32 femmes, toutes membres de 16 associations féminines, se rendront, à partir du 13 mai 2019, dans les 16 préfectures du pays. Leur objectif : sensibiliser les femmes rurales au contenu de l’Accord Politique de Paix et de Réconciliation (APPR). Engagées dans l’exercice d’appropriation nationale de l’APPR, ces femmes leaders sont soutenues par la MINUSCA, conformément à la Résolution 1325 du Conseil de Sécurité sur “Femmes, paix et sécurité”.
Ce projet sera également l’occasion de mettre en place le chapitre national du Réseau des femmes leaders africaines pour la transformation de l’Afrique (AWLN), ainsi que ceux de Réseau de femmes africaines dans la prévention des conflits et de la médiation (FEMWISE-Afrique). La première est une initiative onusienne, lancée en mai 2017 et co-dirigée depuis par Catherine Samba-Panza, ancienne Présidente de la Transition centrafricaine, et Dr Speciosa Wandira, ancienne Vice-Présidente de l’Ouganda. La deuxième est une initiative de l’Union Africaine, lancée en avril 2018.
Entretien croisé avec Léa Mboua Doumta Koyassoum, ancienne Vice-Présidente de l’Assemblée Nationale de Transition et ancienne Ministre; Aissatou Sahada, Présidente de l’Organisation des femmes musulmanes de Centrafrique; Bernadette Gambo, Parlementaire; Euphrasie Nanette Yandoka, Présidente de l’Association nationale d’appui aux femmes libres; et Diane Adoum, présidente du Cercle de Réflexion et d’Echange Permanent des Etudiantes et Elèves.
Vous êtes qualifiées de femmes leaders. Pour vous, qu’est-ce que cela veut-dire ?
Léa Mboua Doumta Koyassoum : Ayant eu la chance d’accéder à de hautes-fonctions dans mon pays, je cherche à mettre mon expérience à la disposition des autres sœurs. Nous estimons que chaque femme est un leader et nous voulons que les femmes de l’arrière-pays découvrent leur leadership, parce que ce pays a besoin de nous toutes. Nous sommes les plus nombreuses et nous avons eu la chance d’aller jusqu’à diriger ce pays pendant ses moments les plus difficiles (ndlr : Catherine Samba-Panza a été Présidente de la Transition du 23 janvier 2014 au 30 mars 2016).
Aissatou Sahada : Je suis avec mes sœurs chrétiennes qui se battent pour que notre pays soit en paix. Nous, femmes musulmanes, avons subi beaucoup de violence, mais cette crise nous aura poussées à sortir de nos maisons pour devenir des leaders. Je remercie Dieu, et mon mari, qui me laisse faire ce travail, parce que peu d’hommes musulmans laisseraient leurs épouses faire ce que je fais aujourd’hui.
Euphrasie Nanette Yandoka : Je suis fière d’être une jeune femme leader parce que dans notre pays, seules les mamans sont considérées comme des leaders. Cela est en train de changer grâce à l’action de AWLN et FEMWISE. Nous sommes avec nos sœurs musulmanes pour les sensibiliser à devenir des femmes leaders.
Diane Adoum : Je suis heureuse d’être entourée de mamans qui ont des valeurs et des compétences et qui nous ont beaucoup appris. La relève est assurée, et ce, grâce à des femmes comme Catherine Samba-Panza, Lea Mboua Doumta Koyassoum, ou encore Chantal Touabena, qui ont accepté de partager leurs expériences avec nous. Ce sont toutes des modèles que nous, jeunes femmes, pouvons copier.
Que voulez-vous apporter aux femmes rurales ?
Léa Mboua Doumta Koyassoum : En tant que femmes, nous avons les mêmes aspirations où que nous nous trouvions, que ce soit en ville ou dans l’arrière-pays : la paix et le bien-être de nos familles. Etre leader, ce n’est pas que pour les intellectuelles ; ma mère n’a jamais mis les pieds à l’école, et pourtant c’est elle qui m’a orientée dans la bonne direction ! Nous allons donc à la rencontre des femmes rurales, non pas pour leur enseigner des choses, mais pour apprendre d’elles et porter leurs voix au niveau international.
Bernadette Gambo : Les femmes rurales ont les mêmes caractéristiques que nous; la seule chose qui leur manque est un accompagnement, et notamment des formations pour les aider dans leurs responsabilités agricoles, ménagères et autres. D’où l’intérêt de leur offrir des structures d’encadrement comme les Maisons de la femme où elles peuvent se retrouver, se former, partager et apprendre à être des leaders. Ce sont elles les cheffes de famille, surtout pendant les périodes de crise ; elles en possèdent déjà le savoir-être et le savoir-faire, il ne leur manque qu’un appui financier et technique, en particulier en matière d’alphabétisation.
Euphrasie Nanette Yandoka : Les femmes de l’arrière-pays sont des femmes braves et courageuses qui ont subi beaucoup de violence. Nous voulons faire entendre la voix des victimes et les aider à devenir des leaders comme nous. Il y a un important travail de sensibilisation à faire vis-à-vis d’elles, mais aussi vis-à-vis des éléments des forces armées qui pensent qu’ils peuvent rester cachés et échapper à la justice. Je suis fière d’être une femme victime et je dis «Nous, les victimes d’abord ! Non à l’amnistie et oui à la réparation pour les victimes».
Comment comptez-vous vulgariser l’accord de paix dans les provinces ?
Diane Adoum : Notre force vient du fait que nous nous rendons en province en réseau ; nous sommes toutes parties prenantes à différentes associations qui ont décidé de travailler de concert. Nous ne partons donc pas de manière individuelle mais sous l’égide du comité de pilotage de AWLN. Cela démontre que les femmes centrafricaines sont engagées et solidaires pour aider notre pays à sortir définitivement de cette crise.
Aissatou Sahada : Les femmes de l’arrière-pays ne savent pas ce que contient l’APPR. Moi-même, qui suis à Bangui, je ne savais pas ce que c’était avant que la MINUSCA nous l’explique. Il faut donc approcher nos sœurs pour faire le même travail de sensibilisation avec elle.
Léa Mboua Doumta Koyassoum : Nous savions que les femmes ne pouvaient pas faire partie de l’équipe de négociateurs qui est allée à Khartoum, puisque cela ne concernait que le gouvernement et les groupes armés. Maintenant que l’APPR est là, et grâce au travail de la section des Affaires politiques de la MINUSCA, nous sommes conscientes du rôle que nous pouvons jouer pour le retour à la paix.
Bernadette Gambo : La paix est un long processus. Notre pays subit cette crise depuis plusieurs années, et ce que nous sommes en train de faire est un travail de longue haleine. Chacun doit conseiller à ses enfants de remettre les armes pour que le processus de Désarmement, Démobilisation et Réintégration (DDR) puisse avoir lieu sur l’ensemble du territoire. Il faut accepter que certains dirigeants de groupes armés soient maintenant au gouvernement, parce que c’est le seul moyen de permettre à la paix de revenir. Il faut reprendre les rênes du développement de notre pays, sinon qu’allons-nous laisser à nos enfants et à nos petits-enfants ?
Euphrasie Nanette Yandoka : Nous aimerions faire en sorte que les victimes ne deviennent pas les bourreaux de demain. Pour cela, il faut que le gouvernement aide les victimes, les indemnise et ainsi permettre le travail de réparation. Sans indemnisation des victimes, il n’y aura pas de paix.