Au sujet de l’impossibilité de la prorogation du mandat du président de la République : ma réaction à l’article de Dominique Désiré ÉRÉNON
Point n’est besoin de rappeler que les cinq années de magistère que le peuple centrafricain est supposé avoir confié à Faustin Archange Touadera arrivent à expiration d’ici quasiment douze (12) mois jour pour jour, le 30 mars 2021 pour être précis. La Constitution de la République centrafricaine dispose en son article 36 al.2 que « l’élection du nouveau président a lieu quarante-cinq (45) jours au moins et quatre-vingts dix (90) au plus avant le terme du mandat du président en exercice ». C’est donc fort de ces dispositions que l’Autorité nationale des élections (ANE) a prévu d’organiser le 1er tour des élections présidentielle et législatives le 27 décembre 2020, c’est-à-dire dans huit (8) mois.
Mais, selon les augures, il est fort à parier que l’on ne sera pas en mesure de respecter le délai prescrit par la loi fondamentale et que l’on sera obligé d’opérer un éventuel glissement du calendrier électoral.
On comprend donc combien le sujet est sensible et combien est pressant le désir des uns ainsi que des autres de percer le mystère qui enveloppe les scenarii préconisés par chaque camp, pouvoir et opposition, autour de cette problématique de la tenue ou non des élections présidentielle et législatives dans le délai constitutionnel. Le sujet suscitant tellement de l’inquiétude qu’il est fort peu aisé de l’aborder avec sérénité, sans provoquer le soupçon ou sans faire l’objet d’un procès en arrière-pensées. Car, suivant les mots de Jeannot Christophe GOUGA III, « un tel exercice n’est ni neutre ni banale ».
C’est en cela que l’article de Dominique Désiré ÉRÉNON, intitulé « l’appréhension constitutionnelle d’un éventuel glissement du calendrier électoral de 2020 en RCA » apparait, sans aucun doute, comme à la fois judicieux, parce qu’il met sur la place publique un sujet de préoccupation nationale, et indispensable, pour la simple raison qu’il aborde, avec les outils de sa science, une problématique touchant l’avenir du pays. Ce dernier, homme de droit, universitaire en ses grades et ès qualité d’enseignant-chercheur à la Faculté des sciences juridique et politique de l’Université de Bangui – au sens le plus élevé que puissent revêtir ces titres dans l’imaginaire collectif – a le mérite de s’être emparé de la question et d’être le tout premier à avoir publiquement mis la lumière sur « les conséquences d’une hypothèse de glissement du calendrier électoral ».
I – UN BREF RAPPEL DE SON POSTULAT
Que dit Dominique Désiré ÉRÉNON en substance ? D’abord, il rappelle d’une part que le mandat du président Faustin Archange Touadera (il convient d’indiquer que l’article parait au lendemain du quatrième anniversaire de l’accession au pouvoir de ce dernier) qui court depuis le 30 mars 2016 va s’expirer à la même date en 2021 et que d’autre part, à ce jour, en raison notamment du retard que connait le processus électoral, il sera presque impossible d’organiser le premier tour des élections présidentielle et législatives le 27 décembre 2020, avant d’énumérer les rasons qui, selon lui, hypothéqueraient la tenue de ces scrutins à bonne date. Elles vont des difficultés structurelles (retrait sur le bureau de l’Assemblée nationale de la Loi organique portant organisation et fonctionnement de l’Autorité nationale des élections) aux contestations liées à l’installation des démembrements de cet organe, en passant par le retard pris dans le démarrage des opérations de recensement des électeurs qui devraient commencer depuis le 02 janvier 2020.
