Cette question m’a été posée un jour par mon plus jeune fils : « Papa, pourquoi les gens veulent-ils tous devenir Président ? ». J’ai été évasif : « Non pas tous. Je sais pas». Mais la question revêt une part de vérité. En Centrafrique, une telle question a une portée significative. Car, l’obsession du pouvoir est pathologique. Cette pathologie s’est plusieurs fois manifestée par des coups d’Etat, des mutineries, des rebellions, et par la prolifération des partis politiques. En effet, l’unique « fauteuil présidentiel » en Centrafrique est devenu un « banc » où il y a de la place pour tout le monde et chacun peut venir s’asseoir pour prendre une calebasse de « bili-bili » ou un verre comme au bar dancing « Mbi yé ».
Chacun se veut être président et pour cela, il se fabrique une passerelle sur mesure pour y parvenir. La fonction présidentielle est devenue vulgaire, dénuée de toutes ses caractéristiques qualitatives. On veut seulement être président et s’y accrocher par tous les moyens au détriment du peuple.
Laurent Fabius a ouvert, lors de sa visite à Bangui en 2013, le bal des postulants à la candidature pour 2015. Depuis cette annonce, malgré que les centrafricains tombent quotidiennement sous les balles des Séléka, certains politiques cyniques et pervers, dans une indifférence absolue, occultent la souffrance du peuple centrafricain en pensant uniquement à être élu en 2015. Aucun d’eux n’ose lever le petit doigt pour dénoncer avec la toute dernière vigueur les crimes odieux que commettent les (ex) rebelles à Bambari, Kanga-Bandoro, Batangafo, etc.
Au regard de tout cela, il t’appartient aujourd’hui, toi centrafricain lambda, de dire que tu n’es pas dupe même si on tente de détourner ton attention avec de petits gestes humanistes.
Cette fois-ci, poses-toi une question qui exige une réponse idoine : est-ce que tous ces ambitieux qui aspirent à devenir Chef d’Etat, sont-ils vraiment aptes à incarner l’autorité inhérente à la fonction présidentielle ? Car, tel que déjà constaté, sur six présidents qui se sont succédé au pouvoir en Centrafrique, la plupart ont donné de la fonction présidentielle une image ubuesque, ethnique, prédatrice et autocratique. L’érosion de la fonction présidentielle a atteint son paroxysme avec l’arrivée de Djotodia qui, réduit à un grand commis du Tchad, a complètement désacralisé la fonction présidentielle, c’est-à-dire dépouillé de son caractère respectable. Mme Samba-Panza a donné un coup de grâce par un « je m’en foutisme » ostentatoire et une prédation pathologique.
Pourtant, une telle fonction doit être sacralisée. Sacraliser la fonction présidentielle, c’est voir le Chef de l’Etat incarner une nation, une autorité transcendante à toutes les forces négatives et à toutes les passions triviales du corps social.
Malheureusement, aujourd’hui, il n’y a plus aucun respect pour la fonction présidentielle. Pourtant, être président, sous d’autres cieux, c’est d’abord s’imprégner de l’envie des citoyens : l’envie de faire enfin respirer à pleins poumons un pays qui s’étouffe sous le poids des privilèges de la caste au pouvoir. L’ambition du prétendant est ainsi nourrie par l’élan des forces les plus créatives et les plus ardentes et par la vaillance de son patriotisme.
En fait, on pensait toujours que la gravité des responsabilités du Président de la République découragerait les ambitieux, ou dissiperait leur désir d’en assumer la charge. Erreur. Les faits ne paraissent guère nous donner raison : à chaque élection, les candidatures se multiplient et les marchands de rêve écument le paysage politique centrafricain.
Pour preuve, comme lu sur le mur de Mr Michel Chantry, bientôt, nous aurons « plus de 70 candidats annoncés et près de 150 partis politiques reconnus, dans ce pays de 800.000 électeurs potentiels en temps de paix (800.000/70 = 11428 électeurs par candidat; donc avec femmes et enfants sans les cousins, chaque centrafricain peut devenir Président; bientôt ce sera le tour des biquets!). Du Jamais Vu! »
Alors pourquoi y a-t-il tant d’ambitieux à vouloir être Président dans un pays dont le tissu socio-économique est complètement en lambeaux ? Dont les biens ont tous été détournés ? Dont le peuple est livré sur l’autel des ambitions démesurées ?
Une question ouverte.
Passi KERUMA