Pour contrer l’invasion russe de l’Ukraine, les pays membres de l’OTAN ont choisi de livrer une guerre économique agressive à la Russie. Ils devraient également appliquer des sanctions ciblées contre les kleptocraties africaines alliées du Kremlin et sous influence de l’armée de l’ombre de Vladimir Poutine, le Groupe Wagner. Ces mesures viseraient à combattre la montée en puissance d’Etats criminels, satellites de la Russie, utilisés comme des réservoirs de ressources naturelles et humaines pour soutenir, à long terme, l’effort de guerre russe.
En retrait depuis la chute de l’empire soviétique, le Kremlin a renforcé son activité diplomatique sur le continent africain à partir de 2017, en promouvant un discours très anti-occidental et des accords de type « armes et protection contre ressources minières et stratégiques ». Ce rapprochement, confirmé par le premier sommet Russie-Afrique, qui s’est tenu à Sotchi en octobre 2019, n’a rien d’anodin.
Historiquement, l’Afrique a surtout été considérée pour ses réserves de ressources stratégiques. Sur fond de pillage colonial exercé par les puissances européennes, le continent a joué un rôle essentiel au cours de la seconde guerre mondiale en participant à l’effort de guerre aux côtés des pays alliés. Avec la menace d’une troisième guerre mondiale, le Kremlin entend lui aussi s’assurer d’une contribution africaine.
C’est ainsi que la Centrafrique, longtemps considérée comme un pré-carré français, a fait son entrée en 2018 dans la sphère d’influence russe. Ce pays riche en ressources naturelles, classé 188 sur 189 selon l’indice de développement humain et décimé par deux décennies de conflits armés meurtriers, est devenu en quatre ans un modèle que Moscou entend exporter à d’autres pays africains. Estimée à quelque 2 000 hommes, la présence du Groupe Wagner y a profondément modifié le paysage politico-sécuritaire et économique.
Climat d’épouvante
The Sentry, l’organisation pour laquelle je travaille, a confirmé le financement par le groupe russe de vastes campagnes de propagande anti-françaises, anti-ONU et anti-occidentaux. Au cours de l’année 2020, un véritable hold-up électoral s’est joué, sur fond de guerre d’influences, forçant le second mandat du président Faustin-Archange Touadéra et une quasi-mise sous tutelle du pays par le Groupe Wagner.
En juin 2021, le chef de la mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca), Mankeur Ndiaye, a alerté le Conseil de sécurité de l’ONU en affirmant que « jamais, par le passé, les violations des droits de l’homme et manquements au droit international humanitaire imputables aux forces armées centrafricaines, forces bilatérales [mercenaires de Wagner] et autres personnels de sécurité… n’ont égalé les propensions documentées par la Minusca ».
L’offensive militaire orchestrée par le régime centrafricain et les mercenaires de Wagner contre les groupes rebelles s’est en effet soldée par des exécutions sommaires de masse, des détentions arbitraires, des actes de torture, des disparitions forcées, des violences sexuelles et basées sur le genre, des pillages et des attaques contre le personnel de l’ONU et les humanitaires. Un rapport confidentiel de la Minusca consulté par The Sentry affirme notamment qu’un civil, enlevé par les mercenaires de Wagner en mai 2021, a été « sauvagement torturé, puis découpé vivant avant d’être décapité et brûlé ». Le chef d’un village situé au centre du pays a déclaré à The Sentry que les mercenaires de Wagner « viennent piller boutiques, motos, tout, et quand on leur demande comment on va nourrir nos familles, ils répondent allez demander à Touadéra de vous rembourser ».
Ce climat d’épouvante s’est étendu aux zones minières. Des habitants de ces régions interrogées par The Sentry confirment que l’accès à de nombreux chantiers est désormais interdit aux populations civiles qui, si elles sont trouvées sur les sites, sont systématiquement tuées, parfois égorgées, par les forces centrafricaines et les mercenaires de Wagner. Le leitmotiv de cette politique de la terreur est que toutes les personnes considérées comme ennemies des intérêts russes, et ceux de leur allié le président Touadéra, doivent être neutralisées, voire éliminées.
Main basse sur l’or et les diamants
Depuis que les mercenaires de Wagner se sont installés en Centrafrique, invités par le régime centrafricain, le groupe russe a fait main basse sur des réserves exportées dans l’opacité la plus totale. Les ressources exploitées, principalement l’or, le diamant et potentiellement d’autres minerais stratégiques présents dans le sous-sol centrafricain, semblent surtout être acheminées vers le Soudan voisin. Des informations recueillies sur le trafic aérien en 2019 des avions détenus par Lobaye Invest, une société du Groupe Wagner, montrent plusieurs vols empruntant l’itinéraire Bangui-sites miniers-Nyala, au Soudan, où Wagner détient une base militaire stratégique.
Entre 2019 et 2020, des sources confirment des achats réguliers d’or et de diamants aux groupes armés, alors en contrôle des zones minières. A cette période, ces achats étaient réalisés directement par le conseiller russe du président Touadéra, Valery Zakharov, depuis placé sous sanction américaine et européenne, et son adjoint Andrei Blinkov. L’organisation est depuis quelque temps contrôlée par Vitaly Perfilev et Dimitri Sytyi qui, selon une source proche du pouvoir, font la pluie et le beau temps en Centrafrique.
En plus d’œuvrer à l’adoption d’un nouveau cadre légal organisant un monopole du secteur minier en faveur des intérêts russes, Wagner a installé des unités d’exploitation de minerais un peu partout dans le pays. Selon l’ONG belge IPIS, près de 6 tonnes d’or sont extraites du sous-sol centrafricain chaque année et le panel des experts de l’ONU estimait en 2021 à 95 % les exportations illégales d’or. Une situation qui profite au Groupe Wagner puisque ses activités minières échappent à tout contrôle étatique.
Le Kremlin ne se contente pas de capter une partie des ressources naturelles du continent, il exploite aussi ses ressources humaines disponibles pour soutenir un effort de guerre global, à long terme. Des recrutements de combattants par le Groupe Wagner, notamment en Libye, en Syrie et en Centrafrique visent vraisemblablement à renforcer les rangs militaires russes sur ses terrains d’opération, notamment en Ukraine. Le président russe semble aussi vouloir sortir de l’isolement en cooptant des pays alliés pour davantage peser dans le bras de fer avec l’Occident. Si les sanctions contre le Groupe Wagner et ses leaders ont jusqu’ici prouvé leurs limites, des mesures de rétorsion ciblées et efficaces contre les réseaux kleptocratiques alliés du Kremlin et protégés par le Groupe Wagner pourraient, elles, avoir un effet double : mieux combattre les atrocités et le pillage en cours sur le continent africain et affaiblir l’effort de guerre russe.
Nathalia Dukhan, enquêtrice sur les financements illicites et les conflits en Afrique et analyste pour l’organisation américaine The Sentry.