Les évêques centrafricains, au terme de leur assemblée ordinaire du mois de juin, jettent un regard sur la situation socio-politique de leur pays ainsi que sur le phénomène de la sorcellerie qui se répand.
Jean-Pierre Bodjoko, SJ – Cité du Vatican
A l’issue de leur assemblée ordinaire, du 18 au 24 juin 2018, à Berbérati, les évêques de la Centrafrique ont publié un message qui est focalisé en grande partie sur la situation socio-politique du pays. Ainsi, ils manifestent leur joie en apprenant l’entrée dans la ville de Bangassou d’un contingent des Forces Armées Centrafricaines.
Les évêques centrafricains condamnent cependant la présence récurrente des rebelles Siriri à Dilapoko et Noufou dans les sous-préfectures de Gamboula et d’Amadagaza. En outre, ils se disent peinés d’apprendre les violents affrontements entre des groupes armés à Ndélé, Bria ainsi que sur l’axe M’brès-Bandoro.
Phénomène complexe de la sorcellerie
Aussi, ils rappellent au Gouvernement, à la Communauté internationale et aux groupes armés que l’Autorité de l’Etat est non négociable et par conséquent ne peut faire l’objet d’un quelconque marchandage.
Rappelant aussi la préoccupation de leur Conférence épiscopale en 1996 sur les problèmes liés à la sorcellerie, les pasteurs de l’Eglise de Centrafrique font remarquer qu’encore aujourd’hui ce phénomène de sorcellerie connait une recrudescence sur toute l’étendue du territoire et affecte toutes les couches sociales en cette période où l’autorité de l’Etat ne s’exerçant pas partout, cède la place à la justice privée et à la vindicte populaire.
Pour eux, ce phénomène complexe de la sorcellerie, fondé sur la peur, ne justifie en rien la justice populaire qui nuit à la vie d’autrui, à la bonne entente et engendre des séquelles durables de division au sein de la population.
Ainsi, évêques centrafricains soutiennent que la lutte contre ce fléau qui cause tant de morts dans des familles et dans leur société passe par la mise en œuvre d’une justice forte, garante du droit pour les victimes.
Voici l’intégralité du Message des évêques centrafricains
MESSAGE DES ÉVEQUES DE CENTRAFRIQUE À L’ÉGLISE FAMILLE DE DIEU,
AUX HOMMES ET AUX FEMMES DE BONNE VOLONTE.
« Ayez toujours en main le bouclier de la foi » (Ephésiens 6,16)
Chers frères et sœurs en Christ,
et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté,
Réunis en Assemblée ordinaire des Evêques de Centrafrique à Berbérati, du 18 au 24 juin 2018, nous avons appris avec joie l’entrée à Bangassou d’un contingent des Forces Armées Centrafricaines (FACA) qui a été ovationné, et chaleureusement accueilli par les populations locales. La sortie massive de ces dernières exprime leur attente pour le rétablissement de l’autorité de l’Etat et de la sécurité des personnes vivant dans le Mbomou en général et à Bangassou en particulier. Telle est aussi l’attente du peuple centrafricain tout entier.
Cependant, nous condamnons la présence récurrente des rebelles Siriri à Dilapoko et Noufou dans les sous-préfectures de Gamboula et d’Amadagaza. Ces lieux qui étaient tranquilles voient désormais leurs habitants privés de liberté de mouvement. Par ailleurs, les rebelles qui sont revenus dans la ville de Bambari et ses environs, ne cessent de s’opposer au rétablissement de l’autorité de l’Etat par les attaques sur les forces de défense et de sécurité nationale et la MINUSCA, les braquages et les tueries. Ils constituent ainsi un facteur d’insécurité aux nombreuses conséquences : déplacements des populations, destruction et confiscation de leurs biens, ralentissement du processus de réconciliation et de reconstruction…
Par ailleurs, nous avons été peinés d’apprendre les violents affrontements entre des groupes armés à Ndélé, Bria ainsi que sur l’axe M’brès-Bandoro. Ces affrontements se sont soldés par des pertes en vies humaines, la perturbation des épreuves écrites du baccalauréat et le déplacement des populations. Cette recrudescence des violences donne l’impression qu’en dépit de tous les différents accords signés par ces mêmes groupes, nous ne faisons que du sur-place. Il ne se dégage aucune envie de faire avancer les choses positivement. En effet, nous constatons avec étonnement et amertume l’arrivée de nouveaux mercenaires qui rendent difficile la résolution de la crise.
Ces violences rappellent les événements douloureux de l’assassinat de l’abbé Joseph Désiré ANGBABATA et ses paroissiens à Séko dans le diocèse de Bambari et du drame sans précédent qui a emporté la vie de nos frères et sœurs à la paroisse Notre Dame de Fatima de Bangui dont l’abbé Albert TOUNGOUMALE BABA. Nous nous posons des questions par rapport à toutes ces violences sans fin, ces souffrances inutiles et ces victimes innocentes. Nous condamnons fermement ces actes de terrorisme qui jouissent des complicités au niveau interne. Nous en appelons à la conscience de tout Centrafricain et des protagonistes de cette crise que toute vie humaine est sacrée et au-dessus des considérations égoïstes (Gn 1,26-27).
