Depuis quelques temps, deux courants de pensée s’entrechoquent sur la tenue des prochaines élections générales. Pour les uns, la précarité sociale ne permet pas la tenue de celles-ci dans un bref délai. Les défenseurs de ce courant estiment qu’il serait souhaitable que les Autorités de Bangui résolvent d’abord les défis primordiaux (Résurgence de l’état, Restructuration des Forces Armées Centrafricaine, Sécurité, Relance de l’économie, justice etc…) qui s’imposent au pays avant que les scrutins tant attendus aient lieu. En revanche, le second courant de pensée soutient l’idée selon laquelle les élections doivent absolument se tenir en 2015 en vue de sortir le pays de l’impasse.
Au moment où le débat continue de défrayer la chronique dans les médias nationaux, l’Autorité Nationale des Élections annonce, par le truchement de son président, trois (3) dates indicatives pour les différents scrutins. A entendre le patron de l’ANE, le mois de Mai 2015 serait consacré au Référendum Constitutionnel et les mois de Juin-Juillet 2015 pour les deux tours des élections générales. A première vue, l’idée semble noble mais elle cache une incertitude qui mérite d’être passée au crible de la raison critique.
Il n’est un secret pour personne que les trois (3) dates indiquées par l’ANE font partie intégrante des « périodes plages » de la saison pluvieuse. Durant cette période, les villes excentriques sont généralement inaccessibles à cause de l’impraticabilité de certaines routes et de la défectuosité des ponts reliant une ville à une autre. On n’a point besoin d’acheter le diplôme de l’étude cartographique de la centrafrique pour mener à bien un tel débat; même un collégien serait en mesure de démontrer à quel point les prévisions électorales de l’ANE sont intenables.
A titre illustratif, les villes de Bakala et de Kouango (préfecture de Ouaka), de Ndjoukou (Préfecture de Kemo), de Mogoumba (Préfecture de la Lobaye), de Nola (Préfecture de Sangha Mbaéré) sont desservies par un bac qui fonctionne d’ailleurs en dent de scie. En pleine crue, ces bacs sont immobilisés pour des raisons qui n’échappent à personne. Le président de l’ANE est-il conscient de cette réalité rurale ? De plus, les routes sont à la fois impraticables pendant la saison sèche et même pire pendant la saison pluvieuse. Pour preuve l’axe reliant la sous-préfecture de Grimari à celle de Kouango est un tronçon de moins de 130 Km mais les usagers l’effectuent généralement en huit (8) heures de route.
Non seulement la route est désuète mais les quatre (4) ponts, qui la relient également aux deux villes, sont hyper défectueux. Si certains voyageurs, souvent dotés d’une ténacité implacable, empruntent cette voie lors de la saison sèche, elle se transforme sans coup férir en un véritable parcours du combattant pendant la pluie. Même cas de figure sur l’axe Ngalafondo-Ndjoukou. On raconte que les ruraux de ces deux localités ne se souviennent plus de la dernière réfection de cette route par les services des Travaux publics.
On est tenté de demander au président de l’ANE de partir ne serait-ce qu’en villégiature dans les villes de Ndjoukou et de Kouango avant de proposer des dates fantaisistes pour les prochaines échéances électorales. D’ores et déjà, certains analystes pensent que le patron de l’ANE voulait juste faire un effet boule-de-neige à travers les trois (3) dates indiquées. Selon eux, l’idée sous-jacente de l’ANE consiste à tirer la tenue du scrutin en longueur jusqu’en 2016.
Quoiqu’on rallonge la durée de la transition, les maux qui minent la Centrafrique resteront intacts. Qu’on le veuille ou pas les prochaines élections ouvriront la voie à une autre transition beaucoup plus formelle. En un mot, le prochain président aura la lourde tâche de réconcilier les Centrafricains entre eux et de résoudre les questions de la sécurité, du désarmement, de la pacification de tout le pays etc…Que l’on soit réaliste, le nouveau régime ne viendra pas inventer la roue mais son mandat devra plutôt être un mélange de consensus et de reconstruction participative.
Au lieu que l’ANE surfe sur des dates utopiques, elle ferait mieux de porter la chaussette du réalisme électoral. C’est pourquoi nous nous faisons le devoir d’utiliser les mots pour combattre ces maux.
Rodrigue Joseph Prudence MAYTE
Chroniqueur,Polémiste