La République centrafricaine (RCA) fut pendant des années l’un des bastions de l’influence française en Afrique. Enclavé et sans accès maritime, ce pays plus grand que la France n’a jamais pu trouver un point d’équilibre démocratique ou les conditions d’une paix interne
qui favoriserait son développement, malgré des ressources naturelles importantes – notamment en or – et un positionnement au cœur du continent. Lesquelles ressources ont de longue date entretenue un coupable intérêt des régimes militaires qui se sont
succédé depuis l’indépendance acquise en 1960.
La RCA est très régulièrement épinglée comme l’un des pays les moins favorables pour y faire des affaires, l’un des plus corrompus au monde, sans réelle capacité d’émergence économique, et en tout état de cause dans une situation de guerre civile depuis 2013. La
France a décidé fin 2021 de réorganiser sa présence militaire et son assistance financière en RCA, après avoir porté à bout de bras la sécurisation du pays dans le cadre de l’opération Sangaris de 2013 à 2016. Le coût estimé aurait atteint 200 millions d’euros en année pleine, sans même parler du coût humain que les combattants de ladite force ont dû supporter.
L’or de RCA, valeur refuge pour la Russie
Alors même que les forces françaises géraient au mieux les conditions de leur retrait, le président Faustin-Archange Touadéra semblait avoir pris ses dispositions pour la suite de ses mandats (élu en 2016 et réélu en 2020) puisque dès 2018, puis 2020, il avait fait
appel aux services de la tristement célèbre milice Wagner, qui étendrait par la suite son influence sur neuf pays africains, dont le Mali, se retrouvant de fait en conflit avec les soldats de l’opération Barkhane sur la même zone.
Pourquoi diable ces miliciens, à l’aise dans le génocide et les tortures de tous ordres pour le compte du régime russe, allaient-ils déployer leurs macabres capacités dans des pays parmi les plus pauvres du monde ? Les leaders de cette milice, au premier rang desquels on compte le “cuisinier de Poutine”, Evgueni Prigojine, qui fait l’objet de sanctions financières de la part des Occidentaux, y trouveraient-ils un intérêt, justement dans un contexte de mise en œuvre de sanctions et de gels d’avoirs ? “Dans le contexte actuel de mise en œuvre des sanctions contre le régime russe, la valeur refuge du métal jaune retrouve tout son sens, dans la mesure où le Kremlin pourra toujours se procurer des
ressources non monétaires (donc non gelées) via ce métal”.
“Il est l’or, Monseignor.” Nous avons tous en tête cette réplique culte de ‘La folie des grandeurs’, qui fleure bon l’ORTF et le choix entre deux chaînes. Mais finalement, c’est bien cet intérêt qui meut le système Wagner. Comme bien entendu, le pouvoir en RCA n’a pas
les moyens d’assurer la sécurité de son régime, son externalisation auprès de Wagner (avec succès, puisque la milice a repoussé les groupes armés rebelles) a été organisée autour d’un deal qui déléguait à Wagner dans un premier temps la perception des droits
de douane (!), puis finalement laissait les barbouzes tirer un profit direct des ressources minières, au premier rang desquelles… l’or.
Dans le contexte actuel de mise en œuvre des sanctions contre le régime russe, la valeur refuge du métal jaune retrouve tout son sens, dans la mesure où le Kremlin pourra toujours se procurer des ressources non monétaires (donc non gelées) via ce métal. L’or
constitue, en tant que tel, un moyen performant et anonyme de pouvoir commercer avec l’extérieur pour un pays banni du système financier international. La position de la RCA lors du vote de condamnation de la violation d’intégrité territoriale de l’Ukraine par la
Russie à l’ONU montre bien qui a contracté avec Wagner. Parmi les pays qui ont décidé de se taire lors du vote on retrouve… la RCA et le Mali. Allons un cran plus loin.
La RCA à la pointe de l’innovation financière mondiale
Le 27 avril 2022, la RCA officialisait le bitcoin comme monnaie “de référence”, aux côtés du franc CFA. Et Touadéra de considérer que “cette démarche place la RCA sur la carte des pays les plus visionnaires au monde”.
Mais avec un fait sidérant : les transactions en bitcoin seront exonérées d’impôt. La RCA renonce de ce fait à un principe régalien de maîtrise de sa monnaie (certes jusqu’à présent, le franc CFA privait la RCA d’une part de ses prérogatives, mais il était garant du
maintien de réserve de valeur) et de la détermination de sa politique budgétaire. Stupéfiant également : la RCA prétend presque faire ainsi d’un pays dans lequel 15 % seulement de la population a accès à l’électricité, une nouvelle et merveilleuse Cité d’or. Pourquoi le bitcoin ? Pas pour le bien-être de la population locale, dont le besoin premier avant de commencer à “miner” serait déjà de disposer d’un IDH qui ne le place pas à l’avant-dernière place dans le monde.
“Fait sidérant : les transactions en bitcoin seront exonérées d’impôt. La RCA renonce de ce fait à un principe régalien de maîtrise de sa monnaie et de la détermination de sa politique budgétaire. À qui profitera cette décision ? Après tout, la Russie est l’un des pays les
plus en pointe dans le domaine des cryptos”
À qui profitera cette décision ? Peut-être à une organisation qui, in fine, peut ne pas se contenter de spolier les ressources aurifères d’un pays en développement ? Peut-être au donneur d’ordres de cette organisation, qui a tout de même besoin de pouvoir commercer
autrement qu’avec des valises de lingots ? Après tout, la Russie est l’un des pays les plus en pointe dans le domaine des cryptos, au même titre que la Corée du Nord, l’Iran, Cuba ou le Venezuela, autant de pays qui font l’objet de sanctions américaines et doivent donc
trouver une alternative au dollar. Il peut sembler évident que le régime de Touadéra aura eu une lecture très “intellectuelle” de ce que peut être un bitcoin, ou toute autre monnaie crypto – y compris les supposés “stable coins”.
Il est dommageable, et évidement en premier lieu pour la population de la RCA, que ce choix irraisonné ai été fait. Il porte en lui les germes d’un abandon du pouvoir régalien que le gouvernement était encore en capacité d’assumer (il est facile d’exercer, plus délicat d’assumer). Quitte à se damner, Faust sera porté par l’élégance de Berlioz, pas par ce malaise qui vient avec Wagner.