La République centrafricaine est l’une des rares nations africaines dans laquelle il est possible de communiquer sur toute l’étendue du territoire dans une autre langue que celle de l’ancienne puissance colonisatrice. Cette langue, c’est le Sango. Une langue, fabriquée de toute pièce. Un patchwork de celles des différentes ethnies peuplant cette contrée. Le Sango serait une “pidginisation “ des dialectes locaux, en grande partie du ngbandi (Yakoma) avec ses corollaires le Dendi, le Ngbugu et le Nzakara, et enrichi des autres langues telles que le Ngbaka, le Banziri, le Gbaya, et Banda etc..
Comme toute langue vivante qui se respecte, le Sango se permet d’emprunter chez les autres. Un enrichissement qui se poursuit avec l’utilisation de mots et d’expression du français, surtout en zone urbaine.
Cela a, par exemple, donné lieu à des expressions du genre : « Tout zo a te ye ». Une bien malheureuse expression glorifiant l’absence de morale et justifiant la corruption. Tous les moyens sont bons pour s’enrichir et tant pis pour l’Etat ! Tout le monde devrait selon cette “ axiome“ avoir accès à la mangeoire nationale.
Le “macro“ ou “maquereau“ désigne dans le langage populaire un escroc, un homme foncièrement malhonnête voire sournois. Une “masœur“ ou un “monpère“ ou “moupè“, une religieuse et un prêtre. Et “lancer“ quelqu’un signifierait l’aider, lui donner une espèce de coup de main financier. Mais cela signifierait également jouer les griots, chanter ses louanges.
Si pour votre malheur, vous êtes comme moi, myope ou sujet à tout autre type de déficience visuelle, et seriez pour cela obligé de porter des lunettes à verres correcteurs, on dira que vous portez “des degrés“. Certains parleront même de “vues claires“…
Le ou la “malbouche“ est, quant à lui, quelqu’un tenant des propos insolents, une personne qui à la médisance facile ou qui injurie comme d’autres disent bonjour.
C’est ainsi que le verbe « merder » est, également, l’un des plus utilisés. Il n’a aucune connotation péjorative ou vulgaire en Sango populaire. Il signifie tout simplement : » embêter », « enquiquiner » « déranger quelqu’un » etc. C’est un verbe utilisé par toutes les couches de la société et par toutes les générations. Même les plus petits.
C’est bel et bien à cela que l’on reconnait une langue vivante. Loin de moi l’idée de vous donner un cours de linguistique. Je ne suis pas, je le reconnais la personne la plus habilitée à le faire, n’en n’ayant en effet pas non plus l’habileté.
Si le Sango est avec le français une des deux langues officielles du pays, il est moins courant de voir des expatriés, des “wandê“, caucasiens dans la majorité des cas, faire l’effort d’apprendre et de converser dans cette langue. Il en existe bien sûr ! Surtout parmi les missionnaires et autres membres du clergé. L’intégration linguistique est plus répandue chez les étrangers d’origine africaine.
Petite parenthèse en passant, il est tout de même particulier de voir que ceux qui font le moins l’effort de “s’intégrer“ sont ceux, justement, qui l’exigent à grand cris quand on va chez eux ! ils vous diront, comme me l’avais “sorti“ un “diplomate européen“, qu’il n’y a rien de bon dans la culture africaine ! Et ceci, en présence d’une diplomate senior d’un de nos principaux partenaires.
Rassurez-vous que je ne l’ai pas loupé !! Il a dû bon gré mal gré faire amende honorable en marmonnant une sorte de mea culpa. On savait tous que le cœur n’y était pas. Je ne sais même pas s’il a compris la subtile leçon de morale que lui a fait sa “collègue“ sur les cultures et les traditions… De toutes les façons, à l’impossible nul n’est tenu. Tel n’est toutefois pas le sujet dont il est question ici!
Je suis passé, un soir, en rentrant du bureau chez une ancienne collaboratrice pour lui remettre un courrier qui lui était destiné. Elle me dira au cours de la conversation : » justement ! Une amie m’a raconté ce qui lui est arrivé récemment… »
L’amie en question, est une expatriée qui vit ici depuis quelque temps déjà et qui s’étant insérée du mieux qu’elle peut a fini par apprendre le Sango. Une langue dans laquelle elle arrive à avoir un semblant de conversation avec son personnel de maison. Du moins, autant que faire se peut.
Voilà qu’un jour, alors qu’elle était assise sous sa véranda, son jardinier vient la voir : « Madame, mbi ke merder ala, mbi yé… » Traduction : « Excusez-moi madame de vous déranger mais j’ai besoin de… » Et il cita l’outil dont il avait besoin pour son travail. Sa “madame“, comprenez sa patronne, se leva donc et alla lui chercher l’outil en question.
Le jardinier reviendra à la charge : « Madame pardon so mbi merder ala so… Mbi besoin… » c’est à dire : « Excusez-moi madame, je suis désolé de vous déranger à nouveau mais j’ai besoin de… ». Et sa patronne de se lever à nouveau pour aller lui chercher ce dont il avait besoin.
La troisième fois, notre ami décidera, vanité humaine oblige, de parler en français. Si sa patronne a fait l’effort d’apprendre sa langue maternelle, pourquoi ne lui prouverait-il pas qu’il peut lui rendre la politesse et converser avec elle en français ?
Voici notre ami qui dit donc : « Madame je t’emmerde… » Je vous laisse imaginer la suite…
La “madame“ ayant compris qu’il y a eu un souci de traduction a éclaté de rires. Une véritable crise de fous rires qui n’en finissait plus !
Heureusement pour notre jardinier polyglotte qu’il avait une patronne compréhensive.