Détail assez symptomatique d’un malaise national, les contractuels de l’hôpital de M’Baïki dans la Lobaye sont en grève depuis quelques jours.
Un élément seulement d’un jeu de domino dramatique mettant exergue l’aggravation de la paupérisation dans les provinces centrafricaines livrées à elles-mêmes.
ETRE FONCTIONNAIRE, PAS UNE GARANTIE DE SURVIE
Le cas de M’Baïki met en lumière la distorsion existant entre les discours politiques à Bangui, et leurs applications sur le terrain.
La présidente de la transition Catherine Samba-Panza annonçait la gratuité des soins pour les personnes vulnérables, notamment les femmes et les enfants.
Une promesse qui n’engageait qu’elle. Comment pourrait-elle l’honorer ?
Cependant, si courant mars 2014 les choses se déroulèrent à peu près correctement grâce à une aide d’offre de lots de médicaments de l’ordre des pharmaciens de Brazzaville au Congo à la Croix Rouge Centrafricaine (CRCA), mais pour essentiellement quatre centres de santé, deux à Bangui et deux dans la commune de Bimbo.
C’était l’hôpital Elisabeth Domitien et celui de Bégoua dans la commune de Bimbo ainsi que ceux de Guitangola et de SOS Gbangouma à Bangui.
Pour le Dr Fernand Etienne Gbagba, chef du département santé en action sociale à la CRCA : « Cette distribution va s’étendre dans certains hôpitaux des villes de provinces, et la dernière phase de distribution va concerner les formations sanitaires de Mbaïki, Boali et Damara. »
Mais ceci, c’était en mars dernier.
Depuis des ONG ont pris la suite, mais de manière inégale et inconstante, d’ou la grève actuelle à M’Baïki.
La parole de Catherine Samba-Panza ne vaut que de par les bons vouloirs des ONG en Centrafrique.
Car avec un pays en état de déliquescence plus qu’avancé, le gouvernement ne peut tenir aucune de ses promesses, et certainement pas celle d’assurer la gratuité des soins sur tout le territoire national.
Et à M’Baïki, les contractuels de santé sont censés être payés par un comité de gestion financé par deux ONG devant prendre en charge les salaires.
Mais, un seul mois de salaire versé depuis juillet dernier.
Quant aux médicaments, c’est la rareté qui fait loi.
Plus haut dans le M’bomou, les fonctionnaires de cette préfecture accusent déjà entre 5 et 8 mois d’arriérés de salaire.
Plus “haut” à Kaga-Bandoro par exemple, les retards atteignent même les 12 mois.
Les mêmes retards peuvent être constatés dans toutes les autres préfectures.
Une situation qui agace à Birao. Pour Gildas, un fonctionnaire parlant sous anonymat : “C’est tout pour Bangui quand il y a un peu d’argent, et nous en province, on n’existe pas. Pourtant on continue de travailler malgré tout, comme on peut.”
Ainsi, à la crise politico-militaire, s’ajoute ses conséquences économiques.
Comment, sans rétributions de leur travail, les fonctionnaires peuvent-ils faire face aux obligations des charges d’éducation de leurs enfants ?
Comment payer les loyers ? Se nourrir, se vêtir ? Vivre tout simplement ?
Les arriérés de salaires se sont multipliés, accentuant les souffrances des fonctionnaires, et par ricochet des populations.
En Centrafrique, les traitements des fonctionnaires et agents de l’Etat doivent être versés le 5 de chaque mois….en théorie.
UNE TOTALE DEPENDANCE DE L’EXTERIEUR
Sans remonter jusqu’aux atermoiements du passé, depuis la crise aiguë à laquelle fait face le pays, il est devenu à 100% financièrement dépendant du bon vouloir et des diktats de la Banque Mondiale et du FMI, le Fond Monétaire International.
Ainsi, depuis presqu’un an, La Banque mondiale contraint les autorités centrafricaines à signer un accord de financement de paiement des salaires des fonctionnaires quatre mois renouvelables, et après avoir procédé à chaque fois à des contrôles préalables.
30 millions de dollars en principe devaient affectés à cette mission d’urgence.
Un fonds fiduciaire multipartenaires a ainsi été mis en place, et placé sous la gestion du PNUD, qui, à la suite d’un exercice de vérification mené en mai 2014 a produit une liste de 20.000 fonctionnaires agréés.
Comme il n’existe plus d’Etat, et avec la crise et le chaos administratif, la Banque mondiale procède au nettoyage des fichiers de la fonction publique pour faire la chasse aux fonctionnaires fictifs qui, avec la crise, ont quitté leur poste pour se réfugier hors du pays, tout en continuant à percevoir leur salaire, quand ça arrive.
Le PNUD en mai avait transféré à la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC) la bien maigre moitié d’une somme totale de 4,6 millions de dollars en provenance du Fonds de consolidation de la paix des Nations Unies, qui couvrirent les salaires des policiers et gendarmes pour les mois de mai à août 2014.
