Ces arrestations sont du reste exceptionnelles. S’il y a eu des enquêtes internes sur les malversations de certains personnels de la MINUSCA, rares ont été les enquêtes qui ont abouti à des sanctions individuelles – à l’inverse des abus sexuels qui ont parfois donné lieu à des sanctions collectives telles que le renvoi du contingent. Ces malversations et surtout l’absence de sanctions individuelles nuisent gravement à l’image de la MINUSCA auprès
de l’opinion centrafricaine.
Le positionnement de la MINUSCA sur la scène politique centrafricaine
Depuis 2014, la MINUSCA a fait des choix de stratégie politique parfois contradictoires qui ont profondément marqué l’opinion publique de Bangui et qui lui valent maintenant d’être critiquée à la fois par l’opposition et le pouvoir. Même si elles ont été souvent dictées par des bonnes intentions, ces choix ont contribué à l’impasse politique actuelle caractérisée par la rupture du dialogue avec les groupes armés et la criminalisation de l’opposition démocratique, dont les principales personnalités ont fui le pays par crainte de représailles après l’élection bâclée de décembre 2020. Les responsables de la mission ont joué sur la stabilité du pouvoir plutôt que sur le respect des principes démocratiques et la bonne gouvernance. Après les scrutins présidentiel et législatif de 2015–2016, la MINUSCA a concentré son appui sur le pouvoir exécutif et choisi de soutenir le président nouvellement élu dans des circonstances contestées.
En revanche le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire et d’autres organes de contrôle et de régulation (par exemple la Haute Autorité pour la Bonne Gouvernance créée par la constitution de 2016) n’ont pas été priorisés en termes de formations et de ressources. À cette époque, le renouvellement très important de l’Assemblée nationale aurait pu être une opportunité pour renforcer le rôle traditionnellement très faible du pouvoir législatif en RCA.
De même, alors que la mauvaise gouvernance avait été identifiée lors du Forum de Bangui en 2015 comme la source originelle de la conflictualité en RCA39, la MINUSCA a préféré ne pas insister sur cette question auprès de l’exécutif. Elle est restée silencieuse quand le président nouvellement élu et son équipe ont réitéré les habitudes de mauvaise gouvernance de leurs prédécesseurs. La reconstitution d’une garde présidentielle ethnicisée, les achats de votes à l’Assemblée nationale, l’interprétation restrictive de l’article 60 de la Constitution qui prévoit l’accord préalable de l’Assemblée nationale pour les contrats relatifs aux ressources naturelles et les conventions financières40, l’absence d’effectiv de la Haute Autorité pour la Bonne Gouvernance n’ont suscité aucune réaction du côté de l’ONU. Pour s’assurer de la bienveillance du président Touadera, la MINUSCA a sacrifié l’exigence de bonne gouvernance dès le début du premier mandat41. De ce fait, elle est vite apparue pro–gouvernementale aux yeux de l’opposition et de nombreux Centrafricains.
En 2020, pour l’opposition, l’appui de la MINUSCA pendant la campagne électorale et la tenue des scrutins présidentiel et législatif, dans un contexte sécuritaire qui aurait dû conduire à les invalider, ont confirmé le manque de neutralité politique de l’ONU. En effet, en plus des sérieux problèmes de gouvernance et d’inclusivité qui se sont accumulés pendant le premier mandat du président Touadera, la mission n’a pas réagi aux manœuvres et manipulations qui ont précédé les élections telles que le refus du droit de vote pour les réfugiés (alors qu’ils avaient voté en 2015) et l’emprise du pouvoir sur la commission électorale (nomination de nouveaux commissaires en octobre 2020). L’ONU n’a fait que regretter le recul du droit de vote et n’a rien dit sur l’influence évidente du pouvoir sur
l’organisme chargé des élections42. Elle a ainsi donné l’impression qu’elle acceptait le « droit à un second mandat » pour le président sortant.
Si le positionnement politique de la MINUSCA s’inscrit dans la logique institutionnelle de l’ONU (soutien au gouvernement élu et recherche d’une solution négociée au conflit), le choix de la stabilité au lieu de la justice et de la démocratie élective au lieu de la bonne gouvernance s’est fait au détriment de l’opposition démocratique. Celle–ci est restée un interlocuteur secondaire de la MINUSCA et ses revendications ont rarement été prises en compte. Certes les dirigeants de la MINUSCA sont intervenus à plusieurs reprises pour modérer les ardeurs répressives du gouvernement contre certains dirigeants de l’opposition mais ils n’ont jamais tenu compte de leurs critiques souvent légitimes contre la gouvernance du régime Touadera.
Malgré son indulgence à l’égard du président Touadera pendant son premier mandat, la MINUSCA n’a pas réussi à obtenir la bienveillance du régime. Alors que la recherche d’un bouc émissaire étranger fait partie intégrante de la culture politique en Centrafrique, la relation MINUSCA/régime s’est sérieusement détériorée sur la question du rôle des mercenaires de Wagner dans le pays. Leur intervention pour repousser la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) et sauver le régime du président Touadera à la fin de l’année 2020/début 2021 les a rendus populaires à Bangui et a mis en évidence l’incapacité militaire de la MINUSCA.
Leur mise en cause pour violations des droits humains par deux rapports onusiens a provoqué une forte tension avec le régime43. Alors que certains personnels de la MINUSCA ont été directement menacés, une virulente campagne anti–MINUSCA sur les réseaux sociaux et dans la rue qui questionnait la présence de la MINUSCA en RCA a eu lieu – campagne derrière laquelle beaucoup ont vu la main du gouvernement. Les autorités centrafricaines privilégiant presque publiquement le partenariat militaire bilatéral à la coordination avec la MINUSCA, une mission conjointe ONU–UA–UE–CEEAC s’est rendue à Bangui pour indiquer au président Touadera que la MINUSCA était prête à partir s’il le souhaitait44.
Les prises de position politiques de la MINUSCA envers les groupes armés ont oscillé entre les condamnations publiques et les tentatives discrètes de négociations. Le leadership de la MINUSCA a toujours considéré que la paix passait par un accord avec certains groupes armés mais, faute de pouvoir impulser une telle négociation confiée officiellement à l’Union africaine (UA), elle a privilégié la négociation de trêves locales jusqu’à l’accord de Khartoum. Cet accord qui a été signé en février 2019 en grande partie grâce à la Russie faisait la part belle aux revendications des groupes armés45.
Chargée de sa mise en œuvre, la MINUSCA a été la cheville ouvrière de l’application d’un accord très impopulaire dans l’opinion centrafricaine et qui a étéafricaine et qui a été rendu caduc par la nouvelle rébellion à la fin de 202046.
L’accord de Khartoum
Comme de nombreux accords de paix précédents, l’accord de Khartoum
prévoyait entre autres choses :
– la renonciation à la force,
– la formation d’un gouvernement inclusif,
– la création d’une commission chargée de faire des propositions en matière
de justice,
– la création d’une commission vérité et réconciliation,
– un effort de développement dans certaines régions,
– la création d’unités spéciales mixtes, composées de membres des forces de
défense et de sécurité et de rebelles.
Cette dernière mesure était la plus novatrice de l’accord. Dans un climat de méfiance, elle a été très laborieusement mise en œuvre par la MINUSCA avec le financement de l’Union européenne et d’autres partenaires. Elle a finalement échoué : cette option n’a pas été attractive pour les rebelles et les membres des quelques groupes armés qui avaient rejoint les unités mixtes et les ont quittées dès que l’opportunité s’est présentée.