Les Centrafricains votent ce dimanche, pour élire un nouveau président et renouveler les 140 députés de leur parlement, et c’est dans un cadre de troubles et de violences que ce double scrutin s’est ouvert.
Le pays, l’un des plus pauvres de la planète, est en proie depuis plusieurs jours à une reprise des violences armées, des milliers de personnes ont été déplacées depuis une semaine, essentiellement dans les parties rurales du pays
Les groupes armés, qui contrôlaient déjà deux tiers du territoire, avaient juré de “marcher sur Bangui” pour empêcher le scrutin, mais pour l’heure ils sont tenus à distance de la capitale, grâce à l’intervention de plusieurs centaines de paramilitaires russes, de soldats rwandais et de Casques bleus des Nations Unies, qui agissent dans le cadre de la force de maintien de la paix de la Mission de l’ONU en Centrafrique
L’opposition s’avance en ordre dispersé, avec pas moins de 15 candidats, face à au président sortant, Faustin Archange Touadéra qui a, selon les experts et les diplomates, toutes les chances d’obtenir un second mandat. D’autant que Francois Bozizé, ex-président et son plus sérieux rival avant l’invalidation de sa candidature par la Cour constitutionnelle, a de facto retiré dimanche son soutien à l’ex-Premier ministre Anicet Georges Dologuélé en appelant à boycotter les scrutins
Les résultats de ces élections sont attendus le 4 janvier prochain, malgré les appels des partis d’opposition à reporter le scrutin. Le président sortant, Faustin Archange Touadéra a imposé sa volonté d’organiser le vote, qu’il espère être un plébiscite pour sa propre candidature, explique Thierry Vircoulon, coordinateur de l’Observatoire de l’Afrique australe et centrale à l’Institut français des relations internationales (IFRI), qui doute que ce scrutin soit réellement démocratique.
Quelles sont les raisons pour lesquelles ce scrutin peut être critiqué ?
Thierry Vircoulon : “Les conditions sécuritaires, logistiques et légales de ce scrutin ne sont pas réunies pour organiser des élections dans un pays comme la Centrafrique. D’abord, il faut savoir que c’est un pays qui n’a pas de routes, l’essentiel du réseau est un réseau de pistes, ce qui rend le déploiement de la logistique électorale très compliqué et en général ça la limite essentiellement aux villes
La deuxième chose, depuis maintenant une semaine, il y a des attaques répétées de groupes armés dans différentes provinces du pays, et notamment des groupes armés qui ont essayé de se rapprocher de la capitale Bangui. Et donc les conditions de sécurité ne sont absolument pas remplies pour pouvoir à la fois déployer le matériel électoral, les équipes électorales, et même pour que les électeurs se rendant aux urnes partout.
Et troisièmement, les conditions juridiques sont extrêmement douteuses, puisque l’un des candidats à la présidentielle s’est retiré cette semaine, qu’il y a un article dans le code électoral qui dit qu’en cas de retrait d’un candidat à l’élection cette élection doit être repoussée, mais malgré cela la Cour constitutionnelle a estimé qu’il ne fallait pas appliquer cet article. Donc les conditions dans lesquelles sont organisées ces élections sont extrêmement douteuses.”
Y a-t-il un lien entre la reprise des violences et la persistance du président sortant dans l’organisation de ces élections ?
T. V. : “La reprise des violences est liée directement au scrutin. Ce scrutin jette de l’huile sur le feu en quelque sorte. Elle est liée cette reprise des violences à l’invalidation de la candidature de l’ex-président François Bozizé par la Cour constitutionnelle, ainsi que de l’invalidation d’un certain nombre de petits leaders de groupes armés qui voulaient se présenter aux élections législatives.
Et donc ils ont décidé de prendre les armes.
Mais, et c’est là que les groupes armés et certains partis d’opposition se rejoignent, c’est qu’ils ont le sentiment que le scrutin va être un hold-up électoral, organisé par le président sortant, qui contrôle en grande partie la machine électorale et qui par conséquent a mis toutes les chances de son côté.
Ce qui s’est donc passé il y a une semaine, c’est surtout en réaction au sentiment dominant que ça va être une fraude massive, puisque les élections en Centrafrique ont malheureusement souvent été caractérisées par des fraudes massives, et qu’on va être dans une manipulation des résultats dans un pays où le suffrage ne va pas être universel. Et donc ce qui est assez évident déjà, c’est que les élections qui vont être organisées ne respecteront pas les standards internationaux des élections.”
Quelles en seront les conséquences politiques et sécuritaires ?
T. V. : “En fait ce scrutin, et surtout la volonté du président sortant d’imposer les choses, va surtout conduire à une dégradation de la situation en Centrafrique, puisque même si on vote, on verra qui véritablement votera, dans quelle ville on va pouvoir voter.
Je laisse de côté les zones rurales puisque traditionnellement en Centrafrique les zones rurales ne sont pas couvertes par les équipes électorales
Mais il y a déjà un certain nombre de villes de province où il va être très difficile d’organiser le vote
Donc le suffrage n’étant pas universel, la machine électorale n’étant pas indépendante et intègre, les perdants et les groupes armés vont évidemment augmenter leur pression. D’autant plus qu’ils considèrent que, après les résultats, que ce soit les taux de participation ou les votes, seront tout à fait mensongers, en tout cas pas crédibles.”