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La Centrafrique est comme une "Maison sans fenêtres"

Publié le mardi 3 decembre 2019  |  presse.over-blog
Hopital
© Autre presse par DR
Hopital Elisabeth Domicien de Bimbo
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"Maison sans fenêtres", publié aux éditions La Boîte à Bulles et coédité par l’ONG Médecins sans Frontières (MSF), est un "objet" magnifique et terrible où se mêlent dessins, photos et vidéos. Au gré des 160 pages, l’illustrateur Didier Kassaï et le photojournaliste Marc Ellison nous plongent dans le quotidien d’une jeunesse meurtrie dans "l’un des pires pays au monde pour les enfants".

Cette situation, peu abordée par les médias internationaux, est qualifiée par les différents observateurs de "crise oubliée". Comme le précise Aude Thomet, une coordinatrice de MSF dans le pays: "Je vois la République centrafricaine un peu comme une maison sans fenêtres. Or, sans fenêtres, comment les gens vivant à l’extérieur pourraient avoir une idée de ce qui s’y passe ?"

Grâce aux récits et confidences de ces jeunes confrontés à une violence endémique, les auteurs nous permettent de plonger dans les traumatismes d’un pays marqué par des années de conflit et de remettre au premier plan le sort de sa population. La Centrafrique, ancienne colonie française, est située au dernier rang de l'Indice de développement humain par l'ONU.

Cet album a reçu la médaille d’or du meilleur reportage par l’association des correspondants de presse de l’ONU en 2017.

Déjà marqué par une guerre civile entre 2004 et 2007, la Centrafrique a vu les violences redoubler en 2013 suite au renversement de l'ex-président François Bozizé par les milices de la Séléka, majoritairement musulmanes. Des conflits meurtriers éclatent avec les anti-balaka, des milices chrétiennes d'auto-défense, et amènent le pays au bord du gouffre. A cause de l’insécurité permanente, avoir accès à l’eau, se nourrir, se soigner ou envoyer ses enfants à l’école : tout cela devient pratiquement impossible. Et entrave les efforts humanitaires. Devenus orphelins, des milliers d’enfants se retrouvent livrés à eux-mêmes.

Les jeunes ont grandi au milieu d'infrastructures paralysées par des décennies de mauvaise gestion, de corruption et de coups d'Etat. Avant même le début de la crise, cette ancienne colonie française était considérée comme le pire pays au monde pour un enfant et le récent conflit armé a empiré la situation. Seul un tiers des enfants sont scolarisés. Nombre d’entre eux vivent encore dans de vastes camps établis pour les déplacés internes, avec un accès minimal aux soins et à l’éducation, explique le photojournaliste Marc Ellison.

De nombreux gamins se retrouvent à errer dans les rues sans réel but, sauf celui de survivre. Vivre sur les trottoirs est difficile et dangereux. Il faut faire face à la violence quotidienne et beaucoup deviennent des hommes avant d’avoir pu profiter de leur jeunesse. Un enfant surnommé Jack Bauer, "son nom de rue", comme il le précise au dessinateur Didier Kassaï, pratique des petits boulots pour pouvoir se nourrir. Les filles sont moins présentes dans les rues pendant la journée: la nuit, certaines d’entre elles se prostituent.

Certains ont la chance de trouver refuge à la Voix du Cœur, le seul centre d’accueil que compte la capitale Bangui. Ange Ngassenemo, un ancien prêtre et actuel directeur du lieu, raconte à Didier Kassaï: "Un sondage de 2006 a estimé qu’il y avait plus de 6.000 enfants vivant dans le rues. Certains ont été abandonnés par leurs parents à cause de maladies, notamment le sida, ou ont fui volontairement leur maison en raison de violence domestique. Mais dans les rues, ils sont tout aussi exposés aux abus physiques ou sexuels… Et beaucoup commencent à prendre de la drogue. Ils commencent à renifler de la colle ou devenir accro aux 'boutons rouges' (terme d’argot pour désigner le Tramadol, un opioïde contre les douleurs)."

Mais comme le raconte Grace, beaucoup d’enfants préfèrent choisir la rue plutôt que de rester dans des familles dissolues, affronter la violence domestique et subir les coups de pères alcooliques. Parfois récupérés par d’autres membres de leurs familles quand leurs parents sont morts, les orphelins sont accusés de sorcellerie, une excuse facile pour les jeter dehors et ne plus s’en occuper.

