Depuis une dizaine d’années, l’Afrique connait une croissance économique soutenue, estimée à environ 5% par an. Malheureusement à ce jour, cette croissance n’a permis de réduire ni la pauvreté, ni le chômage et encore moins le sous-emploi. L’incapacité des Etats africains à s’attaquer au chômage en général, et à celui des jeunes en particulier, fragilise les populations tout en les maintenant dans la pauvreté.
Cette situation de paupérisation générale est à la source des tensions politiques et sociales comme on a pu le constater au Maghreb en 2011, avec le Printemps arabe, dont l’un des facteurs aggravant était bien le chômage des jeunes, puis au mois de novembre dernier au Burkina Faso. Les contestations politiques violentes des pouvoirs en place est d’abord le fait d’une jeunesse exclue des bénéfices d’une croissance économique non redistributrice, notamment en matière de travail décent et d’éducation.
Ces deux événements, situés dans deux zones distincts de l’Afrique, ont en commun l’absence de perspective d’emploi décent et donc d’avenir pour des jeunes qui sont par exemple très souvent obligés, à plus de trente ans d’âge, de continuer à vivre souvent chez leurs parents, soulignant ainsi la carence de politiques volontaristes en matière d’éducation et d’emploi dans la quasi-totalité de nos Etats africains.
Quels sont les pays africains qui donnent réellement une chance à leurs jeunes pour faire des études tournées vers la valorisation des énormes potentialités locales ?
Quels sont les pays africains qui ont de vraies politiques d’emploi décent en direction de la population même éduquée ?
A-t-on besoin de faire des études sophistiquées pour constater que le taux élevé de chômage des jeunes constitue un facteur de déstabilisation pour les pays, dans la mesure où ces jeunes deviennent le premier réservoir de main -d’œuvre pour les entrepreneurs des rebellions armées ?
A-t-on besoin de mener des profondes réflexions pour constater que les jeunes non éduqués sont les premières victimes des manipulateurs de conscience qui font facilement d’eux des rebelles armés pour des causes improbables ?
Pour en revenir à mon pays la République centrafricaine, située en plein cœur de l’Afrique la crise que nous y vivons actuellement résulte de la conjugaison de plusieurs facteurs dont les principaux sont la pauvreté causée par un chômage massif de la population en général et celui des jeunes en particulier, ainsi que de déficits importants en matière d’éducation décente.
Certes c’est depuis notre indépendance en 1960 que nous vivons dans notre chair cette instabilité politique, jalonnée d’une succession de coups d’état, de tentatives de coup d’état, et de rébellions armées- à l’exception de l’unique alternance démocratique de 1993 grâce à la victoire électorale de notre parti le MLPC- et que le recours à la force s’est imposé comme « le mode ordinaire d’accession et de maintien au pouvoir ».
Certes les régimes autoritaires successifs issus de ces prises illégales de pouvoir ne se sont guère préoccupés de développer des programmes d’éducation et d’emploi décent, préférant dérouler des stratégies d’enrichissement personnel des dirigeants et de leur clientèles politico-ethniques.
Cependant, force est de constater que la dernière crise en date que nous continuons de subir depuis décembre 2012a complètement déstructuré le tissu social, économique et politique de notre pays, mettant en péril l’harmonie qui a toujours existé entre les populations.
Cette crise est aussi le point d’achèvement de plusieurs décennies d’échec d’un pays sans véritable politique d’emploi décent pour ses populations de tous âges et notamment des jeunes, avec de surcroit un système d’éducation obsolète et inadapté aux défis des temps modernes.
Qualifié du terme peu flatteur d’Etat failli, mon pays doit envisager une sortie de crise par la mise en place de nouvelles institutions étatiques démocratique, légitimes et solides, où l’impunité ne sera plus tolérée mais également où les problématiques d’éducation et d’emploi devront être prioritaires. C’est à ce prix que l’Etat recréera auprès des citoyens le sentiment de partage des mêmes opportunités, et donc d’un destin commun, indispensable pour cimenter la République.
Arrêter la spirale de violence aujourd’hui en cours est une nécessité, mais pour enraciner les fondements d’une paix sociale et civile durable, il nous semble que deux voies sont non seulement prioritaires mais pertinentes : investir dans l’éducation et dans la création d’emplois décents.
1- De la nécessité d’investir dans l’Education
Selon les chiffres de la Banque Mondiale, en 2010 le taux d’alphabétisation en Centrafrique des enfants de 15 ans et plus était de l’ordre de 56%. Ce chiffre reste très en deçà de la moyenne africaine.
Des politiques courageuses et volontaristes devront être menées pour que le Centrafrique atteigne un niveau d’éducation acceptable, et pour cela les budgets alloués aux infrastructures éducationnelles doivent rester compatibles avec nos engagements internationaux en la matière. De même, l’éducation doit être en adéquation avec les attentes du marché, pour éviter de produire des diplômés chômeurs puisque selon les chiffres du PNUD en 2009, seuls 25% de diplômés de l’enseignement supérieur en Centrafrique trouvaient un emploi de cadre, 50% occupant un emploi sous-qualifié par rapport à la formation reçue, et enfin 25% restent au chômage.
