Me Nicolas Tiangaye, Ancien Président de la Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme (LCDH), ancien Premier Ministre de la Transition, le Président de la Convention Républicaine pour le Progrès Social (CRPS), Me Nicolas Tiangaye, brise le silence et réponds à nos questions
Mr Tiangaye, depuis votre démission vous avez observé un long moment de silence. Pourquoi cette attitude ? Où en êtes-vous ainsi que la Convention Républicaine pour le Progrès Social (CRPS) aujourd’hui ?
NT: Je vous remercie pour cette opportunité que vous m’offrez pour m’adresser à vos lecteurs. En réalité, j’avais fait le choix de ne pas m’exprimer sur les médias. Mais je n’étais pas resté inactif puisque je m’occupais de la restructuration de mon parti et je participais activement aux activités politiques de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Transition (AFDT) qui est la plateforme politique à laquelle appartient mon parti la CRPS.
2. Presque 12 mois après votre démission, quel regard portez-vous sur votre bilan. Où pensez-vous avoir réussi, échoué ou déçu et pourquoi?
NT: Je n’avais jamais affiché la prétention d’avoir à réussir tout seul une mission collective qui incombait et qui incombe encore à tous les centrafricains dans le cadre d’une transition inclusive et consensuelle sur la base d’une feuille de route que tout le monde connaît.
Ceux qui croient qu’un Premier Ministre a un bâton magique pour opérer tout seul des miracles sont sur une autre planète.
3. Vous avez récemment fait des révélations fracassantes concernant le sommet de Ndjamena qui s’est soldé par la démission de Mr Djotodia, Président à l’époque, ainsi que de vous-même Premier ministre à l’époque. Vous avez dénoncé une humiliation de l’Etat Centrafricain. Pouvez-vous revenir sur cela et nous en dire plus ? Pourquoi avoir gardé le silence sur les en dessous de la rencontre de Ndjamena si longtemps ?
NT : Il n’y a pas des « en dessous », puisque ce sont des faits que tout le monde connaît et que tout le monde feint d’ignorer. C’est surtout le silence des centrafricains qui doit intriguer. Avez-vous vu dans l’histoire des relations internationales les représentants d’un pays embarqués nuitamment dans un avion pour aller recevoir des ordres et décider en territoire étranger du sort des institutions de leur Etat fut-il un Etat fantôme?
Est-il normal qu’un Secrétaire Général c’est à dire simple fonctionnaire d’une organisation internationale insulte sur les ondes d’une radio (RFI) les représentants d’un Etat membre? Ce sont des faits qui doivent interpeller tous les centrafricains puisque l’humiliation n’avait pas pris fin avec la » démission » de DJOTODIA et de TIANGAYE.
4. Remontons quelques mois en arrière, vous êtes Premier Ministre et Djotodia Président, L’ex-séléka a le pouvoir, les graves violations des droits humains sont monnaie courante dans tout le pays. Autrefois plébiscité par le peuple, ce dernier dénonce de plus en plus votre silence. Les centrafricains vous accusent d’une certaine inaction face aux exactions commises par la Séléka, alors que vous aviez la réputation d’être un farouche défenseur des Droits de l’Homme.
Vouliez-vous protéger votre vie ou cette inaction était commandée par l’exercice du pouvoir ?
NT : Je ne suis pas surpris par cette question agitée par des personnes dont je doute de la bonne foi. Avez-vous oublié que je suis la première personnalité centrafricaine à avoir demandé publiquement et officiellement le désarmement forcé de la coalition SELEKA le 15 mai 2013 devant le Conseil de sécurité des Nations Unies à New-York soit 1 mois et 22 jours seulement après sa prise de pouvoir? Avez-vous oublié que c’est moi qui avais demandé la mise en place de commissions d’enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis en RCA afin que leurs auteurs puissent être poursuivis et jugés par les juridictions nationales et internationales?
Pourquoi faire semblant d’ignorer que toutes ces initiatives m’avaient valu des représailles des SELEKA qui avaient attaqué mon domicile et assassiné mes gardes du corps en décembre 2013?
5. En la mémoire des victimes et du sang versé, l’ancien président de la Ligue centrafricaine des droits de l’homme (LCDH) serait il prêt à aider à monter un dossier pour poursuivre tous les responsables des atteintes aux Droits de l’homme devant les juridictions nationales et internationales ?
