Les chefs d’État de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac), réunis dans un cadre extraordinaire les 21 et 22 novembre 2019, ont affiché une volonté commune de défendre la stabilité de leur monnaie (franc CFA). Mais dans le même temps, ils ont marqué l’intention de voir évoluer les accords de coopération monétaire actuellement en cours avec l’Union européenne et la France. La Commission de la Cemac et la Beac (Banque centrale) ont été chargées « de proposer, dans des délais raisonnables, un schéma approprié, conduisant à l’évolution de la monnaie commune ».
Pour maintenir la stabilité intérieure et extérieure, la Beac mène depuis trois ans une politique monétaire restrictive. Ses actions ont pour objectif le maintien du taux de parité entre le franc CFA et sa monnaie de référence (l’euro). Selon les accords monétaires avec la France, cette stabilité monétaire exige que l’encours des réserves de change représente toujours au moins 20% des importations de la Cemac.
En décembre 2016, lorsque les présidents de la Cemac se sont réunis à Yaoundé, ces réserves se situaient à un peu plus de 50% des besoins d’importations, faisant craindre au sein de l’opinion publique, un risque de dévaluation de la monnaie. Selon un rapport de la Beac, publié ce mois de novembre 2019, les réserves de change à la fin juillet 2019, ont atteint 4272,7 milliards de FCFA (66,21 % des besoins d’importations), soit un peu plus de mille milliards de FCFA de plus qu’il y a un an.
Une situation extérieure stabilisée, mais des défis demeurent
Pour parvenir à ce résultat, la Banque centrale a pris de nombreuses mesures. La plus importante, et celle dont la mise en œuvre a occasionné le plus de défis, est la nouvelle règlementation de change. En vertu de cette règlementation, toutes les devises générées par les exportations de la Cemac doivent être rapatriées, pour renforcer les réserves de change, y compris celles des secteurs pétroliers et miniers qui sont les premiers produits vendus à l’extérieur par la sous-région.
Le ministre gabonais des Finances, Roger Owono Mba, a dans un échange avec l’agence Ecofin, reconnu l’existence de ce problème. Il trouve légitime la volonté de rapatrier toutes les devises issues de la vente à l’extérieur des ressources. Mais il fait aussi savoir que des discussions avec les opérateurs miniers et pétroliers ont soulevé le fait que la Banque centrale devrait se mettre aux normes standards des transferts de fonds. Une exigence qui n’est pas encore atteinte. Car cela suppose de passer par des entités internationales de compensation, dont l’accès est plus exigeant que le système classique du SWIFT (mode de transfert normal).
Dans les secteurs autres que celui des mines et du pétrole, la mise en œuvre de cette politique de change n’a pas été aisée. Le secteur privé, notamment au Cameroun, a mis une pression forte et le marché de change parallèle a saisi l’opportunité. Ce changement a mis en exergue de nombreux problèmes. On peut citer l’arrimage des banques commerciales, les ressources humaines au sein de la Banque centrale et de ses démembrements et même l’adaptation des opérateurs économiques aux nouvelles procédures. Mais la mise en œuvre d’une stratégie permanente de concertation et de communication a permis de stabiliser la situation.
Pourtant, la Beac ne parvient pas, jusqu’ici, à surmonter certains problèmes. Les gouvernements ont marqué leur accord pour rendre disponibles les accords pétroliers et miniers afin que la BEAC puisse s’assurer de la conformité des devises déclarées dans ces secteurs avec la réalité des contrats. Mais selon nos sources à la Beac, aucun gouvernement n’a déjà communiqué ses contrats. L’autre défi, c’est que de nombreux acteurs économiques non bancaires n’ont toujours pas rapatrié leurs devises.
À la fin du mois de juin 2019, les avoirs des résidents de la Cemac détenus par des banques étrangères atteignaient encore 5,2 milliards $ (3153 milliards de FCFA). La Beac a indiqué dans ses discussions avec le Fonds monétaire international (FMI) qu’elle n’avait pas des détails sur la nature de ces avoirs. Mais des données, collectées par l’Agence Ecofin sur la plateforme de la Banque des règlements internationaux, renseignent que près de 1,5 milliard $ sur ces avoirs sont détenus par des ménages de la Cemac tandis que près de 2 milliards $ appartiennent aux entreprises.
