De plus en plus contestée en Guinée quelque sept mois après son coup d’Etat contre Alpha Condé, la junte militaire conduite par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, durcit le ton. C’est ainsi qu’elle a proclamé, le 13 mai dernier, l’interdiction « jusqu’aux périodes de campagne électorale » de toute manifestation publique « de nature à compromettre la quiétude sociale et l’exécution correcte des activités ». Et pourtant, ce ne sont pas les sujets de mécontentement qui manquent. A commencer par la durée de la transition adoptée le 12 mai dernier par le Conseil national de Transition (CNT), mais immédiatement rejetée par la classe politique et la société civile qui n’entendent pas non plus se plier aux mesures d’interdiction de manifester de la junte au pouvoir à Conakry. Il y a aussi le renchérissement du coût de la vie, lié au contexte mondial d’inflation des prix de plusieurs produits de grande consommation, en raison de la guerre en Ukraine. Dans le cas d’espèce, une manifestation contre la vie chère a récemment viré au drame, à en croire plusieurs sources qui parlent de la mort d’un jeune homme suite à la répression qui s’en est suivie.
Si Doumbouya a remplacé Condé au palais Sékoutoureya pour montrer la même boulimie du pouvoir, son coup d’Etat n’aura servi à rien
Un mort qui constitue le premier macchabée de la junte face à la contestation populaire. Mais qui a de quoi d’autant plus inquiéter que l’on se demande si ce n’est pas un signe des temps, qui pourrait annoncer d’autres drames dans un pays où la violence en politique a pignon sur rue. De quoi raviver les douloureux souvenirs de l’ère Condé où les Guinéens ont compté leurs morts jusqu’à la chute du dictateur, face aux tentatives de musèlement et autres répressions sanglantes qui ont rythmé leur quotidien devant leur rejet de l’arbitraire. Doumbouya serait-il alors sur les pas de Condé ? L’histoire le dira. Mais d’ores et déjà, l’on peut s’inquiéter devant ce qui apparaît comme une volonté affichée de l’homme fort de Conakry, de s’imposer à ses compatriotes par ces mesures de restrictions et autres atteintes à la liberté de manifester. Quitte à marcher sur les cadavres de ses compatriotes qui voient derrière ces agissements, une « volonté de s’éterniser au pouvoir ». Mais si Doumbouya a remplacé Condé au palais Sékoutoureya pour montrer la même boulimie du pouvoir en faisant subir au peuple guinéen, les mêmes souffrances, son coup d’Etat n’aura servi à rien. Quoi qu’il en soit, la réaffirmation de ces interdictions malgré les interpellations du Haut-commissariat de l’ONU aux droits de l’Homme, est d’autant plus un mauvais signal qu’elle ne promet rien moins qu’une forte dégradation de l’atmosphère sociopolitique, au regard de la détermination de la classe politique et de la société civile à ne pas se laisser compter fleurette. C’est dire si la météo socio-politique est chargée de nuages et l’on peut nourrir des craintes pour la Guinée.
Le natif de Kankan a intérêt à revoir sa copie et à redresser la barre pendant qu’il est encore temps
En tout état de cause, déjà qu’il est dans le collimateur de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) qui a rejeté son chronogramme de trois ans tout en l’invitant à revoir sa copie, si le colonel Doumbouya doit encore se mettre à dos ses compatriotes, l’on se demande de quelle légitimité il disposera pour prétendre continuer à présider aux destinées de ses compatriotes. Autant dire qu’aujourd’hui, le peuple guinéen n’est pas loin de la désillusion face aux agissements de celui qui se présentait pourtant en messie quelque huit mois plus tôt. A la vérité, à la faveur de ces décisions et au regard de la trajectoire de la transition, Doumbouya n’est pas loin de tomber le masque si ce n’est déjà fait ; tant tous les signaux tendent à montrer une volonté irrépressible de ne pas quitter le pouvoir. En cela, il est en train de s’inscrire dans la lignée de ses prédécesseurs qui n’ont jamais su se montrer à la hauteur des aspirations du peuple guinéen. Brillants plus par un despotisme qui n’a engendré jusque-là que violence sur violence. C’est à se demander s’il ne faut pas désespérer de la Guinée. Mais en ne tirant pas leçon de l’histoire et en s’engageant sur le même chemin tortueux de ses prédécesseurs, l’on ne serait pas étonné que le sort finisse par réserver au lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, le même destin. Au risque de créer chez nombre de ses compatriotes, une déception à la hauteur de l’espoir qu’il avait suscité. C’est pourquoi le natif de Kankan a intérêt à revoir sa copie et à redresser la barre pendant qu’il est encore temps, s’il ne veut pas sortir de l’histoire de son pays par une porte dérobée. La Guinée en a vu d’autres.