Si les relations entre la Russie et la Centrafrique restent fortes, elles se sont tendues ces dernières semaines. Privé de ses relais officiels sur place depuis cet été, Moscou navigue désormais à vue.
Officiellement, « l’excellence » de la coopération russo-centrafricaine est toujours vantée par les deux pays. Mais, en coulisse, les incompréhensions s’accumulent depuis la rentrée. Avant la fin de la très attractive coopération douanière entre les deux pays, décidée de manière unilatérale, le 6 octobre, par le nouveau ministre des finances Hervé Ndoba – sous pression des bailleurs et qui a suscité l’ire de Moscou -, la diplomatie russe avait subi une déconvenue bien plus grande encore.
En effet, la présentation le 1er octobre dernier du rapport du gouvernement centrafricain reconnaissant la responsabilité des FACA et « alliés russes » dans une vingtaine d’exactions, en marge des combats avec les rebelles de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), a jeté un coup de froid sur l’axe Bangui-Moscou. Si celui-ci épingle a minima, en énumérant une liste d’exactions bien moins nombreuses que celles documentées par le panel des experts des Nations unies en juin dernier, il constitue néanmoins une petite révolution tant Bangui refusait jusqu’à présent d’admettre d’éventuelles responsabilités d' »instructeurs » russes. Motif d’irritation supplémentaire pour Moscou : selon nos informations, avant de rendre les conclusions du rapport publiques, le numéro 2 du gouvernement, le ministre de la justice Arnaud Djoubaye Abazene, a pris soin de ne prévenir ni la chaîne de commandement du groupe de sécurité privé Wagner, officiellement présent via la société Sewa Security Services, ni l’ambassade russe.
Chancellerie fantôme
Ces manœuvres s’expliquent par une tentative de rééquilibrage diplomatique de la part de Bangui vis-à-vis des partenaires et bailleurs internationaux, chez qui l’on s’inquiète de la collaboration avec la société Wagner (AI du 04/10/21). En conséquence, les relations avec Moscou semblent désormais teintées d’incompréhensions.
Ainsi, fin septembre, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, le président centrafricain a tenté de rencontrer le ministre des affaires étrangères russes, Sergueï Lavrov. Mais ce dernier, qui s’est pourtant longuement entretenu avec le chef de la diplomatie malienne Abdoulaye Diop, n’a pas donné suite aux sollicitations du chef de l’Etat.
A Bangui, ce flottement se ressent jusqu’au sein de la chancellerie russe. Le très actif ambassadeur Vladimir Titorenko, toujours prompt à défendre les actions des « instructeurs russes » dans le pays, est absent de la capitale depuis l’été. Officiellement toujours en poste, Titorenko paie le malaise qu’ont suscité à Moscou certaines de ses sorties médiatiques, comme l’avait révélé Africa Intelligence (AI du 14/05/21).
Quant au très discret Valery Zakharov, tout puissant conseiller présidentiel russe à la sécurité nationale, il n’a, lui aussi, plus été aperçu à Bangui depuis le mois de juin. En son absence, c’est le tout juste trentenaire Dmitry Sergeevich Sytii, et l’énigmatique « colonel Vassili », ancien des forces spéciales russes, qui gèrent la chaîne de commandement des quelque 2 000 hommes présents à Bangui et dans l’arrière-pays.
Tupolev mystère à Bangui
Si les canaux officiels de Moscou à Bangui semblent momentanément suspendus, cette absence contraste avec l’activisme souterrain de plusieurs appuis de Moscou dans le pays ces derniers jours.
Hasard du calendrier ou non, le soir même de la présentation des conclusions centrafricaines, un Tupolev Tu-154 immatriculé RA 85042 a quitté Moscou. Après une escale à Lattaquié, en Syrie, l’avion s’est posé sur le tarmac de Bangui, le samedi 2 octobre. Si rien n’a filtré de l’identité des passagers, la rumeur sur la présence au sein de l’appareil d’Evgueni Prigozhin – présenté par les Etats-Unis comme le financier de Wagner (AI du 27/07/21) -, s’est répandue dans la capitale centrafricaine sans qu’elle puisse être confirmée. Un colonel de la garde présidentielle a ainsi affirmé être venu en personne accueillir Prighozin à l’aéroport pour le conduire à la présidence.
Si l’identité des passagers que transportait l’aéronef a tant alimenté les spéculations, c’est que ce Tupolev n’est pas n’importe lequel. Il appartient en effet à la 223 Flight Unit de l’armée de l’air russe, une unité qui a la spécificité de disposer d’un statut de compagnie aérienne « civile », très présente en Syrie et en Libye, où Moscou déploie plusieurs centaines de paramilitaires. Après moins de 24 heures à Bangui, l’appareil mystère était de retour à Moscou dans la soirée du 3 octobre.
Les groupes armés en embuscade
Face à ce flottement, la relation russo-centrafricaine devrait connaître un crash-test dans les prochaines semaines, avec le début de la saison sèche qui pourrait coïncider avec de nouvelles offensives des groupes rebelles.
Dès le début du mois d’octobre, les combats ont violemment repris dans les localités de l’arrière-pays entre les militaires et alliés russes d’une part, et les groupes armés membres de la CPC. Dans ce contexte, une mission militaire russe est attendue dans la capitale centrafricaine dans les tous les prochains jours pour « évaluer la situation ».
Dans le but de calmer le jeu, et pour respecter la feuille de route du dialogue politique poussé par l’Angola, le président Faustin-Archange Touadéra a déclaré un cessez-le-feu unilatéral vendredi 15 octobre.