’enceinte du séminaire regroupant treize petits ateliers qui forment une trentaine de personnes.
"Quand le collège a fermé, plusieurs jeunes sont venus me voir", se souvient de son côté Mahamat Ali, cordonnier qui forme huit apprentis. "Certains sont déjà capables d’ouvrir leur propre cordonnerie", se félicite-t-il.
Sa principale difficulté est de trouver des outils et du matériel pour réparer les chaussures des déplacés: impossible de sortir du site sans risquer sa vie.
- Méfiance réciproque -
"On a du reconstruire tous les outils sur place", raconte Mahamat Ali, en découpant une semelle dans un pneu usé.
Pour Oumanou, alias "CFAO", du nom de cette entreprise qui revend des voitures en Afrique et qui s’est improvisé moniteur d’auto-école, l’approvisionnement en carburant est le principal souci.
Avec son vieux pickup Toyota déglingué, il dispense des cours de conduite. "Le plus difficile, c’est d’avoir du carburant. J’aimerai aussi avoir des matériaux pour faire des panneaux de signalisations", explique-t-il, les mains dans le cambouis, au milieu du terrain de football bordé par des sacs de sable qui protègent le séminaire des tirs des antibalaka.
Ces formations sont aussi un moyen de détourner les enfants du climat de violence qui les entoure. "Les gens (de la ville, ndlr) accusent nos jeunes d’être des tueurs, mais ce sont eux qui les ont fabriqués!", s’exclame Djamaldine Salet. Il admet juste que "certains enfants qui ne vont plus à l’école sortent du camps pour voler et commettre des violences".
A plusieurs reprises ces derniers mois, des déplacés armés ont pris à partie des commerces et habitants de la ville.
Mais Djamaldine Salet en est persuadé, la paix passera aussi par l’éducation.
Sa dernière idée? Ouvrir sa formation informatique aux jeunes de la ville: "Les enfants du site ont peur des enfants à l’extérieur et vice versa... La formation permettrait de renouer les liens".