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Cameroun : l’étonnant Émile Parfait Simb, roi déchu de la cryptomonnaie

Publié le samedi 4 juin 2022  |  letsunami
Émile
© Autre presse par DR
Émile Parfait Simb
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Cameroun : l’étonnant Émile Parfait Simb, roi déchu de la cryptomonnaie

Entrepreneur à succès pour les uns, escroc pour les autres… L’homme qui se présente comme un opérateur économique ayant fait fortune dans les cryptomonnaies fait désormais l’objet de plusieurs enquêtes judiciaires. Retour sur l’itinéraire d’un personnage controversé.

Franck Foute 3 juin 2022 à 15:46

C’est une matinée ensoleillée d’avril 2021. Un jet Beechcraft B200 provenant de Douala pénètre dans le ciel centrafricain. L’appareil transporte huit hommes, tous vêtus de costumes sombres taillés sur mesure. À bord, les passagers enchaînent les coupes de champagne qui distillent une ambiance festive. Un homme savoure particulièrement l’instant : il s’agit d’Émile Parfait Simb. Reconnaissable à sa paire de lunettes et à sa brèche du bonheur, le patron de Global investment trading, une entreprise spécialisée dans
le trading de cryptomonnaies, s’apprête à frapper un grand coup. Ce jour-là, Émile Parfait Simb, 40 ans, se rend à Bangui pour présenter un ouvrage qui retrace son parcours, d’enseignant vacataire à crypto-millionnaire. L’évènement est parrainé par le président
centrafricain Faustin-Archange Touadéra, qui a fait le déplacement à l’hôtel Ledger où se déroule la cérémonie.

Simb et Touadéra se sont rencontrés quelques mois plus tôt par l’entremise du président de l’Assemblée nationale centrafricaine, Simplice Mathieu Sarandji. Le président s’est-il laissé séduire par le profil de ce self-made man qui a commencé sa carrière, comme lui, dans l’enseignement ? Difficile de le savoir. Mais ce jour-là, les images des deux hommes côte à côte capturées par les caméras des journalistes semblent illustrer l’adoubement de l’entrepreneur par le chef de l’État centrafricain. De quoi renforcer le storytelling entourant Émile Parfait Simb, lui qui se gargarise d’être l’exemple du garçon pauvre devenu
multimillionnaire grâce à la rentabilité de ses investissements. Son mantra est d’ailleurs évocateur : Liyeplimal (« la pauvreté est finie », en langue bassa).

Du flair

Émile Parfait Simb a en effet vécu une enfance difficile entre le Nyong-et-Kéllé, le département qui l’a vu naître dans le Centre, et Douala, la capitale économique, où il effectue ses études. Il est un illustre inconnu quand il découvre l’univers des cryptomonnaies en 2016, mais flaire un bon coup lorsqu’un ami lui parle du fonctionnement de ces devises. Simb abandonne alors le poste d’enseignant d’informatique vacataire qu’il occupe dans un lycée de la capitale économique et se rend à Dubaï, où il prend des cours de trading des monnaies numériques, lesquelles sont encore inconnues pour le commun des Camerounais.

De retour au pays, Émile Parfait Simb se lance dans l’achat et la spéculation autour des cryptomonnaies. Il est déjà aguerri lorsque le phénomène du bitcoin s’empare de la planète, et du Cameroun avec. Ayant pris de l’avance sur les nouveaux arrivants sur ce juteux marché, Simb devient la référence des échanges entre monnaie fiduciaire et cryptomonnaies à Douala. En 2017, la ruée vers ces monnaies électroniques fait grimper leur valeur. Émile Parfait Simb, qui les avait achetées à des taux relativement bas, empoche le pactole. Avec une mise de départ de 200 000 Francs Cfa, il compte désormais les bénéfices de ses reventes en millions.

Dans un pays où le tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, où le système de sécurité sociale ne couvre pas les dépenses de santé et où toucher sa pension de retraite peut être une gageure, les montages financiers faisant miroiter des rendements rapides et très élevés à des investisseurs drainent les foules. Opportuniste, Émile Parfait Simb comprend très tôt l’engouement que suscitent les promesses de rentabilité des cryptos. Il comprend tout aussi vite que bon nombre d’aspirants traders de cryptomonnaies se heurtent à la complexité du langage informatique. Il s’engouffre dans la brèche et lance sa première compagnie : la Global investment trading (GIT).

Poule aux œufs d’or

GIT est un mélange d’entreprise de placements financiers et de marketing de réseau. Elle promet aux souscripteurs qui s’inscrivent de profiter de l’expertise de « mentors » et de percevoir des montants variant entre 2 et 37% selon la valeur du pack choisi, ce
seulement sept jours après avoir investi. « Concrètement, le client achète via la plateforme Liyeplimal un plan d’investissement. GIT place cet argent sur les plateformes de cryptomonnaies et reverse une partie des intérêts plus une partie de son capital chaque
semaine, et cela pendant 52 semaines », détaille un journaliste spécialiste du secteur basé à Douala. Comme prévu, de nombreux Camerounais se ruent sur la plateforme. L’entreprise obtient un énorme succès au sein de la diaspora. Bientôt, elle s’étend dans
plusieurs pays du continent. Fin 2021, lors de son quatrième anniversaire, elle comptait près de 200 000 souscripteurs.