Une stabilisation intérieure en cours, mais au détriment du financement de développement
Pour ce qui est de la stabilité intérieure, la Beac travaille surtout à réduire l’excès de liquidités dans le secteur bancaire et le système monétaire. Elle a réduit les avances monétaires aux États, ajouté de nouvelles contraintes au refinancement des engagements pris par les banques et entrepris de réduire progressivement les injections de cash dans le secteur bancaire de la sous-région. Elle annonce d’ailleurs pour début 2020 une opération de ponction des liquidités excessives.
Ces actions qui sont suggérées par le FMI ne tiennent cependant pas compte de la réalité. Elles reposent sur l’hypothèse que la présence de trop de liquidités dans les banques pourrait devenir un risque pour la couverture de la monnaie, si des volumes importants de demandes de transferts sont effectués. Au sein même de la Beac, des experts ont souvent estimé que trop de liquidité représentait un risque sur les réserves de change, et que cela devrait guider le rythme de création de la monnaie.
Pourtant, dans un contexte de diversification des économies, les États et les investisseurs de la sous-région ont besoin de cash pour lancer des projets. Certains analystes estiment que la pression sur la quantité de monnaie en circulation pose un problème pour le financement du développement de la sous-région. Car elle ne tiendrait pas compte des besoins effectifs de crédits au sein de l’économie, mais davantage de la volonté de résoudre un problème qui ne s’est jamais posé, à savoir la pression sur les réserves de change du fait de la création monétaire.
À la Banque centrale, on affiche aussi le malaise à poursuivre avec ce type de politique de stabilité intérieure de la monnaie. Les défis sont notamment le fait que l’excès de liquidité ne concerne que quelques banques à capitaux étrangers qui ont des politiques de prêts restrictives. Autre problème : si la Banque centrale arrêtait avec ses injections de liquidité, des banques, dont la faillite serait un gros problème pour le système financier de la sous-région, se retrouveraient en difficultés alors que leurs bilans et leurs gouvernances sont assez bons.
Quelles perspectives pour la coopération monétaire avec la France ?
Dans son discours de clôture, le président camerounais Paul Biya a d’ailleurs rappelé un besoin de flexibilité. « S’agissant de notre politique monétaire, elle a permis jusqu’à présent d’assurer la stabilité financière dans notre sous-région. Il y a toutefois lieu de rester flexible à toute proposition de réforme visant à consolider son action et à assurer les meilleures conditions pour une contribution efficace de la politique monétaire à un développement de la sous-région », a-t-il déclaré.
Une nouvelle ouverture résidera peut-être dans la volonté affichée de revoir la coopération monétaire avec la France et l’Union européenne. La définition de la portée et du contenu de cette évolution a été confiée à la Commission de la Cemac et la Beac. Mais déjà, on a senti une différence d’approche chez les chefs d’État. Tandis que Teodoro Obiang Nguema de Guinée Équatoriale y voit une opportunité pour se libérer du partenaire monétaire de longue date (France), Denis Sassou Nguesso du Congo pense qu’il faut faire preuve de plus de responsabilité.
Des pistes de réflexion ne manquent pas. L’une d’elles est défendue par le statisticien camerounais Dieudonné Essomba. Ce dernier, qui prédisait déjà cette situation de crise en zone Cemac, avait suggéré de créer, à côté du FCFA (qui est la version africaine de l’euro), un dispositif monétaire parallèle dit monnaie binaire. Cela permettrait de libérer le potentiel des secteurs productifs obérés par la double exigence de stabilité extérieure et intérieure de la monnaie.
L’expérience du Nigéria peut aussi inspirer. Là-bas, la Banque centrale ne s’est pas limitée à mettre en place des dispositifs de politique monétaire. Elle a réduit l’accès aux devises par les banques pour le financement des besoins essentiels, le reste des besoins en devises étant satisfait par le marché monétaire (Nafex). À côté de cela, elle a interdit aux banques commerciales de participer aux investissements sur les bons et les obligations du trésor. L’objectif étant de réduire les excès de liquidités sur le système monétaire, tout en garantissant que les secteurs productifs bénéficient de financement, pour soutenir la diversification.