NT: C’est à ma demande que des commissions d’enquête travaillent actuellement sur le dossier centrafricain. Je suis personnellement l’évolution des investigations qui doivent déboucher sur le châtiment de ceux qui ont du sang de notre peuple sur les mains.
6. En tant que Premier Ministre, quel était votre marge de manœuvre réelle sous l’ère Séléka ?
NT : Certaines de mes initiatives étaient contrecarrées par des personnes qui se croyaient proches du Chef de l’Etat de Transition.
7. La CRPS vient d’effectuer sa rentrée politique, mais aujourd’hui il est bien difficile de dissocier votre parti de l’AFDT. Où se situent les limites du Parti et de l’alliance ?
NT : L’AFDT a un objectif: fédérer les énergies pour la réussite de la transition. Chaque parti membre garde son indépendance.
8. Si l’esprit de la charte de transition est respectée, vous ne pourrez être candidat aux présidentielles. En outre, personne de votre parti ne pourra de manière crédible concourir. Quels rôles, vous et la CRPS, comptez-vous donc jouer lors de ce scrutin ? Et comment voyez-vous votre avenir politique ?
NT : Faux débat. Je ne suis plus concerné par la restriction de l’inéligibilité. Pour votre gouverne, je vous renvoie à la lecture de l’article 104 alinéa 2 de la Charte Constitutionnelle de Transition qui dispose: « Le Premier Ministre reste en place jusqu’à la nomination de son successeur par le futur Président élu démocratiquement ».
N’étant plus en fonction depuis le 14 janvier 2014 date à laquelle j’avais remis ma démission au Président du Conseil National de Transition, je suis légalement délié de cette obligation qui ne pèse désormais que sur le Premier Ministre qui assumera cette charge lors des élections de 2015.
Tous les constitutionnalistes consultés sont de cet avis.
9. Nous pouvons objectivement et sans langue de bois dire que votre exercice du pouvoir a beaucoup entamé votre crédit en tant qu’homme politique bien que vous restez un brillant avocat auprès des centrafricains qui seront les prochains électeurs. Qu’en dites-vous ? Que pensez-vous encore pouvoir rapporter à la RCA ?
NT : C’est le suffrage universel seul qui tranchera. Le reste relève de lubies sans fondement.
10. Comment analysez-vous la situation actuelle de la RCA, un an après la mise en place de l’Opération Sangaris ?
NT : Il n’y a pas que l’Opération Sangaris. Il y a aussi la Minusca et l’Eufor-RCA. Je salue les efforts déployés par ces forces qui ont évité le pire à la RCA. Je m’incline devant le sacrifice de leurs hommes tombés pour la paix en Centrafrique. Toutefois, la restauration de la sécurité dans le pays ne saurait éluder l’application intégrale et sans fioriture des résolutions des Nations qui placent le mandat des forces internationales sous le chapitre 7 de la Charte impliquant ainsi l’usage de la force en tant que de besoin pour désarmer les forces négatives.
Il y a également une nécessité impérieuse de la mise sur orbite opérationnelle des FACA pour un accompagnement plus efficient du processus de sécurisation.
11. Vous avez récemment été reçu par la cheffe de l’Etat de Transition, quel bilan faites-vous de la transition qui vous a succédé ? Quelles sont vos relations avec les autorités de la Transition ?
NT : La Cheffe de l’Etat de transition a déjà fait son bilan à mi-parcours. Je n’ai pas à me prononcer connaissant les difficultés et les obstacles que la Transition dans son ensemble doit surmonter.
Je n’ai pas de relations particulières avec les autorités. Elles s’inscrivent dans le cadre du soutien de l’AFDT au processus de transition afin que celle-ci débouche sur des élections crédibles et transparentes dans les délais prescrits par la Charte.
12. Comment envisagez-vous le futur Forum sur la Réconciliation?
NT : D’abord par le dialogue à la base. C’est une étape incontournable si on veut aboutir à une véritable réconciliation.
13. Comment trouver une solution définitive à l’épineux problème des Séléka et Antibalaka ? Quelles sont vos solutions pour réunifier le territoire et pacifier le pays?
NT : Permettez-moi de garder ce que je considère comme une contribution pour le Forum.
14. Quel message pouvez-vous adresser aux Centrafricains ?
NT : La situation est très dure mais pas irrémédiable. Personne ne viendra nous sauver. Comme j’ai l’habitude de le dire, c’est ensemble que nous sauverons la patrie ou c’est ensemble que nous périrons.