PRIORITE AUX FORCES DE L’ORDRE
Pour Aurelien Agbenonci, le Représentant résident du PNUD en République centrafricaine : « Si la police n’a pas de système de paiement adéquat, il est peu probable qu’elle aidera au maintien de l’ordre et à faire appliquer la loi. Dans la situation actuelle, qui est extrêmement volatile, s’assurer qu’ils reçoivent un salaire est un bon début. »
Mais voilà, dernièrement, c’est l’Ambassade de France à Bangui qui était obligée de prendre en charge les frais de nourriture (3€ par jour) des gendarmes sur le terrain.
Les fonctionnaires ne sont pas payés depuis 5 mois.
Reste donc à trouver l’argent pour payer les arriérés des salaire.
De manière pathologique, les caisses du Trésor centrafricain sont toujours désespérément vides, et chaque tentative pour lever des fonds soulève tout une kyrielle de paperasses administratives de la part des bailleurs internationaux.
Pour enclencher un peu de décaissement de la part des autres partenaires de la RCA, il faut à chaque fois se plier à tout un jeu complexe de ronds de jambe administratif.
Une lourdeur procédurale n’aidant pas ce pays vivant sous apnée, et dramatiquement incapable de s’auto-subvenir depuis des décennies, nonobstant ses inestimables potentiels, notamment miniers – qui étrangement font son malheur.
FRONDE SOCIALE
La réalité des arriérés des salaires des fonctionnaires et des agents de l’Etat est en vérité une problématique très floue.
En janvier, Catherine Samba Panza à peine en poste, “gelait” le paiement des salaires de novembre 2013 à janvier 2014. Ce qui les rendait donc non comptables. Ils n’existaient tout simplement plus…Evaporés…
Là, seul le mois de septembre 2014 a été versé, octobre est donc déjà dans les arriérés.
Les syndicats poussent, et exigent au moins du gouvernement centrafricain le versement d’au moins deux mois de salaires, comme promis par Catherine Samba Panza de verser “deux sims” (mois) – terme emprunté à la téléphonie mobile.
Mais depuis, au Palais de la Renaissance, la musique qui en sort les déçoit. Et un bouc émissaire est tout trouvé : les Anti-Balaka.
La présidence se déclare être dans « l‘incapacité d’honorer cette promesse, notamment à cause des derniers troubles causés par les Anti-Balaka.»
Gel des salaires, une vieille pratique en RCA
Le terme “Gel des salaires” en Centrafrique n’est qu’un doux euphémisme pour maquiller le fait qu’il faille mettre une croix sur les salaires impayés (gelés).
C’est ainsi que depuis Bokassa, des arriérés de salaires furent ‘gelés’ selon l’expression par le pouvoir du moment, et donc jamais payés.
François Bozizé par exemple ne considéra les salaires qu’à partir de son mois de coup d’état, mars 2003, passant ainsi à la trappe plus de 40 mois d’arriérés de salaire des fonctionnaires des périodes Passées.
Catherine Samba-Panza jouant de la rhétorique parle elle de “salaires mis en suspens” et pouvant être régularisés à partir de septembre 2014.
Nous sommes en novembre 2014.
URGENT BESOIN DE CASH
Le grand paradoxe de l’aide internationale est qu’une institution ne s’implique que si une autre l’a fait auparavant.
La Banque Mondiale et le Fond Monétaire Internationale (FMI) ne “pouvaient” pas agir en Centrafrique si la France n’apurait pas la dette de ce pays envers le FMI.
Chose faite, en septembre, la France a effacé les dettes de la Centrafrique auprès du FMI.
Dès lors, des “facilités” financières peuvent être mises en place.
En juin le FMI a commencé à verser une première tranche dite de facilité de crédit rapide de 13,925 millions de dollars, soit l’équivalent d’environ 7,5 milliards de francs CFA, ou plus précisément de DTS ou “Droits de tirage spéciaux”, ce qui revient à dire à faire fonctionner la planche à billets de F CFA – à créer artificiellement de l’argent.
Ce qui endette la Centrafrique sans ruiner le FMI, car cet argent n’existe pas. Ne le sera uniquement qu’au fur et à mesure que la RCA le remboursera. Vicieux !
Une mission du FMI menée par le togolais Ekué Kpodar était cette semaine à Bangui, afin d’évaluer les besoins de trésorerie du pays.
(Voir Communiqué de presse : http://www.lanouvellecentrafrique.info/communique-de-presse-du-fmi/)
En bilan de l’évaluation, si l’année 2014 pourra se boucler à peu près correctement, le FMI estime qu’il faudra au minimum 80 milliards de francs CFA pour combler annuellement les besoins minimaux de financement de l’Etat soit environ 151 600 000 de dollars, le budget d’une petite ville de moins de 30.000 habitants en France.
