Cinq décembre 2013 au matin: une explosion de haine embrase Bangui. Des centaines de cadavres jonchent les rues quelques heures avant le déclenchement de l'opération militaire française Sangaris. Un an plus tard, les massacres à grande échelle ont cessé en Centrafrique mais le pays est ruiné et déchiré
"Les habitants proches de la morgue de l'hôpital communautaire ne pouvaient pas respirer l'air nauséabond de la putréfaction des cadavres. C'était en réalité l'enfer", se remémore Euloge Kendzia, informaticien, à l'évocation de ce sombre décembre 2013.
Après le feu vert de l'ONU, la France - ancienne puissance coloniale - a lancé l'opération Sangaris (2.000 hommes) pour tenter de casser la spirale de violences intercommunautaires née du renversement du régime de François Bozizé en mars 2013 par une coalition rebelle à dominante musulmane, la Séléka, dirigée par Michel Djotodia.
Les exactions sans fin de combattants Séléka contre la population très majoritairement chrétienne du pays avaient abouti à la formation de milices d'auto-défense, les anti-balaka, qui à leur tour s'en sont prises aux civils musulmans, contraints de fuir des régions entières.
Ces violences ont fait au moins plusieurs milliers de morts et plongé le pays (4,8 millions d'habitants) dans une crise humanitaire sans précédent.
- Sangaris, 'c'est Zorro' -
Un an plus tard, trois forces internationales sont présentes en Centrafrique: Sangaris, Minusca (ONU) et Eurof-RCA (Union européenne). Les tueries ont cessé à Bangui. Mais la criminalité reste très élevée du fait de la profusion des armes et de la misère. Et en province, des bandes armées continuent de sévir dans un pays où l'Etat a disparu de régions entières, après des décennies de troubles et d'incurie.
"C'est la force Sangaris qui a abattu le gros du travail sécuritaire (...) Il reste que dans tout ce qui se fait par Sangaris et les autres forces internationales, les forces de défense nationales sont inexistantes", relève un officier des forces armées centrafricaines (FACA) sous couvert d'anonymat en rappelant que la Centrafrique n'a plus de réelles forces de sécurité.
"Sangaris, pour moi, affirme Suzanne Nguéléndo, commerçante, c'est Zorro. Nous étions en train de mourir comme des mouches. Nous étions massacrés par les ex Séléka. Mais la force Sangaris leur a donné le tournis comme Zorro le fait avec les bandits".
Dans Bangui, "ce sont les soldats français de Sangaris ajoutés à ceux de la force européenne qui ont manœuvré pour que le PK-5 (dernier retranchement des musulmans de la ville) renoue progressivement avec les activités commerciales et une paix progressive", abonde Ahmed Boro Adam commerçant au PK-5.
Dans ce contexte, "Sangaris entame une adaptation de son dispositif sur un format de +force de réaction rapide+ au profit de la Minusca. Elle sera marquée par une baisse des effectifs et une densification des moyens", indique-t-on de source militaire française à Bangui.
Paris voulait à l'origine une intervention brève en Centrafrique, mais a dû revoir ses plans et souhaite se désengager, en raison à la fois du coût de l'opération et des besoins en hommes sur d'autres théâtres, notamment au Sahel pour lutter contre les groupes jihadistes.
- 'Semblant de situation acceptable' -
Mais, même si les Banguissois apprécient d'avoir retrouvé "un semblant de retour à une situation acceptable" selon l'expression d'un ancien Premier ministre, Enoch Dérant-Lakoué, le bilan de Sangaris ne fait pas l'unanimité.
"Les forces françaises n'ont malheureusement pas réussi à ramener la paix en Centrafrique (...) Le problème reste entier, les armes circulent, font des morts chaque jour. Cela nécessite une prise en compte de la dimension politique de la crise", déplore l'opposant Joseph Bendounga, président du Mouvement démocratique pour l'évolution et la renaissance de Centrafrique (MDREC).
Le régime de transition dirigé par Catherine Samba Panza - désormais contestée après avoir fait l'unanimité lorsqu'elle a remplacé Michel Djotodia contraint à la démission en janvier - ne peut s'appuyer sur une administration en ruines et doit s'en remettre à la communauté internationale pour reconstruire un Etat et organiser en théorie des élections (d'abord prévues en février) d'ici la mi 2015.
"Tant qu'il n'y a pas un minimum de sécurité, le processus politique va rester bloqué. Si on veut changer le rapport de forces, il faut arrêter les gens, signaler qu'on ne tolère plus l'impunité, ne pas négocier avec des criminels", constate Thierry Vircoulon, d'International Crisis Group (ICG).
Or, ajoute-t-il: "il n'y a pas eu de désarmement à Bangui, alors que c'était le mandat premier de Sangaris. Le gouvernement est toujours sous la pression des groupes armés".