Il est à peine huit heures en cette matinée de janvier à Alindao, l’une des six sous-préfectures de la Basse-Kotto, au sud de la Centrafrique. Sur le site du camp « catholique » de personnes déplacées, quasiment vidé de ses résidents, l’école Madinga, un établissement de cours primaire d’un effectif de 1.047 élèves. Sur la dizaine de ses salles de classes, quatre ont encore leurs toitures, ayant échappé à l’incendie meurtrier et au pillage qu’a connu le camp lors des récentes attaques de novembre dernier.
Sur place, des enseignants s’activent tant bien que mal à mettre les enfants en rang. Un enfant s’écarte de la file et se met à larmoyer en se plaignant d’avoir faim... mais encouragé par son instituteur, l’enfant regagne le rang et, comme ses camarades, se met à fredonner la Renaissance, l’hymne national de la Centrafrique. Puis les écoliers entrent, par petits groupes, dans les salles de classe et s’asseyent... à même le sol, soulevant un petit nuage de poussière.
D’un pas décidé, le directeur de l’école, Samedi Macaire Kindego, fait le tour des classes pour distribuer des bâtons de craies à ses enseignants mais aussi pour s’assurer que tout va bien. « Un bâton de craie blanche par classe. Nous n’avons pas de craie de couleur. Elles coutent trop cher. Et puis, nous essayons de gérer rationnellement le peu de stock que nous avons ». Le stock en question est en réalité un paquet de craie acquis grâce à la générosité d’un officier du bataillon rwandais de la MINUSCA, dont la base se trouve tout juste en face de l’école Madinga. « La proximité du camp avec l’école explique certainement la raison pour laquelle certains éléments rwandais se sont pris de sentiment pour ces enfants. De temps en temps, certains d’entre eux nous donnent mille ou deux mille francs FCA ; et c’est avec cet argent que j’achète de la craie », révèle M. Kindego, lui-même rescapé.
En effet, Samedi Macaire Kindego, tout comme une grande partie des habitants du camp, a été victime des affrontements meurtriers du 15 novembre 2018. Un jeudi noir pour Alindao et ses environs qui ont été le théâtre d’affrontements violents entre des éléments armés ex-Selekas de l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC) et anti-Balakas, occasionnant des pertes en vies humaines, la fuite massive des déplacés internes et des destructions de biens. « Les miens et moi n’avions eu la vie sauve qu’en nous cachant dans la forêt, mais nous avons tout perdu. Ils ont tout brûlé », témoigne-t-il, essayant de refouler ses émotions.
Mais ce passionné de l’enseignement ne s’est pas laissé démonter par ces tristes évènements. Il a reconstruit son habitation, puis s’est attelé à la recherche de ses élèves, dont certains ont trouvé refuge dans des localités voisines telles Datoko, à une dizaine de kilomètres d’Alindao. Guidé par sa seule détermination, il a réussi à ramener une dizaine de gamins, dont la plupart dorment chez lui. Nombre d’entre eux ont perdu leurs parents lors des violences. Aujourd’hui, 327 écoliers ont repris les cours, ainsi que cinq instituteurs dont deux titulaires et trois parents qui s’improvisent enseignants. Les autres titulaires, eux, ont trouvé refuge à Bangui.
Le directeur confie que l’une des raisons qui l’ont motivé à rouvrir les portes de son établissement est la présence effective du bataillon rwandais de la MINUSCA, déployé en renfort aux lendemains des événements, tout comme les casques bleus gabonais. « Leur présence nous rassure. Mais ce n’est pas suffisant pour faire fonctionner l’école. Nous n’avons plus de fournitures, plus rien. », dit-il, visiblement dépité.
Vers neuf heures, une clochette retentit, et la grande cour de l’école est prise d’assauts par les cris de ses petits pensionnaires. « C’est tout pour aujourd’hui. Nous essayons de ne pas garder les enfants trop longtemps en classe parce que la plupart d’entre eux sont venus le ventre vide. L’idée, c’est de faire en sorte qu’ils ne perdent pas les habitudes », conclut Samedi Kindego, avec l’espoir d’une reprise effective dans un proche avenir.
Et c’est pour eux, à l’instar de autres habitants d’Alindao, que les casques bleus de la MINUSCA y ont établi une présence renforcée, afin de prévenir de nouveaux affrontements tout en sécurisant le retour des déplacés. La protection des civils est aussi à ce prix.