Une manifestation interdite a été violemment réprimée à Kinshasa et des journalistes délibérément agressés. Une entorse inquiétante à « l’Etat de droit » vantée par Félix Tshisekedi
Les mauvaises habitudes de la police congolaise ont visiblement la vie dure. Lors de la manifestation pour « la dépolitisation de la CENI », organisée ce mercredi par l’opposition congolaise, les forces de sécurité ont violemment dispersé les participants de la marche à Kinshasa. Dès le début de la matinée, Martin Fayulu, à l’initiative de la marche, a été empêché de se rendre sur le lieu de la manifestation. Le candidat malheureux à la présidentielle affirme avoir été malmené par la police. Mais c’est autour du cortège, à Masina, que les forces de sécurité sont violemment intervenus pour disperser les manifestants en tirant des gaz lacrymogènes.
Des journalistes « ciblés »
Au moins deux journalistes ont alors été la cible d’agressions des forces de l’ordre. Le patron d’Actualité.cd et correspondant de RFI, Patient Ligodi a été « traîné par terre, brutalisé, battu, piétiné et insulté », selon son propre témoignage. Mais la scène a été entièrement filmée et postée sur les réseaux, suscitant l’indignation. « Ils m’ont mis à terre, m’ont pris mon téléphone, mon dictaphone et ma montre. Martin Fayulu a insisté pour qu’ils puissent me rendre mes biens. Ils m’ont rendu mon téléphone et mon dictaphone, mais ils ont continué à me battre et sont partis avec ma montre ». Patient Ligodi a eu l’impression d’être « ciblé » par la police. Dans une interview à Top Congo, le journaliste a raconté : « Il y a un responsable de la police qui a donné l’ordre qu’on me prenne moi, et moi seul. Je crois qu’il m’avait déjà identifié ».
Un autre journaliste, Louange Vangu, d’Actu24, a lui aussi été brutalisé par la police nationale. Son téléphone, son argent… et ses chaussures lui ont été volés. Journaliste en danger (JED) a condamné fermement l’agression du correspondant de RFI, et « exigé des explications du commissaire provincial de la police nationale congolaise de Kinshasa sur cet acte intolérable ». JED affirme que le correspondant de RFI « n’avait commis aucune infraction en couvrant cette manifestation ». La radio internationale a elle aussi apporté son soutien à son correspondant. « Le chef de la police de Kinshasa a d’ores et déjà assuré qu’une investigation serait menée et des sanctions prises à l’encontre des responsables de cette agression » indique le communiqué de RFI.
Des interdictions de manifester à géométrie variable
Les scènes de brutalités policières qui se sont déroulées dans les rues de Kinshasa ce mercredi interrogent. Tout d’abord parce que la présidence de la République est aujourd’hui occupée pour un ancien opposant politique, qui a, lui-même, toujours condamné fermement la répression menée par son prédécesseur, Joseph Kabila. Ensuite parce qu’il paraît étonnant que les manifestations d’opposition soient systématiquement interdites par les autorités sous un prétexte sanitaire, alors que des concerts de musique et des meetings politiques sont autorisés. Notamment ceux de l’UDPS, le parti de Félix Tshisekedi, et ceux du CRD, le mouvement du président de l’Assemblée nationale, Christophe Mboso. Là encore, du temps de Joseph Kabila, Tshisekedi père et fils, dénonçaient ses pratiques du « deux poids deux mesures ».
Gentiny Ngobila, le gouverneur de Kinshasa, a condamné les violences contre Patient Ligodi, mais reconnaît que la manifestation, pourtant interdite, s’était déroulée « sans mort ni blessé du côté de la population », mais avec « 7 policiers blessés ». Conscient de l’image désastreuse de l’agression de Patient Ligodi pour les autorités congolaises, le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya a pris les devants en dénonçant clairement « une bavure policière » et en promettant que « les auteurs seront sévèrement sanctionnés ». Le policier qui a maltraité Patient Ligodi a été interpellé très rapidement dans l’après-midi.
Changer les pratiques policières
Le porte-parole du gouvernement veut « changer le narratif » à propos de la RDC. Que ce pays ait… une « meilleure image ». Il faut surtout changer les mauvaises pratiques, pour que l’Etat de droit, prôner par Félix Tshisekedi, ne sonne pas creux. La refonte de la police congolaise apparaît comme un chantier des plus urgents. A commencer par la rémunération des forces de sécurité, qui pillent et rançonnent davantage la population qu’elles ne la protègent. Il y a surtout l’encadrement de ces mêmes policiers, qui laisse à désirer. Qu’attendre en effet d’une majorité d’officiers supérieurs, qui étaient déjà tous en poste sous Joseph Kabila, alors que la répression et la corruption battaient son plein. Mais pour commencer, ne faudrait-il pas commencer par le principal : laisser l’opposition exercer son droit constitutionnel le plus élémentaire : celui de manifester librement, et pacifiquement.