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RCA : l’etat-providence centrafricain assure-t-il la protection sociale ?dixit Abdias Ndomale

Publié le lundi 5 aout 2019  |  Le Potentiel Centrafricain
ABDIAS
© Autre presse par DR
ABDIAS NDOMALE ,Enseignant Chercheur
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L’Etat est devenu aujourd’hui une caisse de secours. Compte tenu de la détresse du moment, ses activités intéressent les divers groupes sociaux et tous les citoyens qui aspirent naturellement au bien-être, c’est-à-dire, bénéficier d’une protection sociale. Au sens large, c’est l’ensemble des interventions économiques et sociales de l’Etat. Au sens restreint, nous pouvons citer les cinq verbes du Président Fondateur Barthelemy Boganda : nourrir, vêtir, loger, instruire, soigner. Ces objectifs sont pour nombre des Centrafricains une illusion.

La contribution de l’Etat-providence à la protection sociale est d’une haute importance. En Afrique, de façon globale, seul 8% de la population active bénéficie d’une couverture sociale publique (OIT 2014).

Les dépenses de transfert permettent à l’Etat d’intervenir au profit de certaines catégories défavorisées, par le versement des subventions économiques, d’une aide ou assistance aux « économiquement faibles ». Il n’existe pas de définition unique de l’Etat-providence. Le concept a toujours été ambivalent dès son origine. Il véhicule tour à tour une connotation positive ou négative, selon l’orientation politique de celui qui l’utilise.

Les grandes questions sont donc celles de Savoir : Comment en sommes-nous arrivés là ? La redistribution des revenus-a-t-elle permis de résorber la pauvreté ? Que reste-t-il de l’Etat-providence centrafricain ?

Depuis la révolution keynésienne, les idéologues et les praticiens ne parviennent pas à s’entendre sur les tâches dont l’accomplissement incombe à l’Etat-providence. Il existe donc une extension indéfinie du champ de compétence de l’Etat-providence. C’est un débat ancien opposant libéraux et keynésiens. Pour les libéraux, l’Etat ne doit pas intervenir, car il gère mal, par conséquent, il n’y a pas de rentabilité. La protection sociale crée une société d’éternels assistés et bloque l’offre par le jeu des prélèvements obligatoires. Pour les keynésiens, la protection sociale est nécessaire, car le marché ne conduit pas à un optimum social, il fonctionne pour des besoins solvables et il conduit à la misère ouvrière du XIX siècle. La mission essentielle qui incombe à un Etat moderne est d’assurer le bien-être de la population quelle que soit l’option socio-économique retenue. Le système de protection sociale en Centrafrique est calqué sur le système français. Il n’arrive pas à s’adapter aux réalités centrafricaines et par conséquent, il est inefficace, par rapport aux besoins vitaux et risques sociaux. Sachant que, après 50 ans d’élaboration et de gestion, la plupart des régimes de protection sociale sont encore en construction. La crise de l’Etat-providence centrafricain est entrée dans un univers tissé de paradoxes, laquelle crise cache un nombre infini de problématiques hérités de la colonisation. Les systèmes de protection sociale en Centrafrique ne concernent, au moment de l’indépendance, que les travailleurs du secteur public. Elargis par la suite aux travailleurs du secteur privé formel non agricole, ils restent souvent non accessibles à une grande majorité de la population. En RCA, une catégorie des travailleurs est exclue des systèmes de sécurité sociale. Elle constitue une catégorie cible qui fait l’objet d’une couche vulnérable. L’exclusion n’était pas une addition de malheurs individuels, mais le résultat des dysfonctionnements de l’Etat-providence. En clair, c’est une manière de ressusciter l’inventeur de la sécurité sociale, en l’occurrence l’Anglais William Beveridge (1879-1963). Il s’intéressait très vite aux questions sociales et commençait à écrire des articles pour le quotidien « Morning post ». La protection sociale s’est inspirée d’une histoire héritière de la charité chrétienne. A travers ses principes d’égalité et de communion fraternelle, elle est définie comme le devoir de la société de porter secours aux indigents, vieillards, enfants orphelins… A la limite, c’est un problème de culture. En RCA, la charité de l’Eglise et la solidarité africaine seraient en train de remplacer la bienfaisance publique. Il est question de servir le citoyen, sans rien attendre en retour. La politique-vocation devrait être pratiquée sur les bases d’un comportement sacerdotal à l’image des dirigeants d’Eglise qui se sont distingués aux yeux de leurs fidèles. Il y a aujourd’hui un malaise social protéiforme en RCA. A la fin des années 1970, le concept d’Etat-providence émerge à nouveau, avec une connotation clinique : il entre en crise en 1981. Deux publications accélèrent le débat : un rapport de l’OCDE intitulé la crise de l’Etat-providence », et le célèbre ouvrage de Rosanvallon selon cet auteur, la crise se situe à trois niveaux :

