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CPI : la controverse sur les « intermédiaires » resurgit dans le procès Yekatom

Publié le vendredi 12 janvier 2024  |  Radio Ndeke Luka
L`ancien
© Reuters par Piroschka van de Wouw/Pool
L`ancien chef de guerre centrafricain, Alfred Yekatom Rombhot, lors de sa première comparution devant la CPI, à La Haye, le 23 novembre 2018.
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La défense d’Alfred Yekatom a entamé la présentation de sa preuve début décembre à La Haye, avec de premiers témoins et une charge lourde contre le procureur de la Cour pénale internationale, accusé d’avoir une nouvelle fois eu recours à des intermédiaires et fermé les yeux sur un acte de naissance falsifié. Le procès doit reprendre le 15 janvier.

« Il a tenu parole, il a dit ‘maintenant, c’est le moment de ne pas avoir de conflit entre nous mais juste de se respecter les uns les autres’ ». Le premier témoin de la défense dans l’affaire Alfred Yekatom rapporte ainsi des propos tenus par l’accusé dans la préfecture de la Lobaye, en République centrafricaine (RCA), au moment des faits jugés devant la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye.

En 2014, Yekatom était caporal-chef de l’armée centrafricaine (FACA). Dans son témoignage du 11 décembre 2023, Mgr Rino [le nom complet n’a pas été divulgué pour des raisons de sécurité] déclare que tout le monde dans la ville de Mbaiki, où il dirigeait le diocèse, s’attendait à ce qu’il vienne « se venger » des musulmans après la prise de pouvoir sanglante de la Seleka, une coalition ethnique religieuse majoritairement musulmane qui a gouverné la RCA entre mars 2013 et janvier 2014. Mais l’évêque italien raconte au tribunal que Yekatom est venu et a « parlé en bien de l’ordre qu’il voulait établir » et d’une « bonne situation de sécurité des deux côtés », c’est-à-dire pour la population musulmane et non musulmane.

Yekatom est accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pour avoir organisé et supervisé les atrocités commises par un groupe d’environ 3 000 combattants opérant au sein des Anti-Balaka, un groupe d’autodéfense qui s’opposait à la Seleka. Les crimes auraient été commis entre le 5 décembre 2013 et août 2014, dans la capitale Bangui et dans la région de la Lobaye. Ils comprennent des meurtres, des déportations, des attaques intentionnelles contre la population civile et le recrutement d’enfants soldats. L’accusation affirme que Yekatom faisait partie d’un plan commun visant la population musulmane, avec son co-accusé Patrice-Édouard Ngaïssona, qui serait le plus haut dirigeant de la milice Anti-balaka. Le procès s’est ouvert en février 2021 et les deux hommes ont plaidé non coupable. Ngaïssona a déjà présenté sa défense.

« Yekatom a essayé de ramener la paix et la sécurité »

Mylène Dimitri, l’avocate de Yekatom, a annoncé un total de 17 témoins. « L’objectif de Yekatom était de chasser la Seleka et les mercenaires, d’essayer de ramener la paix et la sécurité pour les civils », déclare-t-elle dans son exposé introductif, le 28 novembre. « Il ne visait pas la population civile musulmane » et « il n’y avait pas de plan commun au sein du groupe de M. Yekatom », ajoute-t-elle. Le tableau que Dimitri brosse devant le tribunal est celui d’un « chaos », où « la haine de la population civile n’a cessé de croître et a divisé les communautés ». Et, comme l’a décrit plus tôt l’ancien Premier ministre centrafricain Nicolas Tiangaye, « le pays se trouvait dans une situation incontrôlable ».

Dans cette « situation de crise », poursuit Dimitri, Yekatom « n’avait pas le contrôle sur des gens incapables de maîtriser leur colère et qui attaquaient les musulmans ». Les témoins de la défense témoigneront de la manière dont il a « essayé de protéger les musulmans », annonce-t-elle. Dimitri reconnaît les grandes souffrances du peuple centrafricain, « les chrétiens, les animistes, les musulmans », mais pour elle, la vision présentée par le procureur « membres des anti-balaka contre musulmans, Seleka contre chrétiens » est très « simpliste » et ne tient pas compte des « preuves à décharge ».

