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Lu pour vous : En Centrafrique, un parfum de guerre froide

Publié le lundi 16 juillet 2018  |  africain.info
RDC-Centrafrique
© Autre presse par DR
RDC-Centrafrique : quand les barrages routiers financent les groupes armés
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« Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes doit être défendu coûte que coûte, et il demeure absolument inimaginable que des pays comme la Centrafrique soient plus longtemps dépossédés de leur souveraineté »

La France serait-elle en train de perdre pied en Centrafrique ? Les récents événements le laissent supposer. Depuis l’indépendance accordée en 1960, ce pays enclavé, grand comme l’hexagone, n’a jamais cessé de vivre sous la tutelle de l’ancien colonisateur. On se souvient notamment du couronnement grotesque de l’empereur Bokassa Ier, financé par son « cher cousin » Valéry Giscard d’Estaing, ou encore de l’influence du colonel Mansion, officier supérieur de la DGSE et véritable mentor du président André Kolingba, au pouvoir de 1981 à 1993.

Depuis le déclenchement de la crise en 2012, la France joue toujours un rôle très controversé en République centrafricaine. Brouillé avec l’ancien président François Bozizé en raison de l’hésitation de ce dernier à confier l’exploitation de l’uranium centrafricain à Areva, l’Elysée a donné sa bénédiction à son renversement. Le président tchadien Idriss Deby, allié historique des militaires français, s’est chargé de réunir dans sa capitale N’Djamena une armée prête à fondre sur la République Centrafricaine. Cette horde de mercenaires, recrutée dans le nord de la Centrafrique mais aussi au Tchad et au Soudan, a été baptisée Seleka (« alliance » en sango). Elle a pénétré dans Bangui en mars 2013, après avoir mis en déroute la faible armée centrafricaine et un François Bozizé qui, sur le tard, s’est livré à de coupables exactions. Une fois au pouvoir, la Seleka a ouvert la boîte de Pandore en créant de toutes pièces des rivalités interconfessionnelles, les 85 % de chrétiens et les 15 % de musulmans ayant auparavant vécu en bonne harmonie. En réaction aux crimes d’une Seleka à majorité musulmane, se sont constituées des milices chrétiennes, les anti-Balaka qui, dans un regrettable amalgame, s’en sont pris non seulement aux mercenaires mais aussi aux musulmans qui vivaient à leurs côtés depuis plusieurs générations, dans la paix et la concorde.

Toutefois, avoir une lecture uniquement confessionnelle de la crise centrafricaine serait une grave erreur. Le véritable drame de la Centrafrique réside non seulement dans l’incompétence de ses dirigeants successifs, l’ingérence souvent désastreuse de la France, l’indifférence de la communauté internationale mais aussi et surtout dans l’extraordinaire richesse de son sous-sol. En effet, ce pays regorge de plus de 700 indices miniers (or, coltan, manganèse, pétrole, uranium et bien sûr les fameux diamants, si chers à Bokassa…) qui attirent inévitablement les convoitises. C’est notamment l’une des raisons pour lesquelles la paix n’est toujours pas revenue et que l’opération militaire française Sangaris, initiée par François Hollande en décembre 2013 pour tenter de mettre un terme aux massacres, s’est soldée par un retentissant échec.

Viols. Depuis octobre 2016, la France a mis un terme à Sangaris et ne subsiste plus sur place qu’un petit contingent, d’autant plus impuissant que la crédibilité de l’armée française a été sérieusement mise à mal par les accusations de viols sur des enfants centrafricains. La MINUSCA, la mission des Nations Unies en Centrafrique, est certes forte de plus de 12 000 hommes mais ne parvient pas à endiguer le tsunami de violences qui continue à déferler sur ce pays meurtri. Au contraire, les casques bleus sont régulièrement accusés de collusion avec les milices, ex-Seleka ou anti-Balaka, quand ils ne se rendent pas coupables d’abus sexuels et d’exploitation sauvage des richesses du sous-sol.