Ajoutée à l’assistance du FMI, les contributions des partenaires de développement porteraient le montant total de l’aide budgétaire extérieure en faveur de la République centrafricaine à environ 80 milliards de francs CFA pour 2014. Car beaucoup de pays de la sous région ont mis la main à la poche pour aider.
Ce qui équivaut au budget estimatif du pays, étant donné que la République Centrafricaine depuis deux ans navigue à vue sans un budget national défini et voté, ni même avec un prévisionnel basique de trésorerie.
2015 dans l’angoisse
Selon une source du ministère des finances, les aides déjà reçues permettent de survivre jusqu’à début février 2015, pas plus loin….
En septembre, la Banque africaine de développement (BAD) et l’Union européenne ont versé leur quote part promis, respectivement 11 et 16 milliards de francs CFA.
La Banque mondiale était déjà intervenue en avril pour payer les salaires des fonctionnaires.
En matière de rentrée fiscale ?
Depuis septembre 2014, selon le FMI, la République Centrafricaine est officiellement devenue le pays le plus pauvre du monde.
Les rentrée fiscales (essentiellement des taxes douanières) pour 2014 n’excéderont pas les 25 milliards de F CFA.
PROMESSES NON TENUES
L’indienne Navi Pillay, femme extraordinaire avait pris à coeur le cas centrafricain lorsqu’elle était encore la Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU :
« Les dirigeants de l’Etat m’ont fait comprendre, qu’en réalité, il n’existait pas d’Etat. Il n’y a pas d’armée nationale cohérente, ni de police, ni de système judiciaire, pratiquement pas de lieux de détention des criminels, ni de moyens de les juger. [..] Tous ceux que j’ai rencontrés ont mis l’accent sur la nécessité urgente de rétablir la loi et l’ordre – notamment grâce le déploiement de policiers et de gendarmes bien formés. Cependant, avec si peu de ressources disponibles même pour payer leurs salaires, il semble y avoir peu en matière de planification sérieuse pour assurer non seulement que cela se produise, mais se produise rapidement ».
En janvier 2014, avec tambours et trompettes, la communauté internationale annonçait à Addis-Abeba lors d’un sommet de l’Union Africaine qu’elle mobiliserait 500 millions de dollars pour financer les besoins humanitaires en République centrafricaine.
Personne depuis n’a vu la couleur de cet argent en Centrafrique, ni même eut écho de ceux qui firent des promesses sans suite dans cette sorte de “Téléthon”.
Promesses non tenues…
Un diplomate de l’Union Européenne à Bruxelles croit en connaître les raisons :
« Cela est assez triste à dire, mais beaucoup de pays ayant pris des engagements solennels en janvier dernier pour aider ce pays ont reculé. Oui c’est très triste à dire. Ils ne comprennent pas cette étrange crise sans fin, dont ils ne parviennent pas à en comprendre les tenants et les aboutissants. Ce n’est pas une guerre civile au sens propre du terme, mais quelque chose comme un retour à la barbarie animale sans explication, avec ces massacres horribles, ces actes de cannibalisme. C’est un pays qui se suicide. On ne peut pas aider une personne qui persiste à vouloir se suicider. Du coup, les regards qui un temps s’étaient attardés là bas se sont détournés ailleurs. »
UNE IMAGE BROUILLEE…OU SAMBA-PANZA ET LES OCCASIONS MANQUEES
L’espoir d’un véritable changement pour rendre la Centrafrique attractive s’alluma en janvier, lors de l’élection à la romaine à la présidence du pays de Catherine Samba-Panza, mais l’engouement retomba vite.
L’originalité d’une femme au pouvoir tourna vite gadget !
Le contenu du produit Samba-Panza ne correspondait pas à l’excitation suscitée par l’étiquette du paquetage.
Femme paradoxale semblant ne pas avoir su prendre le pouls du terrible drame que vit le pays, qu’elle se refuse toujours à visiter, elle nourrit une doxa contre elle, et brouillera d’avantage le perçu du pays à l’international par la même.
On l’espérait moderne, visionnaire, meneuse allant au charbon, rompant avec les vieille habitudes, les vieilles pratiques prédatrices de ses prédécesseurs,, mais à leur instar, renoue aux roueries de la mal gouvernance, cultivant le clanisme, le “m’as-tu-vu” de ses tapis rouges à la moindre de ses sorties “in city”, une honnêteté à caution, le jeu de défense des intérêts personnels et le clientélisme.
Un terrible défi à relever lui faisait face pourtant, requérant le meilleur d’elle-même.
Elle s’y est fracassée, écroulée sous son poids, en entretenant des comportements politiques irrationnels et puérils, comme ces collusions interlopes avec les groupes rebelles qu’elle est censée combattre, ce qui en quelques mois a vite convaincu la communauté internationale de ne plus lui faire confiance.
Et sans confiance, pas d’argent…. Tout du moins, au compte goutte.
Reste à subir les fourches caudines de la Banque Mondiale et du FMI, les “dealers” pour les pays pauvres, qui en font toujours des tonnes pour libérer quelques milliers de Francs.