Après avoir constaté et documenté 143 actes de violence depuis 2018, Najat Rochdi, coordonnatrice humanitaire, dans une interview accordée au RJDH, se dit outrée par ces forfaits et plaide pour la libre circulation des humanitaires dans le pays. Appel fait la semaine dernière à Bangui.
RJDH : Mme Najat Rochdi, bonjour
Najat Rochdi : Bonjour.
RJDH : Vous êtes coordonnatrice humanitaire. Nous enregistrons ces derniers temps des attaques contre des acteurs humanitaires dans la Nana Gribizi, la Ouaka et l’Ouham. Quelles est votre réaction face à ces attaques ?
NR : D’abord nous saluons les efforts que vous menez en diffusant des informations dans le cas d’espèce à la population. Il est évident que nous sommes tous outrés par ces attaques perpétrées contre les acteurs humanitaires qui sont là pour travailler auprès de la population en toute impartialité et neutralité. Juste pour savoir quelle ampleur il s’agit, depuis janvier 2018 jusqu’à ce jour, il y’a eu 143 actes de violences ayant affecté directement les organisations humanitaires.
Et comme vous l’avez si bien dit, les préfectures les plus touchées sont la Nana-Gribizi, la Ouaka, la Haute-Kotto et l’Ouham. En attaquant les acteurs humanitaires, on attaque au fait quelque part les populations civiles parce que dès qu’il y’a attaque contre les humanitaires, il y’a évidemment des mesures de mitigations, de sécurité qui sont prises. Et les ONG se retrouvent dans l’obligation de suspendre leurs activités, alors dans cette situation qui paie le prix ?
C’est la population civile et les communautés qui sont face à l’interruption de cette assistance qui, dans la plupart des cas, leur est nécessaire. Ce que aussi nous déplorons et que moi je condamne fermement est l’attaque contre les structures sanitaires, les hôpitaux, et les ambulances, ce qui empêche les humanitaires d’aller chercher un blessé pour lui porter assistance à l’intérieur d’un hôpital, juste à cause de son ethnie, de sa religion ; c’est vraiment inacceptable. Et donc je lance un appel solennel à tous les groupes armés, à tous ceux qui prennent des armes contre les structures sanitaires, contre les humanitaires, contre les bâtiments religieux d’arrêter ces actes et de respecter leurs engagements en ce qui concerne le processus de paix entamé ici dans le pays.
RJDH : Actualité oblige, les activités humanitaires tournent au ralenti dans la Ouaka après les attaques et les pillages des structures sanitaires par les groupes armés. Quelle est la politique de la coordination humanitaire face à cette situation ?
NR : Vous savez, il faut quand même retenir quelque chose, c’est que les humanitaires n’ont pas quitté les lieux occupés ; ils sont restés et çà il faut le souligner. Ils ont certes réduit leurs activités et cela était absolument nécessaire pour un souci de sécurité ; il fallait réduire les équipes afin qu’elles soient sécurisées. Les attaques ont eu un impact négatif important notamment l’exemple d’un hôpital régional qui a été directement attaqué avec des conséquences néfastes importantes ayant eu comme effet le retrait d’un acteur humanitaire fondamental et aussi capital. Ce qui a été fait en ce temps est que nous avons continué les évaluations et ce que je peux vous rassurer est que les activités ont repris timidement cependant parce que les incidents ne se sont pas arrêtés mais c’est toujours dans cet engagement de bien évidement, non seulement d’apporter l’assistance aux déplacés mais aussi aux familles d’accueil. Car le phénomène que nous avons remarqué est que lorsqu’il y’a violence sur les personnes se refugient dans les familles d’accueil, dans les communautés hôtes, ce qui nécessite une opérationnalisation de notre assistance.
RJDH : Peut-on encore parler dans ce contexte du passage des urgences aux objectifs de développement en Centrafrique ?
NR : Oui, en Centrafrique nous avons des situations différentes en fonction des préfectures et des sous préfectures. Donc la méthodologie et la stratégie du travail adoptée est que là où nous devons continuer à faire du relèvement, nous allons le faire et là ce n’est pas seulement les humanitaires ; nous allons le faire avec les acteurs au développement, les partenaires et le gouvernement. Il ne faut pas surtout baisser les bras, parce que si on doit tous tomber dans le piège de l’urgence, cela veut dire que nous sommes en train de ne pas donner une chance à ces urgences de se terminer.
Et l’objectif ultime est de ne pas rester mais de continuer dans la vulnérabilité de la population, de ne pas rester uniquement dans l’aide d’urgences humanitaires mais c’est au contraire d’équiper la population pour qu’elle sorte de sa fragilité, qu’elle sorte de sa vulnérabilité, qu’elle commence à générer des revenus pour qu’effectivement on passe progressivement à une vie normale d’un côté et de l’autre côté si les conditions sécuritaires le permettent, que les déplacés internes regagnent leurs villages d’origine.
Nous avons un bon exemple à ce niveau, il s’agit de la ville de Paoua. Comme vous le savez,à la fin de l’année dernière et au début de cette année, il y’a eu des évènements qui ont déplacé plus de cent mille déplacés internes. Et nous sommes tous satisfaits des efforts qui ont été faits par tous les acteurs que ça soit humanitaires et sécuritaires pour qu’aujourd’hui 80% de ces déplacés puissent déjà regagner leurs villages d’origine. C’est çà l’objectif ultime.
RJDH : Mme la Coordonatrice, le plan de réponse humanitaire 2018 est encore sous financé. Les acteurs humanitaires disposeront-ils de moyens pour répondre aux besoins urgents des populations vulnérables?
NR : Nous sommes aujourd’hui à vingt deux pour cent de financement comparativement à d’autres pays ; je dirais qu’on est mieux que d’autres et çà c’est grâce à tout le travail de plaidoyer qui a été fait. Je vous remercie de cette opportunité et profite de votre micro pour renouveler l’appel à tous les donateurs, à tous les partenaires de continuer à financer l’assistance humanitaire mais de travailler aussi avec les acteurs de relèvement pour qu’on puisse finalement surmonter la situation. Les besoins humanitaires ne se termineront pas si les projets de relèvement ne commencent de manière exponentielle.
RJDH : A Genève à la fin du mois de Mai 2018, vous avez fait un plaidoyer pour plus de soutien à la Centrafrique qui continue de vivre dans une crise humanitaire de grande envergure. Y’a t elle une suite à votre plaidoyer?
NR : oui si nous sommes passés de 8 à 22% cela signifie qu’il y’a une continuité dans les financements. Mais ce qui est important de souligner avec l’appui des bailleurs est qu’il ne faut pas se focaliser exclusivement sur les besoins financiers mais surtout expliquer ce que nous avons fait avec les financements reçus l’année dernière. Vous savez qu’en 2017 nous avons reçu un plan de réponse financé à 50% et il a fallu rendre compte à nos bailleurs.