Par Alain LAMESSI
L’argument qui consiste à dire qu’il faut au préalable rétablir la paix, restaurer la sécurité et désarmer toutes les milices avant d’organiser les prochaines élections en République centrafricaine est très raisonnable. A bien des égards, il est parfaitement entendable. Seulement il pèche au mieux par naïveté, au pire par manque de réalisme. Au risque de mettre en place une troisième transition, il a fallu écourter celle-ci. Pourtant le schéma onusien de résolution de crise dans les pays « post-conflit » est bien connu. Il est globalement le même depuis les vingt ou trente dernières années. L’Irak, la Libye, le Mali, et dans une moindre mesure la RDC, la Sierra Léone, le Libéria, etc. en sont les meilleures illustrations. Tout d’abord imposer le dialogue entre les protagonistes pour apaiser les tensions et favoriser la réconciliation nationale, ensuite organiser les élections plus ou moins crédibles pour avoir des interlocuteurs légitimes et le reste comme le désarmement des parties en conflits, c’est après. N’en déplaise aux idéalistes, la République centrafricaine n’échappera pas à ce schéma qui est déjà expérimenté, validé et acté. Tout le reste n’est que vœu pieux. Et les vœux pieux par ces temps-ci sont du domaine de la superfétation.
Eviter le bégaiement de l’histoire
Les élections au printemps de l’année prochaine seront la meilleure occasion pour la République centrafricaine de faire peau neuve et surtout pour tourner définitivement la page de ce passé tumultueux fait d’échecs, de sang et des larmes dont personne ne peut en être fière et que tout le monde veut à jamais oublier. C’est l’opportunité pour la République centrafricaine de se renouveler en renouvelant de fond en comble une classe politique qui a eu de tout temps tout le mal du monde à s’affirmer. C’est surtout le moment propice de voir émerger de nouveaux visages et de nouveaux noms à la virginité confirmée, symbole de tous les espoirs des lendemains qui chantent.
La multiplication des candidats à la prochaine élection présidentielle (il paraît qu’il y en a déjà plus de 70) n’est pas tant le signe de la vitalité de la démocratie centrafricaine que le symptôme de la déliquescence avancée de l’élite centrafricaine. Il n’y a quasiment plus d’élite. L’échec cuisant des uns et la compromission des autres a fini par disqualifier les plus compétents. Tout le monde veut être comme tout le monde. Dans ce jeu où les tortues veulent être des oiseaux, c’est le peuple centrafricain qui risque encore d’en baver. Si Djotodia est devenu Président de la République, pourquoi pas moi semblent dire certains prétendants même si rien ne les prédispose à assumer de si lourdes responsabilités. Dans les démocraties avancées notamment en France on retrouve depuis trois décennies les mêmes dirigeants constitués des élus certes qualifiés qui se relaient au pouvoir au gré des alternances politiques.
Dès lors que les dates probables des consultations populaires sont connues, la précampagne semble avoir démarré sur un chapeau de roue. Les nouveaux venus en politique ou les tard-venus selon les cas ne font que peu de différence entre précampagne et campagne électorale. Confondant volontiers vitesse et précipitation, ils dégainent sur tout ce qui bouge espérant ainsi faire de bonnes affaires avec des voix achetées aux enchères.
Dans ce ronronnement soporifique qui tient lieu de round d’observation, il est frappant de constater la vacuité d’idées nouvelles tout comme l’évanescence des apports programmatiques à la hauteur de l’enjeu. Pas d’idées nouvelles. Pas d’hommes et de femmes nouveaux. Pas d’équipes d’hommes et de femmes crédibles pour prendre la relève politique automatiquement en cas de victoire. Même les mots d’ordre et les slogans scandés semblent comme sortis tout droit du musée tant l’odeur de la moisissure est encore prégnante. Les gestes, les mimiques et les sourires figés sur des visages dévitalisés sont du domaine du « déjà vus ». Dans un tel contexte le risque de désillusion n’est pas totalement écarté.
Il faut de toute urgence aérer le débat avec la confrontation des idées et des programmes. Il faut élever le niveau et non se contenter de simples arguties qui poussent comme de mauvaises herbes dans les caniveaux. Il faut nous montrer comment sortir de la crise, unir le peuple divisé, relancer l’économie et créer des richesses, etc. Si les coups bas sont des piquants qui relèvent la sauce du jeu démocratique, ils permettent de disqualifier les moins bons. Il faut néanmoins nous faire rêver avec des chiffres et des lettres que le commun des centrafricains peut vérifier à sa guise afin de se forger une conviction. Plus question de candidat de ma tribu, de mon ethnie, de ma région, etc. Nous y avons cru dans le passé parce que des hommes politiques fantoches nous les ont vendus à bas coûts. Malheureusement tout cela nous a conduit dans le chaos.
