Le pays, l’un des plus pauvres au monde, a accueilli 27 000 réfugiés cette année et tente une intégration basée sur l’autonomie économique. Mais l’équilibre est fragile.
Les cochons sont en laisse. Accrochés aux branches des manguiers, aux poteaux des buts du terrain de football, aux piquets des auvents en paille. C’est le signe que la saison agricole a débuté. Détachés, les porcins risqueraient de déterrer les graines qui viennent d’être plantées. Dans tout le sud du Tchad - la région forestière du pays, à la frontière de la Centrafrique -, on trace des sillons dans les champs. Les enfants ne vont plus à l’école, d’ailleurs fermée pour cause de grève nationale, ils sont mobilisés pour le labour : les plus jeunes conduisent les maigres bœufs, les aînés, un peu plus lourds, pèsent sur la houe.
Des dizaines de milliers de cultivateurs rongent pourtant leur frein. Les réfugiés centrafricains qui ont traversé la frontière en début d’année, chassés par la guerre, attendent de recevoir des semences pour rejoindre le mouvement général. «Il faut planter maintenant ! Avec la sécheresse, la saison a été un peu repoussée, mais les pluies ont commencé, on ne peut pas différer plus longtemps. Pour les arachides et le sorgho, notamment, nous allons arriver trop tard», s’impatiente Léon Benone Mahamat, 45 ans. L’homme flotte dans une grande blouse de travail bleue. Il est le représentant des 2 300 réfugiés établis au village de Dilingala, qui compte 2 500 habitants. Le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations unies les a installés ici le 5 juin, en vertu d’une nouvelle doctrine baptisée «approche hors camp», qui préfère relocaliser les Centrafricains à proximité immédiate des villages tchadiens plutôt que de construire des sites isolés. Ceux-ci avaient tendance à maintenir les réfugiés dans un état de dépendance vis-à-vis de l’aide humanitaire pendant de longues années, juge le HCR. «Etant donné la situation en République centrafricaine, leur retour à moyen terme est très peu probable. La solution est donc l’intégration, explique Olivier Brouant, chef de bureau d’Echo, l’agence de protection civile et d’aide humanitaire de la Commission européenne, qui a organisé et financé la visite des camps de réfugiés centrafricains pour huit médias européens, dont Libération. Depuis trois ans, nous avons élaboré une nouvelle stratégie. Sur les 27 000 personnes qui ont franchi la frontière en 2018, 20 000 vivent hors camp. Plutôt que de construire une école pour les réfugiés, nous agrandissons l’école du village, par exemple. De même pour les centres de santé.»
«Ceinture de sécurité»
Léon Benone Mahamat ne dispose pas encore d’un abri du HCR - il vit dans une tente collective, tout comme ses deux femmes et ses sept enfants - mais il a négocié un lopin de terre cultivable de 2 hectares avec un habitant de Dilingala. Son champ est là-bas, quelque part dans la forêt, il suffit de défricher. Cet ancien pharmacien est un débrouillard : il y a deux jours, il a monté un petit atelier de menuiserie et vend déjà tables et sièges à 2 000 francs CFA (3 euros). «Si je fais de la qualité, les gens du village aussi viendront acheter ici», espère-t-il.
La greffe du site de réfugiés est scrutée de près par les humanitaires, qui font leur possible pour éviter un rejet. Leur tâche est facilitée par le fait que les deux «tissus» partagent un ADN commun : de part et d’autre de la frontière, les communautés parlent la même langue, appartiennent aux mêmes ethnies, ont parfois des liens familiaux. «L’autre point positif est l’attitude des autorités tchadiennes. Ce pays, l’un des plus pauvres du monde, a accueilli ces dernières années des centaines de milliers de personnes du Darfour, du Nigeria, de Centrafrique, sans que jamais leur arrivée n’ait été instrumentalisée sur le plan politique, précise Olivier Brouant. Contrairement à ce que l’on redoutait, l’accès à la terre a été relativement aisé car des consignes nationales ont été données.»