Ensuite, M. ÉRÉNON fait, à juste titre d’ailleurs, une interprétation combinée de l’article 36 al.2 que nous avons déjà évoqué plus haut et 35 al. 3 de la Constitution, énonçant l’impossibilité absolue « d’exercer plus de deux mandats consécutifs » et de « le proroger pour quelque motif que ce soit », pour nous indiquer, afin que nul n’en ignore, que le respect des deux dispositions constitutionnelles impose d’organiser l’élection présidentielle avant le 30 mars 2021. Ce qui impliquerait inéluctablement la question de savoir si Faustin Archange Touadera aurait-il le droit ou la possibilité de rester en fonction au-delà de son mandat actuel. La réponse, si l’on en croit l’auteur de l’article, est non, puisque l’hypothèse en question est proscrite par la Constitution. Mieux ou pire, Dominique Désiré ÉRÉNON met en garde contre la tentation de faire adopter par l’Assemblée nationale comme ce fut le cas en 2010, une prétendue Loi constitutionnelle modifiant et complétant certaines dispositions de la Constitution du 30 mars 2016 pour permettre à l’actuel président de la République ainsi qu’aux députés dont les mandats doivent expirer respectivement les 30 mars et 3 mai 2021 de demeurer en fonction jusqu’à l’achèvement du processus électoral. Ce qui constituerait une violation fragrante de la Constitution qui a pris soin d’exclure du champ de la révision « le nombre et la durée des mandats présidentiels ».
En définitif, au-delà du 30 mars 2021, et en l’absence d’organisation à bonne date de l’élection présidentielle, on tomberait, selon Dominique Désiré ÉRÉNON qui cite article 47 al.2 de la Constitution, dans un cas d’empêchement définitif du Chef de l’État qui perdrait ainsi toute légitimité, tant il serait dépossédé de ses attributions et prérogatives constitutionnelles et ne pourrait plus poser des actes opposables à la nation. Il s’agirait, d’après l’article 47 al. 1 de la Constitution, d’une vacance de la présidence de la République. Laquelle vacance devrait être formellement constatée « par un comité spécial présidé par le Président de la Cour Constitutionnelle et comprenant le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Sénat et le Premier Ministre, Chef du Gouvernement ». D’ailleurs, selon lui, l’hypothèse d’une vacance du pouvoir présidentiel n’ouvre pas dans l’immédiat une transition politique, mais plutôt une période de suppléance. Celle-ci échoit au Président de l’Assemblée Nationale, tel que le prescrit l’article 47 al. 8 de la Constitution du 30 mars 2016 : « En cas de démission, de destitution, d’empêchement définitif ou de décès, le Président de la République est suppléé par le Président de l’Assemblée Nationale ».
Cependant, prévient-il, si pour une raison ou une autre, le président suppléant ne parvient pas à organiser les élections dans les délais prévus par la Constitution, s’ouvrirait alors une période de transition. Raison pour laquelle M. ÉRÉNON appelle de ses vœux à la correction des anomalies que comporte l’actuelle Constitution et son adaptation aux réalités de notre temps.
II – LES LIMITES DE LA DÉMONSTRATION DE M. ÉRÉNON
De mon poste d’observation privilégié, j’aperçois déjà les esprits chagrins qui se ruent dans les brancards, brandissant les mêmes arguties qu’ils ont pris l’habitude de répéter à l’envie, ce même refrain démodé sur une pseudo-appartenance à la coalition Seleka qui me dénierait la qualité de citoyen centrafricain. Dans ce cas, il faudrait accuser tous les membres des partis politiques, KNK compris, qui avaient participé au Gouvernement de la transition après le coup d’État de Michel Djotodia. En réalité, ce qui explique cette calomnie, c’est le goût immodéré pour l’hallali qui pousse certains à dénigrer injustement les autres afin de surmonter leur profond mal-être.
C’est pourquoi, sans aller plus avant, je tiens à apporter certaines précisions qui en valent la peine : je ne nourris aucune animosité à l’égard de Dominique Désiré ÉRÉNON, loin d’en faut. J’ai, au contraire, pour lui, de la sympathie et une certaine amitié. Cela dit, mes observations au sujet de son article qui touche à notre avenir collectif ne doivent, en aucun cas, être considérées par les spécialistes du contretemps et de la réaction, quand il faut de la proposition, même erronée, comme une attaque ad hominem. Le rôle des élites étant de sortir de l’émotion, de réfléchir froidement afin de montrer le chemin au peuple.