Le financement ;
L’efficacité ;
La légitimité.
En 1987, à la 37e session du comité régional de l’OMS pour l’Afrique qui s’est tenue au Mali, les ministres de la santé ont pris une résolution dénommée « l’initiative de Bamako ».

En République Centrafricaine, aux termes de l’arrêté n°0392/MSPP/CAB du 24 septembre 1988, un programme cadre avait des objectifs stratégiques qui s’articulaient autour de la participation de leur santé et de leur bien-être ainsi que celle de la communauté.

Les ressources de l’Etat sont très limitées, donc il faut faire des choix, car les besoins sont énormes (santé, éducation). C’est la prise de conscience des limites de l’Etat-providence. L’Etat s’est désengagé de la charge sociale. A un moment donné de l’histoire, acceptons de voir la réalité en face. Depuis son accession à l’indépendance, la RCA a promulgué des constitutions contenant des droits sociaux. Les fonctions de l’Etat se sont progressivement étendues, incluant la recherche d’une justice sociale, dont le but est de protéger les catégories de populations défavorisées. C’est sans doute pourquoi, la déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 précise en son article 25 « le droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, le logement, les soins médicaux, l’habillement ainsi que pour les services sociaux nécessaires : toute personne a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ». Ces différents droits ont été codifiés dans le Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels (PIDESC) adopté en 1966. Les droits sociaux sont des droits fondamentaux souvent défendus dans la doctrine classique des libertés publiques. Enoncés par la constitution française de 1958 et des instruments internationaux de protection des droits de l’homme, qui disposent d’une valeur juridique contraignante, ils sont mis en œuvre par le législateur, compétent en vertu de l’article 34 de la constitution de 58 et garantis par le juge constitutionnel, administratif et judiciaire. Nous vivons sous l’emprise de la pauvreté, au non-respect des droits économiques et sociaux, pourtant inscrits dans le corpus des droits de l’homme. La constitution centrafricaine du 30 mars 2016, ne dispose pas d’un mécanisme qui permet de sanctionner l’inertie du législateur concernant la mise en œuvre d’un droit-créance. La tradition anglo-saxonne n’a cessé de se préoccuper des droits économiques et sociaux au même titre que les droits civils et politiques. Aujourd’hui, dans un grand nombre de textes juridiques en RCA, on constate la violation de l’esprit des droits humains à grande échelle à cause de la pauvreté. La pauvreté persistante et sa transmission à des générations futures est une caractéristique du noyau dur de la pauvreté en RCA. La question peut paraitre absurde, tellement que la pauvreté limite la capacité des citoyens d’être libres, de jouir de leurs droits sociaux les plus élémentaires, de vivre en dignité, de prendre une place à part entière dans la société. Eu égard à la crise centrafricaine, comment jouir du droit au logement, à la santé, au travail… Quand on n’a pas de domicile ? Comment signer un contrat de travail quand on ne sait ni lire, ni écrire ? Une personne sans éducation est comme un animal sauvage très dangereux. Il me semble donc erroné de se borner à traiter les fonctions de l’Etat-providence sur le plan théorique. Nous ne disposons pas, à ce jour, d’une authentique théorie de l’Etat social qui permette de rendre compte de sa positivité propre. Sinon c’est l’aliénation progressive du citoyen par l’Etat qui a pour cause principale une situation dans laquelle le citoyen ne comprend plus l’Etat, parce qu’il y est toujours question de choses abstraites comme budgétisation, bureaucratisation, autorisation parlementaire… On oublie qu’en fin de compte, c’est une situation d’urgence, car la maladie n’attend pas. Le paternalisme sanitaire se justifie pour deux raisons :

