Alors que la communauté internationale et le gouvernement de transition ont le regard braqué sur la capitale, Bangui, une bonne partie du monde rural, notamment à l’ouest et au centre de la République centrafricaine (RCA), est devenue un terroir de violence. La lutte qui oppose les combattants de l’ex-Seleka et les milices anti-balaka a conduit à une recrudescence des affrontements entre communautés d’éleveurs et d’agriculteurs depuis 2013. Ces affrontements forment maintenant un conflit dans le conflit loin des yeux des acteurs internationaux et du gouvernement de transition et déstabilisent davantage la Centrafrique. A l’aube d’une nouvelle saison de transhumance qui risque d’intensifier la guérilla rurale en cours, les acteurs internationaux et le gouvernement de transition doivent impérativement prendre en compte cette dimension de la crise dans leur stratégie de stabilisation et prévenir les risques immédiats de violence entre communautés d’éleveurs et d’agriculteurs.
Avant le déclenchement de la crise centrafricaine à la fin de l’année 2012, le pastoralisme était déjà depuis plusieurs années une source de violence en zone rurale, particulièrement entre éleveurs et agriculteurs. En libérant les ressentiments entre ces communautés et en associant les éleveurs à l’ex-Seleka, la crise a amplifié ces violences de manière exponentielle. Alors que le bétail est l’objet de la convoitise des miliciens anti-balaka et de l’ex-Seleka, les éleveurs répondent aux vols de leur cheptel par des représailles brutales car le bétail est la richesse des pauvres. Le basculement de jeunes éleveurs vulnérables dans les groupes armés, le délitement des structures traditionnelles de médiation entre agriculteurs et éleveurs, et l’arrivée comme chaque année de transhumants, notamment tchadiens, en Centrafrique risquent d’amplifier la guérilla rurale en cours.
Par ailleurs, depuis 2013, cette dernière a déjà forcé de nombreux éleveurs à se réfugier au Tchad et au Cameroun ou à migrer vers d’autres régions en Centrafrique au terme de longues marches. Ces déplacements forcés ont des effets dangereux tels que l’effondrement de la filière de l’élevage, la radicalisation de certains groupes d’éleveurs et le blocage de la transhumance entre le Tchad et la Centrafrique. Ces conséquences de long terme risquent d’entraver la stabilisation du pays et doivent être prises en considération.
Pour contenir la violence dans le monde rural à court terme :
Créer un réseau d’informations, coordonné par le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) et le ministère centrafricain de l’Elevage, pour localiser les risques de confrontation violente entre, d’un côté, les éleveurs et, de l’autre, les anti-balaka et les communautés locales. Ce réseau doit servir de système d’alerte pour les autorités centrafricaines, les ONG et les forces internationales (la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en RCA (Minusca) et la mission française Sangaris).
Inclure la lutte contre le trafic de bétail dans les missions de la cellule de lutte contre les trafics de diamants, d’or et d’ivoire intégrée à la Minusca, dont Crisis Group recommandait la création en juin 2014.
Désaturer les zones agricoles du Sud-Ouest du Tchad en organisant une concertation régionale entre les autorités tchadiennes, centrafricaines, camerounaises et les ONG sous l’égide de la Minusca pour identifier dans les trois pays des lieux d’installation pour éleveurs qui combinent pâturages et sécurité. Leur installation doit être temporaire et nécessite l’accord des communautés hôtes et des éleveurs.
Pour agir sur les causes de la violence dans le monde rural à moyen terme :
Donner un second souffle aux mécanismes traditionnels de médiation agriculteurs-éleveurs grâce à l’organisation, par des ONG spécialisées dans la prévention des conflits, de rencontres informelles entre les représentants des différentes communautés. Les forces internationales devraient s’assurer que l’interdiction de siéger au sein de ces arènes de concertation et d’échanges soit intégrée parmi les mesures de confiance aux groupes armés.
Encourager la diffusion grâce aux radios communautaires soutenues par les ONG locales et les organismes religieux de messages de coexistence pacifique rappelant les intérêts communs et les échanges entre éleveurs et cultivateurs, en ciblant les femmes qui jouent traditionnellement un rôle clé dans les relations intercommunautaires.
Veiller à inclure dans les programmes d’activités génératrices de revenus mis en œuvre par les ONG internationales les éleveurs sans troupeaux réfugiés au Tchad et au Cameroun ainsi que ceux qui sont encore en Centrafrique.
Réaliser une étude socioéconomique par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) pour étudier des pistes de relance de l’élevage là où la situation sécuritaire le permet.
Nairobi/Bruxelles, 12 décembre 2014