Depuis hier, 19 septembre 2019, deux ex-chefs de guerre centrafricains sont à la barre de la Cour pénale internationale (CPI) pour une audience de confirmation des charges portées à leur encontre par la procureure de ladite Cour. Alfred Yekatom et Patrice-Edouard Ngaïssona, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, sont suspectés de crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
Pour la procureure de l’instance pénale internationale, ces deux ex-chefs miliciens anti-balaka se sont rendus coupables de graves crimes commis lors de la guerre civile de 2013 et 2014, qui justifieraient amplement leur mise en accusation pour meurtres, exterminations, déportations, tortures, persécution, disparitions forcées, attaques contre des civils et contre des mosquées, devant l’institution judiciaire internationale. Et c’est ce que son bureau tentera de démontrer durant cette semaine d’audience qui s’étend jusqu’au 27 septembre prochain, dans le but de convaincre les juges de la nécessité d’ouvrir un procès contre les deux suspects.
Ce dossier judiciaire est un autre défi pour la Cour pénale internationale
On se rappelle, Patrice Ngaïssona qui passe pour être la figure de proue des anti-balaka, avait d’abord été arrêté en mi-décembre 2018 à l’aéroport international de Roissy en France. L’ex-patron du football centrafricain sera ensuite extradé quelques semaines plus tard, sur décision de la Justice française, à la Cour pénale internationale où il rejoindra son compatriote et élu national, Alfred Yekatom, arrêté quelques semaines plus tôt à Bangui, en novembre de la même année. Le député pistolero qui s’était amusé à jouer au cowboy en dégainant notamment en plein parlement, était à ce moment-là loin de se douter qu’il se retrouverait dans la foulée dans un avion pour la célèbre prison de Scheveningen. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce dossier judiciaire est un autre défi pour la Cour pénale internationale. On peut même dire que la CPI est d’ores et déjà attendue au pied…de la barre.
Il lui appartient par conséquent de se montrer à la hauteur de l’histoire pour redorer son blason quelque peu terni dans certaines affaires qui ont suscité la controverse. Car, non seulement ce dossier risque de remettre au goût du jour la polémique sur l’efficacité de cette instance judiciaire internationale que d’aucuns qualifient de « geôle à Nègres » et qui passe, à tort ou a raison, aux yeux de nombreux observateurs, comme un instrument politique au service des puissants, mais aussi ses verdicts, par le passé, n’ont pas toujours convaincu. A cet effet, il n’y a qu’à voir les exemples des procès de l’ex-président ivoirien, Laurent Gbagbo, et de l’ex-chef de guerre et ex-vice président congolais, Jean-Pierre Bemba, blanchis au final après plusieurs années de détention et de procédure, pour se convaincre que la CPI joue, une fois de plus, sa crédibilité. C’est pourquoi l’institution de Fatou Bensouda doit donner un signal fort, par la solidité du dossier. Autrement, quand on sait que la difficulté, dans ces genres de procès, a toujours été d’apporter la preuve, on peut craindre, comme dans les cas précédents cités plus haut, qu’une éventuelle faiblesse du dossier de la procureure n’aboutisse à la relaxation pure et simple des prévenus et ne laisse finalement un goût d’inachevé dans un procès qui a pourtant toutes les raisons de se tenir.
Il faut éviter de donner l’impression, comme dans le cas de la crise ivoirienne, de ratisser dans un seul camp
Ne serait-ce que pour l’histoire et sa portée pédagogique. C’est donc un procès pour l’avenir. Car, non seulement les plaies de cette page noire de l’histoire de la RCA sont loin d’être cicatrisées, mais aussi la convalescence du grand malade centrafricain se prolonge tellement à l’infini que l’on verrait bien la tenue d’un procès exemplaire participer de sa thérapie. Cela pourrait tempérer les ardeurs de toutes les bandes armées qui continuent de sévir en RCA et servir d’avertissement à d’éventuels pêcheurs en eaux troubles qui seraient tentés de commettre des exactions sur les populations, pensant pouvoir échapper à la justice des Hommes. Cela dit, l’autre terrain sur lequel l’institution de Fatou Bensouda est attendue, est celui de l’équité dans les poursuites.
Car, si l’on peut se féliciter que des chefs anti-balaka se retrouvent aujourd’hui à la barre de la CPI, la logique voudrait que leurs adversaires et ennemis jurés de la Séléka qui ont aussi leur part de responsabilités et de crimes dans l’horreur qui a frappé la Centrafrique, puissent aussi rendre des comptes. En tout cas, il faut éviter de donner l’impression, comme dans le cas de la crise ivoirienne, de ratisser dans un seul camp.
C’est pourquoi il faut espérer que les charges puissent être établies pour que le procès puisse non seulement se tenir, mais aussi entraîner celui d’autres acteurs qui ont pu jouer un rôle majeur dans cette crise, dans les deux camps. C’est à ce prix que les Centrafricains pourront se réconcilier avec eux-mêmes, après avoir été édifiés sur les tenants et les aboutissants de cette crise qui a profondément déchiré leur pays et dont ils continuent de subir les affres encore aujourd’hui. C’est pourquoi il faut saluer la décision des autorités qui ont prêché pour une retransmission de ces audiences par les médias nationaux, dans le but de permettre à leurs concitoyens de mieux comprendre pour tourner la page et avancer vers la réconciliation. Tout le mal qu’on puisse leur souhaiter, c’est que cette action puisse produire les effets escomptés.