Tout d’abord, parce que la santé et la sécurité des personnes sont les piliers du contrat social ;
En second lieu, le citoyen vit en société pour assurer sa sécurité et son épanouissement social, passe par la santé.
La société centrafricaine apparaît, plus difficile à décrypter compte tenu des mutations souterraines que ne comprennent pas les citoyens d’en bas. Les difficultés des indicateurs du bien-être traduisent les souffrances de la population centrafricaine. Cela est un frein au développement social du pays. Le Centrafricain, pour tenter d’atténuer cette souffrance psychique, va se réfugier dans la consommation de l’alcool. On n’échappera pas, par la force des évènements à un jugement normatif dans la mesure où le rôle de la démographie ici s’avère comme un frein dans le processus de relèvement du niveau de vie. Le chômage des diplômés du supérieur a beaucoup attiré l’attention des observateurs dans un pays où il n’y a pas assez de hauts cadres. La bataille pour l’emploi est un combat d’arrière garde. Le chômage est un scandale individuel pour les citoyens qui cherchent vainement un emploi et se trouvent rejetés dans une situation d’infériorité. Cette catégorie sociale est obligée de se présenter pour le recrutement des FACA en attendant de voir mieux. La célèbre phrase qui se trouve au Pk zéro au centre-ville : le travail est l’unique voie vers le développement » n’a pas sa raison d’être, car elle exclue le miracle économique. Dans le cadre idéologique des stratégies de développement, le travail ne peut être l’unique voie vers le développement. C’est peut-être à cause de cette phrase que le pays est bloqué jusqu’à présent. La protection sociale est tributaire des contraintes budgétaires, elle s’adapte difficilement aux changements démographiques et économiques.

Malheureusement, le dispositif est inopérant. De surcroit, l’Etat-providence centrafricain est passif à cause des données sociales qui sont mal connues. Il s’agit des indicateurs sociaux susceptibles d’aboutir à une mesure chiffrée du bien-être en vue d’évaluer le besoin de chaque groupe social. Il n’existe pas dans le domaine social (qualité de la vie) un instrument global comparable à la comptabilité économique nationale susceptible de donner une présentation complète quantifiée de l’état social de la Nation entre les divers groupes sociaux, coûts sociaux de la croissance, détermination de la pauvreté. D’où un certain désarroi du sociologue habitué à compter et à classer pour déchiffrer et rendre lisible le mouvement des choses. Il est hors de question de faire de la crise centrafricaine « le bouc émissaire » de toutes nos difficultés actuelles. Notons d’emblée que, les besoins des ménages n’ont cessé de varier et d’augmenter d’année en année. Certains demeurent invariables du temps de Jules César, le peuple voulait du pain, il en est toujours avide aujourd’hui, car « ventre creux n’a pas d’oreille », et on ne peut demander à celui qui a faim d’être productif. En RCA, environ 40% de la population est dans une situation d’insécurité alimentaire aigüe, selon un rapport publié vendredi 21 juin 2019 par le Programme Alimentaire Mondial (PAM). La hausse des prix des denrées sur le marché est inquiétante pour le panier de la ménagère. Les classes défavorisées aujourd’hui n’ont pas accès à certains biens vitaux. On assiste à une nouvelle catégorie des « pauvres assistés », qui habitent sur le site des déplacés, qui ont perdu leurs maisons, leur emploi, qui n’ont rien pour survivre. Beaucoup des déplacés se retrouvaient dans des localités où ils n’étaient pas originaires. Ils avaient le sentiment d’être chassés de la terre de leurs ancêtres, ils ont manifesté une certaine antipathie vis-à-vis des sites où ils n’étaient pas bien intégrés. Ils sont contraints à l’exode vers Bangui. Face à de tels cortèges funèbres porteurs de misère matérielle, les Banguissois ne restent pas indifférents. Les familles d’accueil ont supporté le poids de la charge que constituaient les déplacés. Le bénéficiaire d’un foyer d’accueil serait l’homme concret, à l’opposé de l’homme abstrait de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1948. La triste réalité de la mise en œuvre par les pouvoirs publics est que la prise en charge s’effectue en fonction de l’appartenance à un groupe des privilégiés au détriment des vrais bénéficiaires. Le plus souvent, ce sont les ONG internationales qui veillent à ce que les maux que connait la population déplacée ne constituent pas un handicap chronique entrainant un déséquilibre social. Il existe une interdépendance entre la pauvreté et la violence en RCA. Le développement de la criminalité, du désordre, des vols et les agressions contre les biens trouvent leur origine dans la une prévalence de la pauvreté.

La Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) est un organisme de droit privé. Le but premier a été d’aider les salariés et les familles en leur versant des prestations familiales. Elle est dotée d’autres systèmes de protection contre les accidents, pension, retraite… Plusieurs études sur la CNSS démontrent que cette institution connait des graves difficultés d’ordre structurel, et conjoncturel. Alors que la sécurité sociale est un instrument privilégié de la politique sociale de l’Etat, pour éviter à la CNSS de tomber dans un « cercle vicieux ». Le Ministère de la Fonction Publique en tant qu’autorité de tutelle doit prendre ses responsabilités. Les travailleurs domestiques doivent exiger de la CNSS leur déclaration. L’Etat doit s’acquitter rapidement des arriérés de cotisations sociales vis-à-vis de la CNSS qui s’élèvent à environ treize milliards cinq cent millions (13 500 000 000) FCFA. Cette situation ressort du rapport du Directeur Général de la CNSS sur l’état des lieux de cette institution, daté du 30 septembre 1993, qui reste d’actualité. Aujourd’hui dans beaucoup de pays africains, les évacuations sanitaires en masses sont prises en charge par la CNSS. L’apport du Conseil Economique et Social(CES) doit être d’une grande importance, pour un débat de fond des questions sociales qui engagent la vie de la nation, en vue de peser sur les orientations socio-économiques à retenir.

La situation est plus alarmante en ce qui concerne l’enfance. Beaucoup reste à faire dans la politique visant à l’amélioration des conditions de vie des enfants en situation difficile. Pourtant, la RCA a signé la Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l’Enfant mais n’a pas ratifié jusqu’à ce jour. Six cas graves de violations des droits de l’enfant ont été enregistrés en 2016, d’après Christine Muhigana représentante de l’UNICEF en RCA. Cette prise de position a été exprimée à l’occasion de la journée de l’Enfant Africain, le 17 juin 2019. Il y a des blocages socio-culturels du développement en centrafrique. La religion a souvent été accusée d’aller à l’encontre du développement économique, en orientant les centrafricains vers des objectifs spirituels et non matériels ou en renforçant le fatalisme, peu ouvert au changement. L’habitude dans les familles centrafricaines modestes ici est de rester discret, on ne montre pas sa souffrance aux autres. Le Centrafricain vit dans un univers mental qui est statique, entouré de rites, d’interdits et de tabous. Il y a contradiction entre une mentalité préscientifique et l’esprit expérimental nécessaire à la croissance. Ainsi s’explique l’échec de nombreuses politiques de développement élaborées par les experts de la Banque Mondiale. L’Etat doit agir sur le comportement psychologique de la population, afin de les inciter à œuvrer efficacement pour le relèvement de la RCA. Le développement économique n’est pas la préoccupation majeure des populations centrafricaines. Au total, il existe encore de nombreuses faiblesses structurelles au niveau du système de protection sociale. Aujourd’hui, des transformations s’opèrent, selon les contextes économiques, sociaux, culturels et environnementaux dans le partage entre l’acceptable et le non acceptable, dans les manières d’être, de faire ou d’agir autour desquelles se constituent les problèmes sociaux.

Si l’Etat-providence centrafricain, élaboré depuis l’indépendance apportait une réponse aux demandes sociales de l’époque tel n’est plus le cas aujourd’hui.
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