En vivant dans la rue, un enfant court le risque de contracter de nombreuses maladies : paludisme (principale cause de décès des enfants de moins de cinq ans, précise un médecin), infections respiratoires, typhoïde. Certains garçons souffrent d’infections, car ils ont été circoncis de force par les membres de gangs. D’autres contractent le sida, car ils ont été violés. La plupart des hôpitaux refusent de les accueillir car ils sont sales et sans argent.

Pour ceux qui vivent hors de Bangui, l’accès aux soins est encore plus problématique. Les trajets sont dangereux et les "coupeurs de routes" empêchent les gens de circuler librement ou les rackettent. "Ils écument la région nord-ouest en kidnappant des centaines de familles d’éleveurs contre rançons, obtenues via la vente de leurs troupeaux."

Des nouveaux-nés et des mères meurent pendant l’accouchement. Les femmes enceintes n’osent plus se rendre dans les centres médicaux. De plus, la plupart manque de médecins qui, par peur, ne veulent plus quitter Bangui. Un médecin qui travaille à la maternité de Kabo, gérée par MSF, précise "qu’il y a plus de personnes qui meurent parce qu’elles n’ont pas accès à des services de santé que de victimes qui meurent lors des combats ou des suites de leurs blessures."

L’accès à l’éducation est l’un des autres grands problèmes. Pendant le conflit, de nombreuses écoles ont été détruites. Des professeurs ont été assassinés. De nombreux enfants ont cessé leur scolarité. Dans la capitale, trois ans après la fin des combats, un quart des écoles reste toujours fermées. Le manque de professeurs oblige souvent des parents à assurer eux-mêmes l’enseignement moyennant un petit revenu. L’ONG l’Etape offre la possibilité de suivre un enseignement. Cela favorise la cohésion car ici être chrétien ou musulman ne signifie pas grand-chose pour les enfants.

Mais le véritable défi pour Michel Sorobai, directeur de l’école de l’Etape, est de convaincre les enfants de suivre des études quand ceux-ci croient que travailler dans une mine de diamants peut leur rapporter de l’argent facilement. La plupart n’ont pas les moyens de payer leurs frais de scolarité et les parents qui travaillent dans les mines incitent souvent leurs enfants à les rejoindre. Il est pourtant interdit à ces derniers d’y travailler. Les mines sont artisanales et dangereuses. Mais selon les dictons, "le stylo est noir, mais le diamant est clair". Ou encore, "le stylo est lourd, mais la pelle ne l’est pas."

Beaucoup d’enfants souffrent de malnutrition. Une femme explique que les Mbarara, un groupe de pasteurs nomades du Tchad voisin, installent leurs bêtes sur les meilleurs pâturages pendant la transhumance. Elle explique que son petit-fils, Dieufera, ne mange plus que des feuilles et des racines car les bovins des Mbarara dévorent leurs récoltes. Il ne reste alors plus rien à la saison sèche. Mais cette population se dit aussi victimes du conflit qui les obligent à fuir. Comme l’explique Aude Thomet, la coordinatrice de MSF à Kabo, au nord du pays, ce conflit entre Seleka et anti-balaka a grandement exacerbé les tensions entre éleveurs et agriculteurs.

Gaston Ndovade, conseiller en santé mentale à MSF, organise des sessions pour les mères et les enfants: "La crise a eu un impact important sur la dynamique familiale au point que nous devons encourager les mères à aimer leurs enfants, à les nourrir, à les comprendre, à chercher à les rendre heureux. Ces séances aident véritablement à rétablir le lien entre les mères et leurs enfants. Nous espérons que ce lien retrouvé - et ce bonheur retrouvé - aideront les enfants à guérir. En 2016, l’organisation a fait en Centrafrique un million de consultations médicales, vacciné 500.000 enfants contre différentes maladies, réalisé 9.000 opérations chirurgicales et assisté à la naissance de 21.000 bébés.

Cheffe de mission et coordinatrice médicale pour MSF pendant quatre ans, Delphine Chedorge déclare: "En mettant au centre de leur ouvrage le thème de l’enfance, Marc Elisson et Didier Kassaï exposent les problématiques sociales, politiques et sanitaires qui marquent le pays, mais nous rappellent aussi que tout est à faire. Les analyses sur l’impuissance des casques bleus, le sous-financement de la réponse humanitaire, les derniers développements des jeux d’alliances et de rivalités des différentes factions armées nous font souvent oublier les gens qui vivent dans ce pays et leur potentiel. Ce livre les remet au premier plan."

"Maison sans fenêtres" est le premier roman graphique qui utilise la vidéo à 360 degrés pour transporter ses lecteurs au centre de son histoire dans une expérience immersive grâce à la réalité virtuelle. Des QR codes sont disséminés au fil du livre pour regarder les vidéos correspondantes aux différentes scènes.
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