La petite lumière dans les ténèbres, que fut l’élection (presque) démocratique de Faustin-Archange Touadéra à la tête du pays en 2016, a bien vite été mise sous le boisseau. Cet ancien Premier ministre de Bozizé s’est révélé incapable d’être l’Homme providentiel que tous les Centrafricains attendaient, et aujourd’hui au moins 10 des 16 préfectures du pays se trouvent encore sous la coupe des groupes armés. Les anti-balaka écument le nord-ouest, de Bouar à Bossangoa en passant par Bozoum. A l’est, dans les préfectures du Mbomou et du Haut-Mbomou, les évangélistes extrémistes de la LRA (Armée de résistance du seigneur) sèment la terreur sous la direction d’un Joseph Kony qui demeure toujours insaisissable, en dépit du mandat d’arrêt délivré par la CPI. Au centre, la ville de Bambari, une des plus importantes du pays, demeure sous la coupe d’Ali Darassa, un mercenaire peul d’origine guinéenne qui exploite les nombreuses richesses de la région de la Ouaka, le fer, le cuivre et l’or, quand il n’affronte pas les milices anti-balaka locales. Enfin, au nord et au nord-est, la menace la plus sérieuse pour le pouvoir de Bangui vient sans doute des ex-Seleka, qui se sont réorganisés aux marches de la Centrafrique, du Tchad et du Soudan dans une région gorgée de matières premières (en pétrole notamment, avec le gisement de Boromata). Les ex-Seleka s’appellent désormais FPRC (Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique) et restent dirigés par le tchadien Noureddine Adam, ancien chef militaire de la Seleka, homme lige d’Idriss Deby en Centrafrique, responsable de multiples exactions sur les populations civiles, ce qui lui a valu des sanctions internationales.

Le régime de Touadéra a très vite compris que la France n’a ni les moyens ni la volonté de l’aider à rétablir la souveraineté de l’Etat centrafricain sur tout le territoire. Par le truchement de l’opération Barkhane, les faucons de l’hôtel de Brienne concentrent désormais tous leurs efforts sur le Sahel et la lutte contre le terrorisme islamiste, quitte à s’allier avec des présidents autoritaires comme Idriss Deby au Tchad ou Mohamed Ould Abdelaziz en Mauritanie. Voilà pourquoi le pouvoir en place à Bangui s’est mis à la recherche de nouveaux partenaires. En octobre 2017 à Sotchi, une rencontre entre Touadéra et le ministre des affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a permis l’arrivée des Russes en Centrafrique. Très vite, et malgré l’embargo, des armes ont été livrées pour aider à la restructuration des FACA (Forces armées centrafricaines). Des mercenaires, appartenant à des sociétés militaires privées dont la très célèbre Wagner, ont débarqué à Bangui, sous prétexte de former les soldats centrafricains. Une partie d’entre eux s’est d’ailleurs installée à Bérengo, dans le palais abandonné de Bokassa, ce qui a déclenché les protestations de la famille de l’empereur et poussé au départ du gouvernement de son fils, le Ministre de l’administration du territoire, Serge Bokassa.

Le Kremlin dans le jeu. Au début, la France ne s’en était pas offusquée. Emmanuel Macron et son Ministre des affaires étrangères, l’incontournable Jean-Yves Le Drian, n’étaient pas hostiles à l’idée qu’une autre puissance fasse ce que l’armée française n’était plus capable de faire, à savoir remettre un peu d’ordre dans le bourbier centrafricain. Toutefois, il est très vite apparu que les Russes jouaient leur propre partition et étaient bien décidés à mettre en sourdine l’influence tricolore dans l’ancien Oubangui-Chari. Le professeur d’université Touadéra, bonhomme mais aussi falot et influençable, s’est laissé séduire en quelques mois par les envoyés de Moscou. Il s’est notamment séparé des Rwandais qui composaient sa garde présidentielle et confié sa sécurité rapprochée à des mercenaires russes. Il a également embauché comme conseiller à la sécurité Valeri Zakharov, dont l’influence va grandissante et dont on dit qu’aucune décision d’importance n’est prise au Palais de la renaissance (la présidence centrafricaine) sans son aval. Dernièrement, alors que les Français ont voulu livrer à l’armée centrafricaine des armes confisquées à des pirates somaliens au large de la Corne de l’Afrique, la Russie y a opposé un refus catégorique, s’affirmant comme l’unique interlocuteur du pouvoir centrafricain, au détriment de l’ancien colonisateur.

