Quel avenir pour Wagner en Afrique après la mort d’Evgueni Prigojine ? Les pays dans lesquels opère cette unité paramilitaire comme la Centrafrique et le Mali risquent-il de connaître un bouleversement? Le 15e sommet des Brics s’est tenu en Afrique du Sud. L’organisation a accepté l’adhésion de plusieurs pays dont l’Ethiopie et l’Egypte. Peut-elle concurrencer le G7 ? Quelles opportunités pour le continent africain? Enseignant et analyste en géopolitique et relations internationales, directeur exécutif d’InterGlobe Conseils (cabinet-conseil international spécialisé en expertise géopolitique et communication stratégique), Régis Hounkpè répond aux questions de Guinee360.com.
Guinee360.com : patron de Wagner, Evgueni Prigojine, est mort dans un crash d’avion en Russie. Quel avenir de son organisation en Afrique ?
Regis Hounkpè: Il y aura forcément au début une période de flottement, mais comme toute organisation de cette taille, aussi répréhensible soit-elle et ses desseins nuisibles en Afrique et dans le monde, Wagner saura s’adapter et se réorganiser avec une nouvelle direction. Manifestement, ce crash a décapité la chaine de commandement de Wagner, mais son état-major pourra compter sur des cadres de haut-niveau qui prendront le relais dans les pays où ses activités de mercenariat et de prédation des ressources stratégiques ont cours. Restons attentifs à l’attitude des dirigeants africains qui ont pactisé avec Wagner car c’est ce qui m’intéresse davantage. Avant d’être une multinationale du crime organisé et de la guerre sur commande, Wagner est une multinationale qui compte et gère ses bénéfices et intérêts à travers le monde. Donc, ils veilleront à assurer cette préservation financière tout en rassurant leurs partenaires sur le continent. Observons surtout la réaction des dirigeants africains qui ont lié leur sort politique et sécuritaire à ce consortium terroriste. Très personnellement, si Wagner en Afrique, ne peut connaître le destin de l’Hydre de Lerne, ce serpent monstrueux de la mythologie grecque qui possédait plusieurs têtes, dont chacune repoussait quand l’une était coupée. Je veux y croire, mais restons lucides, dans la réalité, ce sera plus complexe que ça, avec ou sans Evguéni Prigojine et Dmitri Outkine, le co-fondateur et stratège en chef de Wagner également fauché ce 24 août.
Au-delà des pouvoirs qui sont en lien avec Wagner, nous remarquons que l’organisation dispose d’un capital de sympathie parmi certains jeunes et sur les réseaux sociaux, surtout dans les pays qui ont connu récemment des coups d’État militaires. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Il n’existe pas d’explication rationnelle. Par goût de la provocation ou véritable adhésion à Wagner ? Une façon de rejeter un modèle existant par un autre dont la nocivité se révélera encore plus meurtrière quand on pense au Soudan ou à la Libye. En cela, je peux me permettre un point de vue qui reste subjectif : Wagner est bel et bien un modèle abouti d’entreprise de relations publiques et de communication stratégique qui a su évangéliser certains esprits à la nécessité de combattre la présence française légitimement décriée, grâce à un travail souterrain de désinformation et d’intoxication. Multinationale du mercenariat, évidemment, mais aussi, Wagner a tout de la société spécialisée en ” public relations” qui a su faire des adeptes sur son importance à libérer les jeunesses africaines du joug colonial français et des pouvoirs supposés ou réellement sous allégeance élyséenne.
Les pays où opère Wagner risquent-ils de subir les conséquences en cas de conflit dans la succession de Prigojine ?
Cela dépend du jeu des chaises musicales en interne au cœur de la machine Wagner ou si Moscou reprend en main l’organisation. Le Kremlin veillera à ce que l’organisation paramilitaire préserve ses territoires et ses intérêts en Afrique qui elle-même devra compter sur la loyauté ou la soumission des dirigeants. La question de la succession interviendra rapidement mais pour le moment, la Russie a besoin de son bras armé et informationnel dans ces pays pour continuer à consolider son ancrage géopolitique, surtout face aux rivaux français et états-unien. Pour cela, les mercenaires revenus d’Ukraine et du Belarus pour se concentrer sur l’Afrique, continueront d’opérer jusqu’à ce que le Kremlin oriente autrement leur sort, et incidemment, celui des pouvoirs africains qui ont destin lié avec Wagner.
La sécurité du président Touadera de la Centrafrique est assurée par Wagner. Et si l’organisation se retirait demain de son pays que risque-t-il? Pourra-t-il tenir face aux rebelles ?
Je ne suis pas spécialiste de la sécurité des présidents et des hautes personnalités, mais je ne vous cache pas mon incompréhension du cas centrafricain où le premier magistrat du pays est protégé par des mercenaires. Même si la sécurité du président est essentielle, qu’en est-il de celle du pays entier ? Les paramilitaires sécurisent-ils tout le pays ou exclusivement leurs coffres-forts miniers ?
Les Brics ont clôturé leur 15e sommet en Afrique du Sud. L’organisation a décidé de s’ouvrir à d’autres pays notamment l’Egypte et l’Ethiopie.Qu’est-ce que l’Afrique a à gagner en intégrant cette organisation ?
Les pays africains qui toquent à la porte des BRICS souhaitent y trouver de plus larges opportunités commerciales et d’investissement, un marché d’exportations plus équitable et un positionnement géopolitique plus en accord avec l’air du temps. Tout cela ferait sens si les pays en question et leur continent dans sa globalité travaillaient davantage à une autonomie économique et commerciale, à une stratégie géopolitique de puissance internationale et militaire. Il n’y a pas d’urgence et d’injonction à intégrer les BRICS dans la précipitation !
Certains estiment que les Brics c’est pour concurrencer le G7 et dédollariser le commerce international. Qu’en pensez-vous?
Au-delà de la concurrence du G7 et de la dénonciation de l’hégémonie du dollar américain et des institutions de Bretton Woods telles le Fonds Monétaire International et la Banque mondiale, les BRICS sont conçus pour répondre à un déficit de multilatéralisme et à une réorganisation des relations internationales dans le monde. Mais les puissances du bloc comme la Chine, l’Inde ou la Russie peuvent avoir des intérêts divergents et quelques fois, indissociables. Les BRICS, en voie de croissance, connaîtront leurs bouleversements et au bout de la solidité et de la crédibilité si l’organisation se montre véritablement équitable et multilatérale.