Le changement sera le maître mot pour répondre à une nécessité historique
Souvent absente mais longtemps aphone aux heures sombres de la barbarie qu’a connue notre pays, la classe politique centrafricaine n’a pas su tirer son épingle du jeu macabre que lui a imposé tantôt la Séléka, tantôt les Anti-balakas, tantôt les deux à la fois. Il faut craindre qu’on en vienne à lui faire payer cash le louvoiement érigé en stratégie de survie car il y a comme une perte de confiance d’une frange relativement importante de la population. Exacerbée par autant de frustrations et de désolations, cette perte de confiance ou plutôt cette méfiance va se transformer en une véritable défiance à l’égard de ceux qui ont déjà assumé des responsabilités au niveau de l’Etat : Ancien Président de la République, anciens Premiers Ministres, Anciens Ministres, Anciens Présidents de l’Assemblée, Anciens députés, etc. Ce sont des titres certes bons pour étoffer les CV mais qui ne constituent pas forcément un quelconque avantage pour leur porteur à l’occasion des échéances électorales futures. Bien au contraire ils pourraient devenir des handicaps dès lors que la majorité silencieuse voudra se déterminer à partir des réalisations concrètes comme conséquences de leur passage plus ou moins long aux affaires. Mais avoir des handicaps ne veut pas forcément dire vaincus d’avance. L’intelligence politique des uns et des autres sera mise à contribution.
Sortis opportunément de leur tanière, des thuriféraires mettent enfin de la voix pour surenchérir et compenser le manque criard d’idées nouvelles. Embués par des convictions vaporeuses nées de leurs propres sentiments, ils sur-jouent volontiers sur tous les fronts, psalmodiant à tue-tête que l’élection présidentielle est déjà gagnée d’avance. A les écouter, le rendez-vous de 2015 ne sera que simple formalité. C’est de la méthode Coué qui relève plutôt de l’autosuggestion.
Tout comme il y a des partis politiques ou autres associations qui se créer opportunément à l’approche des échéances électorales dans le but avoué de décorer la tapisserie dans une hypothétique majorité présidentielle, il y a des opportunistes qui font des pieds et des mains pour exister dans cette période. L’occasion faisant le larron, ils espèrent de tout cœur faire pencher la balance électorale, de façon magique si l’on en croit, en faveur de tel ou tel candidat et monnayer au prix fort leur soutien quand bien même de toute évidence leur soutien quasi nul n’aura apporté aucune plus-value tangible.
Beaucoup sont les hommes politiques potentiels prétendants à la magistrature suprême qui semblent superbement ignorer que la République centrafricaine est un pays en crise. Ils n’ont même pas une pleine conscience de la gravité de la situation et de la complexité de l’enjeu car il s’agira de bâtir sur les décombres occasionnés par la Séléka et les Anti-balakas, une nation nouvelle. Ils ne savent pas qu’il faut au moins deux ou trois représentants dans les 600 bureaux de vote pour contrôler les opérations. Ils ne savent même pas qu’en cette période de l’année il n’y a pas de route praticable entre la Nana Gribizi et la Vakaga et il faut un avion pour aller à la quête des électeurs du nord. Ce genre de contrainte leur est totalement étranger.
Aucun parti politique centrafricain à l’heure actuelle, semble-t-il, ne peut raisonnablement se prévaloir d’un passé glorieux ou d’un quelconque acquis politique, économique et social incontestable pour convaincre des électeurs de plus en plus sceptiques. La jeunesse âgée de moins de trente ans et qui représente tout de même près de 56% de la population paraît plutôt désabusée car n’ayant jamais connu ces 20 dernières années que chômage, mutineries, coups d’état, années blanches, etc. C’est cette jeunesse qui ne croit plus à rien, sevrée de tout espoir et de toute espérance et plus prompte à tout détruire à chaque occasion qu’il va falloir aller convaincre dans les villes, les quartiers et les villages. Ce n’est pas gagné d’avance tant les motifs des récriminations sont multiples et variés. En tout cas le jeu en vaut la chandelle.
Alain LAMESSI