L’octroi d’une amnistie générale dans le cadre du dialogue politique en République centrafricaine serait incompatible avec l’obligation pour le gouvernement de juger les responsables des graves crimes internationaux devant les mécanismes habilités, selon les cinq organisations suivantes : Amnesty International, Human Rights Watch, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH), la Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme, et l’Observatoire Centrafricain des Droits de l’Homme.
Un dialogue politique entre l’Union africaine et les groupes armés est prévu le 27 août. Le dialogue vise à aboutir à un accord politique pour mettre un terme aux violences qui persistent. Aucun des nombreux accords déjà signés depuis 2012 n’ont pu se maintenir, comme en témoignent les violences récentes dans la province Nana-Gribizi près de Mbrès.
Plusieurs propositions formulées par les différents groupes armés laissent entrevoir une amnistie généralisée. La feuille de route élaborée par l’Union africaine et par les autorités centrafricaines énonce toutefois un principe directeur selon lequel « l’impunité n’a jamais constitué une solution durable pour les crises récurrentes ».
« Le dialogue politique ne peut servir d’excuse pour oublier les victimes et les atrocités qui ont été commises » a déclaré Me Mathias Morouba, avocat des victimes et président de l’Observatoire Centrafricain des Droits de l’Homme. « Il est impensable que des personnes responsables et complices des crimes les plus graves puissent s’arroger une amnistie à la table des négociations, et cette idée doit être rejetée sans condition par le gouvernement. »
En 2015, le Forum de Bangui, qui avait réuni plus de 800 représentants de la société civile, des organisations communautaires, des partis politiques et des groupes armés venus de tout le territoire, ont fait de la justice l’une de ses principales recommandations, spécifiant qu’aucune amnistie ne serait tolérée pour les auteurs et complices des crimes internationaux. Le forum a reconnu que le manque de justice en Centrafrique depuis 2003 a été une des causes principales des crises successives. Les organisations estiment que cette priorité doit guider toute initiative de dialogue à venir.
Les groupes armés qui seront à la table des négociations sont suspectés d’avoir commis de nombreuses exactions contre les populations civiles telles que des meurtres, viols, des cas d’esclavage sexuel, de torture, de pillage, de persécutions et de destructions d’édifices religieux. Les individus responsables de ces actes peuvent être poursuivis pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Onze des 14 groupes armés demandent également l’intégration de leurs éléments au sein du gouvernement, parmi les 77 revendications émises au mois de juillet.
La feuille de route élaborée par l’Union africaine et par les autorités centrafricaines indique que certains membres des groupes pourraient être autorisés à intégrer le gouvernement et les forces armées, sans toutefois préciser les critères d’une telle intégration. En outre, les individus impliqués dans les crimes graves commis doivent être exclus des ministères et des forces armées.
« L’incertitude considérable qui entoure ces différentes rencontres et l’agenda des discussions alimentent les craintes de résurgence de la violence. Pour nous, la ligne rouge est très claire : il ne peut plus y avoir d’impunité pour les auteurs et responsables des crimes commis en Centrafrique », a déclaré Joseph Bindoumi, président de la Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme.
Le dialogue se déroule au moment où la justice centrafricaine se renforce, comme le montre l’ouverture d’une nouvelle session criminelle à Bangui qui a débutée en juillet. La Cour pénale spéciale, une nouvelle cour nationale ayant pour mandat de juger les crimes de guerre et crimes contre l’humanité est sur le point d’engager les premières enquêtes après l’adoption en mai de son règlement de procédures et de preuves. La Cour opère avec le soutien et l’appui de la communauté internationale. Pour promouvoir la paix, le gouvernement et ses partenaires internationaux doivent continuer à soutenir les juridictions ordinaires ainsi que la Cour pénale spéciale.
« Cela n’est pas surprenant si les mesures visant à échapper à la justice se manifestent aujourd’hui, quand les procédures judiciaires s’intensifient, » a déclaré Paul Nsapu Mukulu, Secrétaire général de la FIDH. « Plus qu’auparavant, la société civile doit être engagée dans le dialogue politique pour faire en sorte que les intérêts et droits des victimes soient respectés. »