Il faut dire que le jeu en vaut la chandelle. Car les sociétés militaires privées russes sur place, appuyées politiquement par Moscou et financièrement par la Chine, ont clairement des visées prédatrices sur le sous-sol centrafricain. A l’ouest, dans les environs de Berberati, l’exploitation des diamants a déjà commencé. Dans la préfecture de la Lobaye, juste au sud de Bangui, des mafieux originaires de Moscou pillent sans vergogne le bois précieux dont cette région regorge en abondance.

Et la Centrafrique n’est pas la seule concernée. C’est un véritable arc d’influence russe qui est en train de se dessiner, du Soudan à l’Angola, de Khartoum à Luanda en passant par Bangui et Kinshasa. Au Soudan, la Russie entretient des accointances avec le président Omar El-Bechir, au pouvoir depuis 1989. Le FSB, les espions russes, fournissent un soutien logistique précieux aux services de renseignement soudanais. Des mercenaires de Wagner sont stationnés à Khartoum, tandis que d’autres patrouillent le long de la frontière disputée avec le Sud-Soudan. Ils offrent un soutien de poids au régime chancelant d’El-Bechir, affaibli par la partition avec le Sud-Soudan en 2011 et par les récentes manifestations contre la vie chère. En Angola, une collaboration économique et même spatiale a été entamée, les russes lançant le premier satellite de télécommunications angolais depuis leur base de Baïkonour. En République démocratique du Congo, ce géant aux pieds d’argile, l’arrivée des hommes de Poutine pourrait sauver la mise au président Joseph Kabila, qui doit normalement quitter le pouvoir à la fin de l’année. En effet, avec l’appui de Moscou, Kabila tente de contrecarrer l’initiative rwando-angolaise, soutenue par la Belgique et du bout des lèvres par la France. Les présidents rwandais Paul Kagamé et angolais Joao Lourenço s’escriment vaille-que-vaille à organiser un dialogue en RDC qui aboutirait au respect de l’accord de la Saint-Sylvestre de 2016 et à l’organisation d’élections générales (sans Kabila). Les Russes font tout pour faire capoter cette initiative et ont récemment conclu avec le président congolais un accord de coopération militaire, qui doit déboucher sur la signature d’autres contrats, notamment dans le domaine minier. Chez les héritiers de l’URSS, l’ingérence politique se double immanquablement d’un affairisme dénué du moindre scrupule.

C’est pourquoi il convient de ne pas surestimer l’ambition russe au sud du Sahara. Beaucoup y voient le retour en force d’un certain hubris soviétique, réminiscence du temps où Brejnev soutenait les mouvements de libération en Afrique au nom de la lutte contre le camp de l’Ouest. Il y aurait un plan machiavélique qui permettrait à la Russie de supplanter à moyen terme d’autres puissances et notamment la France. Or l’affairisme aux relents mafieux des investisseurs russes, la présence de mercenaires de sociétés privées plutôt que de troupes régulières, le manque d’intérêt de Poutine pour le continent africain comparé au Moyen-Orient, laisse plutôt penser à un opportunisme mercantile qu’à une tentative de rebâtir un Empire sur la terre rouge d’Afrique. Mais cette intrusion inquiète, en premier lieu à Paris, qui dans les faits voit son pré carré réduit à peau de chagrin en Centrafrique.

Come back français. La réaction ne s’est pas fait attendre. En juin dernier, Jean-Yves Le Drian s’est rendu au Congo-Brazzaville et au Tchad rencontrer ses « amis personnels », les autocrates Denis Sassou-Nguesso et Idriss Deby. Le principal sujet de discussion a été la Centrafrique, et cette fameuse menace venue des confins de l’Europe. Il faut dire qu’Idriss Deby a aussi des raisons de s’inquiéter du bouleversement géopolitique engendré par l’arrivée des Russes. Le soutien de Poutine à Omar el-Bechir pourrait-il remettre en cause l’équilibre trouvé avec la signature de l’accord de paix tchado-soudanais de 2010 ? Pendant toute la décennie 2000, le Soudan s’est ingénié à renverser le régime de Deby, soutenant les rébellions tchadiennes les unes après les autres sans qu’aucune d’entre elles ne parviennent à s’emparer de N’Djamena. Le Tchad a fait de même, parrainant notamment le MJE (Mouvement pour la justice et l’égalité) de Khalil Ibrahim, qui a lancé un raid sur Khartoum en 2008.
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