Quatre ans après son opérationnalisation, la Cour pénale spéciale (CPS) va délibérer son premier procès, ce lundi 31 octobre 2022. Il s’agit de l’audience consacrée au massacre d’au moins 36 civils en mai 2019 dans les villages Lemouna et Koundjili dans la Sous-préfecture de Paoua au Nord-ouest. Les accusés ont plaidé non coupables, le parquet a requis la peine des travaux forcés à perpétuité, la cour dira le dernier mot.
Issa Sallet Adoum alias Bozizé, Yaouba Ousmane et Mahamat Tahir, tous éléments du groupe armé 3R (Retour, réclamation, réconciliation) avaient été livrés le 25 mai 2019 par leur défunt chef, Abass Sidiki, après le drame du 21 mai 2019. Accusés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, ils connaîtront leur sort ce lundi 31 octobre. La CPS va donc clore son premier procès qui aura duré six mois (débuté le 25 avril 2022), une audience consacrée à la tuerie d’au moins 36 civils dans les villages Koundjili et Lemouna.
Temps forts du procès
En dépit de quelques implications reconnues, les trois accusés ont plaidé non coupables.
Auditionné le 18 mai dernier, Yahouba Ousmane présenté par l’accusation comme le chef-adjoint de la base de Ngaoundaye, a reconnu avoir été le chef-adjoint de la mission qui s’est rendue dans le village Lemouna pour récupérer des bœufs volés par des éléments de la Révolution Justice (RJ) aux alentours de Lemouna. C’est au cours de cette mission que 22 civils ont été abattus. Rejetant son implication directe dans la commission du crime, Yahouba Ousmane a déclaré avoir reçu l’instruction d’Issa Sallet Adoum alias Bozizé, pour récupérer de gré ou de force, les cheptels volés.
Par ailleurs, il ajoute que les coups de feu qui ont occasionné la mort des victimes, ont été tirés par son supérieur Issa Sallet Adoum qui, dès son arrivée, a délibérément ouvert le feu sans avertissement sur la population réunie.
Sur ces explications, la défense de Yahouba Ousmane avait soulevé l'aspect de la baïonnette intelligente de son client, qui a refusé d'exécuter à la lettre les instructions d’Issa Sallet Adoum alias Bozizé.
Dans la poursuite des dépositions, les accusés Yahouba Ousmane et Mahamat Tahir ont rejeté la responsabilité des crimes sur Issa Sallet Adoum, alias Bozizé.
Réquisitoire du Parquet
Malgré la défense des accusés, le Parquet a estimé qu’il existe bel et bien des éléments constitutifs de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les procureurs ont présenté, cas par cas, la responsabilité pénale de chaque accusé. En ce qui concerne Issa Sallet Adoum alias Bozizé, il est désigné commandant des opérations ayant abouti aux massacres de Koundjili et Lemouna. Selon l’accusation, c’est ce dernier qui avait sollicité auprès d’Abbas Sidiki, chef du mouvement armé 3R, un renfort pour ces missions.
"A Lemouna, les éléments du groupe armé 3R ont rassemblé les hommes, prétextant vouloir tenir une réunion. Par la suite, les ont ligotés et leur ont ordonné de se coucher face contre le sol avant d’ouvrir le feu sur eux ; ce, à bout portant. Au total, 21 civils ont été abattus et 1 autre égorgé dans la brousse pendant leur repli" a indiqué Alain Tolmo, substitut du procureur de la Cour pénale spéciale.
Cependant au village Koundjili, les assaillants, en plus des exécutions sommaires commises sur des civils, ont violé plusieurs femmes.
"A Koundjili, les éléments de 3R se sont positionnés aux entrées avant d’exécuter 15 habitants et violer 06 femmes" a conclu Alain Tolmo.
Le parquet a relevé une incohérence dans les déclarations d’Issa Sallet Adoum alias Bozizé et démontré sa responsabilité en tant que chef de mission, dans la commission du viol de six femmes parmi lesquelles deux mineures.
Yaouba Ousmane, l’adjoint au chef de la mission, avait la responsabilité de la mission de Lemouna. Selon les pièces du dossier, ce dernier a intégré le groupe 3R en 2016 pour venger le meurtre de ses parents. Le parquet a relevé l’existence de déclarations mensongères, en ce qui concerne son implication dans les tirs à Lemouna. Mahamat Tahir, commandant au sein du groupe 3R depuis 2013 est, selon le parquet, celui qui a instruit Issa Sallet d’exterminer des populations civiles.
L’accusation a aussi présenté à la cour des étuis de balles ramassés sur les lieux du crime et a requis la peine des travaux forcés à perpétuité. Cependant, les avocats dans leur ligne de défense ont estimé que le contexte des crimes ne permet pas de les inscrire dans le registre des crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Pour eux, il n’y avait pas d’affrontement à l’époque pour parler de ce genre de crime, et donc la cour devait se déclarer incompétente.
Juste un an, et de plus en plus de dossiers
Le 22 octobre dernier, la Cour pénale spéciale célébrait sa quatrième année d’activité. Quatre ans écoulés sur cinq dans son premier mandat, ce tribunal hybride a procédé ces derniers temps à une vague d’arrestations. Après l’interpellation de l’ex-capitaine des Forces armées centrafricaines, Eugène Ngaïkosset le 4 septembre 2021, la CPS a procédé en l’espace d’un mois à trois arrestations. D’abord, l’interpellation du commandant Vianney Semdiro le 23 septembre 2022, celle du capitaine Firmin Danboy, le 20 octobre et trois jours plus tard, l’arrestation d’Abdel Kader Kalil, un des chefs de l’ex-Séléka.
Devant ce nombre de dossiers, des observateurs s’interrogent. La CPS parviendrait-elle à les vider dans le temps qui reste, si elle a pris quatre ans pour traiter une seule affaire. Ce qui laisse croire en une possibilité de renouvellement du mandat de cette cour.