Sur l’avenue Boganda, la station d’essence Tradex est déserte, seule une chèvre erre entre les pompes à sec: à Bangui, la capitale de la Centrafrique, plusieurs stations ne sont plus approvisionnées depuis parfois sept mois et les vendeurs de carburant à la sauvette prolifèrent.
A quelques mètres de cette station d’ordinaire très fréquentée, Princia Omah, 18 ans, arrange ses bouteilles remplies d’essence et de fioul à l’abri d’un parapluie multicolore qui la protège d’un soleil ardent.
“Je vends du carburant pour faciliter la tâche aux gens véhiculés”, explique la jeune femme. La Centrafrique, deuxième pays le moins développé au monde selon l’ONU, connaît régulièrement des problèmes d’approvisionnement en hydrocarbures. Mais depuis mars, le pays traverse une dramatique pénurie.
“Ce sont les conséquences de la guerre en Ukraine et les difficultés d’acheminement des hydrocarbures car le pays n’a pas d’ouverture sur la mer”, explique à l’AFP Ernest Fortuné Batta, directeur général de la Société centrafricaine de stockage des produits pétroliers (SOCASP).
Marché noir
À Bangui, le prix à la pompe est bloqué par les autorités à 865 francs CFA (1,32 euros) le litre depuis plusieurs années. Mais dans les rues, le carburant se vend en bouteille 30 à 40% plus cher.
Ces revendeurs se fournissent pour la plupart au marché noir, et achètent des produits souvent coupé et de mauvaise qualité. “Mon père se fournit chez des contrebandiers dans le quartier musulman à 5 km du centre-ville, cela vient généralement du Tchad ou du Cameroun”, raconte Princia Omah.
Aux abords des stations fermées, les vendeurs à la sauvette ont ainsi remplacé les pompistes dont plusieurs centaines sont au chômage technique.Les dernières qui résistent sont prises d’assaut par des processions de véhicules, tous en quête de quelques litres du précieux liquide.
“Je n’ai pas le choix, je suis obligé de prendre le carburant chez ces revendeurs pour me permettre de faire mes courses et aller au travail même si parfois ces carburants sont mélangés et que ça peut causer des problèmes à la voiture”, se lamente Cédric Banam, qui en achète trois fois par semaine. “On ne s’attendait pas à ce que la crise atteigne ce niveau. J’ai beaucoup plus de clients qu’auparavant”, raconte Maurice Gbeza, 29 ans, vendeurs à la sauvette depuis un an.
Conséquences, les prix des transports grimpent en flèche au diapason de la colère des usagers. “Avant je dépensais 1.000 francs CFA par jour (environ 1,5 euros) mais maintenant il me faut au moins 2.000 francs pour une journée, c’est trop, le salaire, lui, n’a pas bougé”, déplore Pamela Mayevosson, secrétaire administrative.
“Le gouvernement doit vite rétablir la situation sinon le pays risque de devenir un désert”, lâche-t-elle. “Aucune solution n’est prévue pour pallier cette situation”, enrage Franck Ngaïckom, président du syndicat des motos-taxis. Le gouvernement ne se rend pas compte que la population souffre. “Beaucoup de conducteurs ont arrêté de travailler”.
Parmi les plus pauvres
Selon M. Batta, le gouvernement “a pris contact avec d’autres fournisseurs pour mettre fin à cette crise”, sans donner plus de détails. Sollicité à plusieurs reprises par l’AFP sur la pénurie des carburants, le gouvernement n’a pas répondu. Mi-mars, le ministre de l’Energie et de l’Hydraulique, Arthur Bertrand Piri, avait voulu rassurer la population en annonçant l’arrivée de camions pour ravitailler la capitale. Mais depuis, la situation ne cesse de se dégrader.
“Trois camions-citernes viennent d’arriver pour alléger la situation, on a encore un stock d’hydrocarbures mais on limite les livraisons pour éviter de tomber dans la sécheresse totale”, affirme M. Batta. “Venez chez maman M16, c’est à 1.100 francs la bouteille”, hèle Marguerite Goungbon, 52 ans, du fond de sa chaise en plastique.
“Quand j’ai vu que la majorité des stations étaient fermées à cause de la crise je me suis mise à vendre l’essence”, explique cette ancienne marchande de beignets. “Mais quand la crise sera finie, j’arrêterai de vendre”, conclut-elle.
Pays toujours en guerre civile depuis 2013, même si elle a considérablement baissé d’intensité depuis quatre ans, la Centrafrique est totalement enclavée au cœur du continent africain, et un des pays les plus pauvres du monde malgré sa richesse en ressources naturelles, notamment l’or et le diamant, mais aussi avec un potentiel intéressant en pétrole.
La Banque mondiale estime que 71% des quelque 6 millions d’habitants vit au-dessous du seul international de pauvreté (moins de 2,15 euros par jour par personne). Près de la moitié souffre de l’insécurité alimentaire et dépend de l’aide humanitaire internationale, selon l’ONU.