Concrètement, s’agissant du Centrafrique, quelques pistes devraient être explorées :
Il faut promouvoir une éducation publique gratuite au fondamental et obligatoire pour tous les enfants de moins de 16 ans. Cette mesure permettra à toutes les familles de pouvoir envoyer leurs enfants à l’école, car, très souvent pour les familles très pauvres qui dépensent 70% de leur revenus pour se nourrir (source FAO), le coût onéreux de la scolarisation est un frein à l’envoi des enfants à l’école ;
Un accent devra être mis également sur l’enseignement technique et la formation professionnelle. L’Afrique manque cruellement des techniciens, de main d’œuvre qualifiée et cela est en grande partie lié à des systèmes éducatifs très souvent mal adaptés à la réalité et aux besoins du marché. Il sied d’adapter la formation des jeunes aux besoins du marché de l’emploi.
Il faut renforcer les formations continues pour les cadres de l’Etat et du secteur privé.
Il faut nécessairement valoriser les métiers liés à l’agriculture, à l’élevage, à la foresterie et aux mines par le biais des formations adaptées : comment expliquer que dans un pays comme la RCA où 0,5% seulement des 55 millions d’hectares de terres cultivables sont exploitées, où les potentialités de développement de l’élevage sont immenses, où la forêt est vaste , où il ya du diamant et de l’or, oui comment expliquer que dans un tel pays sa faible population totale de 4,5 millions ne puisse être au moins formée pour mettre en valeur ces richesses ?
Il faut également investir dans l’éducation et la formation en zone rurale et péri-urbaine en ayant comme cible privilégiée les femmes qui sont les principaux soutiens de familles en ces temps difficiles.
L’éducation décente est l’instrument par excellence de la cohésion sociale, seule capable de contribuer à la paix et à la construction de l’État. L’éducation permet à chaque citoyen de développer des aptitudes, des compétences et des comportements, qui préviennent la violence et privilégient la résolution pacifique des conflits.
2- De la nécessité de création d’ emplois décents
Il n’existe pas de statistiques de chômage en Centrafrique, à ma connaissance. Si elles existent elles ne sont pas publiées à intervalles réguliers, comme sous d’autres latitudes. Cela signifie que le chantier de l’emploi est immense, si nous convenons tous que la création d’emplois décents et viables, notamment pour les jeunes, constitue une condition préalable au développement durable et à la paix dans tous les pays.
À long terme, l’accès à des emplois stables et convenablement rémunérés permet aux ménages d’investir encore davantage dans l’éducation, la santé et l’alimentation. L’investissement dans le capital humain contribuera à améliorer la productivité et la performance économique générale avec, à long terme, un effet multiplicateur sur la demande de travail
Des actions précises doivent être mises en œuvre, pour créer des emplois décents :
Il faut encourager l’initiative privée par des politiques incitatives et des mesures fiscales permettant d’alléger les coûts, afin de permettre l’émergence d’un secteur privé (PME, PMI, TPE…). Il est désormais admis que les PME et PMI sont le moteur de la croissance et du développement. Seul un tissu dynamique et performant des PME et PMI est capable d’aider le gouvernement à absorber une masse critique des jeunes chômeurs, d’accroitre l’assiette fiscale, et surtout de réduire les structures informelles.
Il faut mener une politique visant à produire et à transformer localement les nombreux produits du sol et du sous-sol, afin de créer de la valeur ajoutée, qui est le premier maillon de la chaine de l’accumulation du capital pour l’investissement productif. Cette production visera à satisfaire d’abord la consommation locale, et le surplus pourra être exporté ;
Il faut valoriser les métiers dans les domaines productifs et notamment dans l’agriculture, la foresterie, et dans les secteurs ruraux non agricoles.
Conclusion
L’une des causes principales des crises récurrentes en Centrafrique est la pauvreté. Pour endiguer ces conflits, il faut réduire considérablement cette pauvreté. Cela passe nécessairement par l’éducation et les emplois décents à offrir aux jeunes.
Une amélioration radicale de l’éducation constitue un préalable à l’établissement d’un niveau de croissance durable suffisamment élevé pour réduire la pauvreté et aider à l’instauration de sociétés plus intégratrices, démocratiques et équitables.
Dans l’histoire, il n’y a pas d’exemple de pays qui soient parvenus à un stade élevé de développement avec des taux d’alphabétisation des adultes et de couverture de l’enseignement de base aussi faibles que ceux affichés par la majorité des pays d’Afrique subsaharienne. Pour répondre à cet état de fait, il reste à la plupart des pays d’accroître l’accès à l’éducation primaire, surtout pour les pauvres et les populations des zones rurales et péri-urbaines.
Il faut également promouvoir des politiques publiques qui encouragent les investisseurs privés et favorisent la montée du secteur privé dynamique et performant. Sur un continent où près de 60% de la population a moins de 25 ans, faisons de l’éducation et de l’emploi des jeunes notre cheval de bataille, car c’est à ce prix que nous pourrons gagner le pari du développement. Sinon l’avenir de nos pays sera toujours jalonné de « bombes à retardement » susceptibles d’exploser au contact de la moindre étincelle sociale.
Mon parti et moi-même allons aux élections l’année prochaine en RCA et tel est le substrat de notre crédo politique.
Je vous remercie
Martin ZIGUELE