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En Centrafrique, l’héritage "à double tranchant" de l’empereur Bokassa

Publié le jeudi 19 septembre 2019  |  AFP
L`empereur
© Autre presse par DR
L`empereur centrafricain Jean-Bedel Bokassa lors de son autoproclamation, à Bangui, le 4 décembre 1977.
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Pour Tita-Samba Solé, le 21 septembre 2019 sera un jour un peu spécial. D'abord, parce qu'il marque le quarantième anniversaire de la chute du régime de Jean Bedel Bokassa, président de la République centrafricaine à partir de 1966, autoproclamé empereur en 1977.

Mais surtout, parce que le 21 septembre 1979, M. Solé a été libéré de la sinistre prison de Ngaragba à Bangui, où il avait été jeté trois ans plus tôt sur un caprice du dictateur, dont il était pourtant officier de la garde rapprochée et l'un des favoris.

Malgré son incarcération, comme la grande majorité des Centrafricains, M. Solé garde le souvenir ému d'un "grand président", renversé en septembre 1979 par un coup d'Etat soutenu par l'opération Barracuda de l'armée française, Paris souhaitant se débarrasser de cet allié devenu encombrant.

S'il est surtout connu à l'étranger pour la cérémonie extravagante de son sacre impérial, répliquant celle de Napoléon qu'il admirait tant, et pour l'affaire des diamants qui contribua à la défaite de Valéry Giscard d'Estaing à la présidentielle française de 1981, Bokassa Ier a conservé une aura considérable en Centrafrique.

Nostalgie des jours meilleurs, dans un pays désormais classé parmi les plus pauvres du monde et toujours ravagé par la guerre ? Pas seulement. Au-delà de son patriotisme et de son intransigeance à l'égard de la corruption, "Bokassa restera dans les mémoires des Centrafricains pour tout ce qu'il a construit", estime Tita-Samba Solé, désormais conseiller dans une organisation internationale après avoir été longtemps journaliste.

Vision impériale
Agriculture, infrastructures, éducation, industries ? au cours de ses treize années de règne, le "bâtisseur" a multiplié les chantiers pour tenter d'élever un pays à la hauteur de ses ambitions.

A deux pas du monument des Martyrs, érigé à la mémoire de la cinquantaine d'étudiants assassinés par son régime le 18 janvier 1979, l'université de Bangui témoigne encore de la vision du regretté empereur, décédé en 1996 à Bangui.

D'étranges tours aux façades décrépies, échouées dans la poussière et des herbes folles. Des fontaines où l'eau ne coule plus depuis des lustres. Une utopie de béton et de briques qui reste aujourd'hui l'unique établissement universitaire du pays, vestige d'un empire promis à un futur radieux. Mais le futur, ici, s'est arrêté en 1979.

Xavier Mbembele n'en a gardé que des souvenirs et un voile de mélancolie dans le regard. Avec sa mise élégante qui lui vaut parfois le sobriquet de "Français", M. Mbembele, né en 1954 dans ce qui était alors la colonie française de l'Oubangui-Chari, est du genre vieille école.

Fin 1979, ce professeur d'histoire habitait une chambre d'étudiant dans la tour B, 4ème étage. Il travaille désormais dans un bureau perdu dans un coin du département des archives de l'université, ou ce qu'il en reste après les pillages de la guerre: quelques cartes et deux armoires où s'entassent des manuscrits rongés par le temps et l'humidité.

De son tiroir, l'enseignant chercheur extirpe un vieux livre jauni où s'ébauchent de maigres silhouettes sur une couverture presque effacée. "Ngaragba, maison des morts": le récit fait par un ancien détenu de la prison de Bangui, symbole d'un régime devenu aussi paranoïaque que son tout puissant leader.

Exécutions sommaires
En 1979, M. Mbembele a lui-même échappé de peu à l'incarcération. Plusieurs de ses camarades de l'époque, ainsi que son professeur de mathématiques, n'en sont jamais revenus.

"Le souvenir de Bokassa", murmure l'érudit, "c'est à double tranchant ?"

Tita-Samba Solé peut en attester. En 1976, jeune officier de 23 ans, il est soupçonné à tort d'avoir voulu séduire la maîtresse de "l'ogre", et est jeté dans une cellule de 4 m2 avec cinq compagnons d'infortune. Privé de nourriture et de médicaments, livré à la cruauté de ses geôliers.

"Il n'y avait pas une journée sans exécution", se souvient M. Solé, qui a vu ses compagnons assassinés l'un après l'autre pour des motifs futiles: un regard lancé au mauvais endroit, une photo de femme découpée dans un emballage de crème ? "Les gardes annonçaient à Bokassa qu'ils avaient tué un opposant et ils touchaient une petite récompense", se souvient l'ex-prisonnier.

Les étudiants martyrs de janvier 1979 ont leur monument. "Mais tous ceux qui sont morts de 1966 à 1979, on n'en parle même pas", s'émeut Xavier Mbembele. "Pourtant, ils sont nombreux".

Aujourd'hui, cette page de l'histoire est relativement occultée dans les manuels scolaires auxquels bien peu de Centrafricains ont accès.

"Notre pays est constitué à plus de 60 % d'analphabètes. Et on va demander aux paysans de savoir ça ?" s'emporte M. Mbembele en brandissant son vieux livre. "Les gens s'en tiennent à ce qui est visible. Les morts, eux, pourrissent dans le sol."
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