Nous rappelons au Gouvernement, à la Communauté internationale et aux groupes armés que l’Autorité de l’Etat est non négociable et par conséquent ne peut faire l’objet d’un quelconque marchandage. Nous attendons du Gouvernement et de la Communauté internationale des actions décisives pour que les auteurs des crimes soient arrêtés et traduits devant la Justice. Il n’y a pas de réconciliation ni de développement durable sans justice ! L’impunité et l’amnistie que certains tentent de nous imposer ne nous apporteront pas la paix. Car elles portent en elles-mêmes les germes d’autres crises.
La Conférence Episcopale Centrafricaine, en 1996, s’est penchée sur les problèmes graves liés à la sorcellerie. En 1997, elle a publié une lettre pastorale intitulée « ‘‘la vérité vous rendra libres’’. La sorcellerie » pour faire le point et donner quelques pistes de réflexions ainsi que des directives pratiques. Aujourd’hui, le phénomène de sorcellerie connait une recrudescence sur toute l’étendue du territoire et affecte toutes les couches sociales en cette période où l’autorité de l’Etat ne s’exerçant pas partout, cède la place à la justice privée et à la vindicte populaire. Voilà pourquoi dans la perspective de la thématique de notre formation sur « la sorcellerie et la foi chrétienne », nous condamnons l’insidieux phénomène de la sorcellerie qui sème la peur, le soupçon, la méfiance, la désolation, fait fuir les jeunes des villages, divise les familles et les communautés, freine le développement de notre pays, entraîne la mort… Les victimes des accusations de la sorcellerie sont le plus souvent des personnes vulnérables, faibles et sans défense, notamment les veuves, les orphelins, les vieillards et même certains déplacés. Quand quelqu’un est accusé de sorcellerie, il est poursuivi, humilié, torturé et lynché, jusqu’à ce que mort s’en suive. Certains sont enterrés vivants après avoir subi des sévices corporels de toutes sortes. Ces pratiques sont contraires au Décalogue qui dit en Dt 5,17 « Tu ne tueras pas » et viole notre Constitution qui défend la dignité de la personne humaine. La plupart des auteurs de ces actes ignobles sont souvent des jeunes qui pensent faire du bien à la communauté.
Ce phénomène complexe de la sorcellerie, fondé sur la peur, ne justifie en rien la justice populaire qui nuit à la vie d’autrui, à la bonne entente et engendre des séquelles durables de division au sein de la population. Au fait, c’est souvent la haine, la jalousie, l’orgueil, la calomnie, la paresse, l’envie de gain facile, qui sont à la base des accusations de sorcellerie. Néanmoins, nous ne devons jamais oublié que l’homme est exposé par sa fragilité aux maladies, aux accidents, aux échecs, à la méchanceté des autres, à la mort. Ce qui, pour la plupart des cas, n’a rien à voir avec la sorcellerie, mais relève tout simplement des causes naturelles. Dans de tels cas, pourquoi ne pas procéder à un diagnostic médical pour déterminer la véritable cause du mal et y remédier en administrant des traitements appropriés ?
Face à cette situation, certains de nos chrétiens perdent les repères de leur foi et s’adonnent au syncrétisme. Ils se réfèrent plutôt aux nganga et aux charlatans. Que font-ils donc de leur foi en Dieu à qui rien n’est impossible (cf. Lc 1,37) ? En effet, la Parole de Dieu réaffirme en plusieurs endroits dans la Bible que la puissance de Dieu est plus forte que celle du démon et que seule la foi en Jésus Christ, Fils de Dieu, Vainqueur du mal, des ténèbres et de la mort, sauve (cf. Mt 17,18 ; Lc 4,35 ; Jn 4,42). Cette foi se manifeste et se vit dans l’Eglise et dans le monde. Dans l’Eglise, nous sommes éclairés par la Parole de Dieu et soutenus par les sacrements. Dès lors, un vrai chrétien trahirait sa foi s’il s’adonne aux pratiques de la sorcellerie prescrites par les nganga tout en accédant aux sacrements. La lutte contre ce fléau qui cause tant de morts dans nos familles et dans notre société passe par la mise en œuvre d’une justice forte, garante du droit pour les victimes. Pour nous croyants, elle passe aussi par l’approfondissement de la foi, la prière, l’amour et le pardon. « Ayez toujours en main le bouclier de la Foi » (Ephésiens 6,16).
Que la Très Sainte Vierge Marie, Notre Dame de l’Espérance, intercède pour nous !
Donné à la paroisse Sacré-Cœur de Berbérati, le 24 juin 2018