Je le fais remarquer parce que quand j’avais réagi à la sortie tonitruante de l’un des éminents chefs des Forces armées centrafricaines (FACA) qui tentait maladroitement de prendre la casquette d’un homme nouveau, refusant obstinément de reconnaitre sa part de responsabilité dans la descente aux enfers de notre pays, on m’a rapporté qu’il s’est trouvé des compatriotes dont la mauvaise foi le dispute avec l’obscurantisme pour m’accuser de faire du « anti-gbaya primaire », ignorant ainsi mon histoire personnelle et le fait que coule dans les veines de mes enfants du sang gbaya.
Pour revenir à notre sujet, et pour paraphraser le Général De Gaulle, il en résulte de la démonstration de M. ÉRÉNON que les problèmes innombrables et d’une extrême urgence se dressent devant la République centrafricaine de la manière la plus pressante, cela à une époque où il est aussi mal aisé que possible de les résoudre. Si, comme nous l’avons souligné plus haut, M. ÉRÉNON a eu le mérite d’être le premier à aborder publiquement cette problématique, malheureusement, il s’est contenté d’énoncer des principes juridiques. Ce faisant, il a oublié d’aborder le seul thème qui présentait une espèce d’intérêt, et qui est, non pas « les conséquences d’une hypothèse de glissement du calendrier électoral » ou encore l’impossibilité de « proroger le mandat du président de la République », mais plutôt le silence de la Constitution du 30 mars 2016 sur certaines notions pratiques qui pourraient être à l’origine de nombre de conséquences fâcheuses. Et on le verra. Tout comme il évoque la nécessité d’une révision constitutionnelle sans dire ce qui est prévu en la matière.
A – De la notion d’empêchement définitif
À l’instar de la plupart des experts centrafricains en matière de droit public, l’auteur de l’article objet de ces observations s’est borné de faire la démonstration de l’existant, autrement, à nous expliquer le sens des articles de la Constitution en lieu en place d’une véritable prospective. Exactement comme l’avaient fait les rédacteurs de la Charte constitutionnelle de la Transition qui s’étaient bien gardés, au nom d’un loyalisme méprisable à l’égard du puissant du moment, détenteur de décrets et autres arrêtés, d’y inclure des dispositions relatives à la vacance du pouvoir. De sorte que l’on s’était retrouvé devant un vide juridique lorsqu’il a été question de procéder à l’élection d’un nouveau chef d’État de transition après la démission de Michel Djotodia. La Charte de la transition n’ayant rien prévu en la matière, la voie était ouverte à toutes sortes de dérives et à une ingérence détestable de la communauté internationale de Bangui qui, à l’époque, avait réussi à nous imposer son candidat, en l’occurrence une candidate, excluant au passage, par des critères élastiques, d’autres personnalités dont les compétences avérées auraient conduit à une sortie de crise définitive. Nous payons aujourd’hui les conséquences de ce curieux déroulement politique.
Éminent juriste, M. ÉRÉNON ne saurait méconnaitre cette expression du jargon juridique : « l’esprit et la lettre ». C’est dire qu’en droit, l’absence de la lettre laisse la porte ouverte à toutes les possibilités incertaines, sujettes à diverses interprétations, renforçant par-là même l’incertitude, le doute, et, créant finalement une insécurité juridique préjudiciable au bon fonctionnement de l’État. Certes, il a pris le soin de nous rappeler les dispositions de l’article 47 al. 8 de la Constitution du 30 mars 2016 qui énonce qu’« en cas de démission, de destitution, d’empêchement définitif ou de décès, le président de la République est suppléé par le Président de l’Assemblée Nationale ». Mais il s’est gardé, là encore, de nous expliquer ce qu’est cet « empêchement définitif » et dans quelle mesure du possible, à l’exception d’une maladie grave dument constater par un médecin ou de la mort, doit-on considérer que le président de la République est définitivement empêché.