Le volume des échanges ne manque pas d’attirer les regards des régulateurs. En juin 2021, l’Autorité des marchés financiers du Québec, au Canada, met en garde les consommateurs québécois à l’égard « des représentations frauduleuses » faites par GIT. À la même période, au Cameroun, la Commission de surveillance du marché financier (Cosumaf) fustige dans un communiqué l’illégalité des appels à l’épargne effectués par l’entreprise.
Mais rien ne semble plus en mesure d’arrêter Émile Parfait Simb. Vêtements et véhicules de luxe, joaillerie, champagne…Le CEO, comme l’appelle ses mentorés, s’affiche en golden boy auprès de personnalités camerounaises connues. Il développe désormais ses
activités dans plusieurs secteurs. On le voit dans l’immobilier, bientôt il lance une marque de champagne, puis s’essaye au transport aérien, à l’agro-industrie, la restauration, la vente en ligne … Simb se dit investi d’une mission d’éradication de la pauvreté, ses discours frisent la mégalomanie.

Influenceurs

Il convainc des personnalités influentes de la rentabilité de son business, et obtient ainsi une publicité propre à convaincre de nombreux souscripteurs. Parmi eux, l’homme politique camerounais Cabral Libii, le journaliste Martin Camus Mimb ou encore l’activiste suisso-camerounaise Nathalie Yamb. Dans des vidéos devenues virales, « la Dame de Sotchi », telle qu’elle est surnommée en référence au discours qu’elle a prononcé en 2019 au sommet Russie-Afrique, présente Liyeplimal comme le chemin de l’indépendance financière du continent. Qu’importe alors que les gendarmes financiers de plusieurs pays africains aient alerté sur la dangerosité du montage de l’entreprise. L’influenceuse aux propos anti-français virulents et à la verve pro-russe y voit une vertu contre le néocolonialisme. A-t-elle été complice ou victime ? En novembre 2021, la supercherie éclate au grand jour. Les
souscripteurs de la plateforme Liyeplimal ne touchent plus les intérêts promis par l’entreprise. GIT rassure les plaignants en privé, mais l’affaire devient publique. Accusé d’avoir intenté une arnaque à la Ponzi, Émile Parfait Simb engage une vaste opération de
communication et annonce que son entreprise est entrée dans une phase 2.0, où les transactions se font désormais avec sa propre monnaie électronique.

Retour de bâton

Le grand public découvre que l’entrepreneur a crée ses propres token (ces actifs numériques émis et échangeables sur une blockchain) appelés Simbcoin et Limocoin. Le dernier a été émis sur deux blockchains que sont Ethereum et Binance. 3 650 milliards de
Limocoin, d’une valeur de 1 dollar l’unité, sont émis. Mais contrairement aux autres monnaies électroniques telles que le Bitcoin, le Limocoin ne décollera jamais. Son cours connaîtra même une chute spectaculaire. Elle est aujourd’hui reléguée au fond du
classement des cryptomonnaies. Le Bitcoin valait 0,008 dollars US en 2010. 12 ans après, il vaut près de 29 000 dollars. Qui dit investissement, dit risque et surtout patience.
« Le Bitcoin valait 0,008 dollars US en 2010. 12 ans après, il vaut près de 29.000 dollars. Qui dit investissement, dit risque et surtout patience », défend un proche de Simb. « Ce sont nos économies que nous avons investies sur la base d’un programme de paiement
précis. Si l’entreprise veut changer d’activité, qu’elle propose à ses clients qui ne veulent pas poursuivre l’aventure de les rembourser », exige Sébastien Tamo, un client de GIT rencontré à Yaoundé.

Car les explications de l’entreprise peinent en effet à convaincre, surtout depuis que la plateforme Binance, mondialement reconnue dans le trading des crypto, a pris ses distances avec GIT. « Nous avons été informés qu’une société nommée Liyeplimal a effectué un « rug pull », une arnaque courante où l’équipe derrière un projet s’enfuit avec les fonds des utilisateurs », indiquait-elle dans un communiqué, renforçant les soupçons à l’encontre de GIT et de son promoteur. Alice Niondo, une ancienne collaboratrice d’Émile Parfait Simb basée au Ghana révèle dans un direct Facebook que l’opérateur ne dispose d’aucune autorisation de trading. Depuis, des souscripteurs se sont constitués en collectif afin d’attaquer le patron de GIT en justice. Des plaintes ont été déposées au Canada, aux États-Unis et au Cameroun. « Plusieurs plaintes ont été déposées contre Émile Parfait Simb à la police judiciaire et au secrétariat d’État à la Défense. Il a été convoqué plusieurs fois par voie d’huissier, mais il ne s’est jamais présenté, se contentant de se faire représenter par ses avocats », indique l’avocate Dominique Fousse, qui dirige l’un des collectifs de victimes.

Le 26 mai, le golden boy des cryptomonnaies a finalement été interpellé à l’aéroport de Douala, alors qu’il se rendait à une conférence sur le trading au Maroc. Conduit au secrétariat à la Défense et placé en garde à vue, Émile Parfait Simb a été libéré sous
caution deux jours plus tard. Victime de ses propres turpitudes, ou, comme il le prétend, de la complexité d’un système que la masse peine à assimiler ? Aucune estimation du préjudice causé par Simb et GIT n’a été pour l’instant établie. Les victimes assurent qu’elles poursuivront le combat jusqu’au bout. Mais l’intéressé reste confiant : il en est persuadé, cette mauvaise passe sera bientôt un lointain
souvenir.

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