La question qui demeure posée est celle de savoir si la non-organisation de l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel peut être considéré comme un « empêchement définitif » et ouvrir ainsi la vacance du pouvoir ? À ce propos, il appartient aux spécialistes du droit constitutionnel de nous répondre. Ce qui nous amène à aborder la seconde faiblesse de la démonstration de M. ÉRÉNON, à savoir la problématique de la modification de la Constitution.
B – De la modification constitutionnelle
Si l’on croit la démonstration de M. ÉRÉNON, le très probable et l’inéluctable glissement du calendrier électoral de 2020 entrainerait à coup sûr une vacance du pouvoir qui serait suppléer par le président de l’Assemblée nationale. Et si, pour une raison ou une autre, le président suppléant ne parvient pas à organiser l’élection présidentielle dans le délai prévu par la Constitution, s’ouvrirait alors une période de transition. L’issue de la transition étant incertaine, l’auteur du diagnostic a préconisé la modification de la Constitution du 30 2016 afin d’y corriger les anomalies mais aussi de l’adapter aux évolutions temporelles. Soit.
Cependant, et c’est là où blesse le bât, il oublie de nous indiquer le mécanisme de modification que prévoit la Constitution. Tout comme il refuse de se prononcer sur l’opportunité ou non de réviser la Constitution à quelques mois de l’élection présidentielle alors que depuis la date de sa promulgation tout le monde savait qu’il y figurait des anomalies et des non-sens flagrants.
Cela dit, en dehors de l’exclusion du champ de la révision du « nombre et la durée des mandats présidentiels », la Constitution énonce en ses articles 151 et suivants les dispositions relatives à sa réforme. Ainsi, l’article 151 dispose que « l’initiative de la révision de la Constitutionnelle appartient concurremment au président de la République et au Parlement statuant à la majorité des deux tiers (2/3) des membres qui composent chaque chambre ». Alors que l’article 151 al.2 énonce que « la révision intervient lorsque le projet ou la proposition présenté en l’état a été voté par le Parlement réunit en Congrès à la majorité des trois quarts (3/4) des membres qui le composent ou a été adoptée par référendum »
Il s’en suit de l’interprétation de ces deux articles que l’initiative de la révision constitutionnelle appartient conjointement, de concert (concurremment) entre le président de la République et le Parlement, c’est-à-dire l’Assemblée nationale et le Sénat. Et cette révision ne peut intervenir que si le Parlement (Assemblée nationale et Sénat) l’a adopté à la majorité des trois quarts (3/4) des membres qui le composent ou à la suite d’un référendum.
Alors question : en l’absence du Sénat, comme c’est actuellement le cas, le président de la République peut-il prendre seul l’initiative d’une révision constitutionnelle sans violer la Constitution du 30 mars 2016 ? Il semble que la réponse est négative.
Dans ces conditions, que dire des dispositions de l’article 152 al.2 : « aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie en cas de vacance de la Présidence de la République ou lorsqu’il est porté atteinte à l’unité et à l’intégrité du territoire ». Concrètement, doit-on intégrer dans ce champ d’atteinte à l’unité et à l’intégrité du territoire les rébellions et autres groupes armés qui occupent une bonne partie dudit territoire ? Si, comme on le suppose, la réponse est affirmative, toutes les possibilités de révision sont, dans le contexte actuel, obstruées.
En conclusion et contrairement à la brillante démonstration de M. ÉRÉNON, le glissement du calendrier électoral de 2020 n’ouvre pas la voie à une vacance du pouvoir mais plutôt à une phase transitoire dès lors que d’une part, la Constitution du 30 mars 2016 ne prend pas en compte dans la notion d’« empêchement définitif » l’inorganisation de la présidentielle à bonne date (sauf démonstration contraire) et que d’autre part, la Loi n°19-011 du 02 août 2019 portant Code électoral dispose en son article 111 al.1 ce qui suit : « en aucun cas, le mandat du président de la République ne peut être prorogé pour quelque motif que ce soit ». Autrement, il revient donc au génie politique centrafricain de trouver la bonne formule pour une éventuelle transition dont les ingrédients sont désormais réunis.