Yekatom consulte son ordinateur et prend des notes, tandis que l’évêque Rino parle d’une « réunion à Saint Jeanne-d’Arc », à Mbaiki, lorsque la Seleka avait quitté les lieux après un an d’occupation. L’évêque a organisé cette réunion pour « créer un dialogue et essayer de trouver des solutions pour que les gens puissent circuler librement et vivre en paix » après que les gens se soient réfugiés chez eux par crainte de la Seleka, raconte-t-il. Contrairement à ce que tout le monde attendait, devant les chefs de communautés et les autorités réunis à côté de l’église, Yekatom parle d’égalité de traitement entre toutes les communautés et du « respect » et de « l’ordre » qu’il souhaite instaurer. « Je lui ai dit : tu as très bien parlé ici, mais maintenant tu dois le répéter devant les gens à la mairie », se souvient l’évêque. Et Yekatom est allé diffuser le même message à la foule rassemblée à cet endroit. « Le fait qu’ils aient su qu’ils avaient un chef comme Rambo [surnom populaire de Yekatom] », témoigne Rino, a fait que la zone de la Lobaye « a subi moins de dégâts qu’ailleurs ».

Les intermédiaires du procureur rejaillissent

Dans la deuxième partie de son exposé introductif, afin de mettre à mal la théorie principale de l’accusation, Me Dimitri met l’accent sur les « faux témoignages » qui auraient été fournis par « un intermédiaire de l’accusation » et d’autres témoins. Cette accusation s’inscrit à la suite de la récente décision du bureau du procureur d’abandonner les poursuites contre Maxime Mokom, un homme politique centrafricain. Yekatom et Mokom étaient « tous deux apparemment liés par le soi-disant plan stratégique commun de l’accusation », déclare Dimitri, affirmant que les allégations selon lesquelles Yekatom « a pris des armes à Maxime Mokom » se sont donc « effondrées ».

Dimitri pointe du doigt « l’intermédiaire 2580″ qui, selon elle, aurait falsifié un certificat de baptême concernant le « témoin 2475 ». Elle décrit ce témoin protégé comme le « témoin star de l’accusation, [un] enfant soldat présumé », bien qu’il ait « fabriqué des preuves et menti sous serment ». Elle indique que son équipe a vérifié les registres paroissiaux pour établir la falsification de la date de naissance – modifiée de 1994 à 1999. Pour elle, d’autres organes de la CPI assistant les témoins se sont rendus complices de ce mensonge, qui a « propagé le virus ».

« L’accusation n’a cessé de tourner autour du pot, échouant à vérifier de manière significative l’affirmation centrale de 2475, à savoir qu’il a été un enfant soldat », soutient Me Dimitri.

Sans surprise, l’avocate fait référence au premier procès de la CPI, celui du chef rebelle congolais Thomas Lubanga, accusé d’avoir enrôlé des enfants soldats – l’un des chefs d’accusation retenus contre Yekatom. Ce procès avait été marqué par des intermédiaires controversés, rappelle Catherine Mabille, l’avocate de Lubanga, dans un entretien à Justice Info. Le premier témoin de l’accusation dans ce procès, un ancien enfant soldat présumé, avait brusquement changé sa version des faits au cours de sa déposition, déclarant qu’il avait été coaché sur ce qu’il devait dire à la cour, par l’un des intermédiaires du bureau du procureur. Malgré la demande des juges au procureur d’inculper les personnes responsables d’avoir interféré avec le témoignage, la procureure de l’époque, Fatou Bensouda, ne l’avait pas fait parce que – comme elle l’a écrit – cela ne changerait rien au verdict de culpabilité contre Lubanga parce qu’il n’était pas basé sur ce faux témoignage. Cette absence de sanction, dit Mabille, est « la raison pour laquelle je ne suis pas surprise » d’entendre que le problème se répète.

« Coincé entre le bon, la brute et le truand »

La question des intermédiaires a également joué un rôle dans l’échec des poursuites engagées contre de hauts responsables politiques kenyans. Michael Karnavas, l’avocat de feu l’avocat kenyan Paul Gicheru, une affaire dans laquelle la question des intermédiaires aurait été centrale, souligne que lorsque l’actuel procureur de la CPI Karim Khan était l’avocat de William Ruto, alors vice-président du Kenya, il a « fait des bonds au tribunal » et a même « demandé un enquêteur indépendant » sur la subornation de témoins par des intermédiaires. L’accusation avait engagé des poursuites autour de l’effondrement du dossier kenyan. L’une d’entre elles, toujours en cours, concerne Walter Barasa, un intermédiaire de l’accusation et journaliste, qui aurait proposé de l’argent à des témoins de l’accusation pour qu’ils retirent leur témoignage. En 2014, un témoin de la défense du client de Khan avait été retrouvé mort. L’accusation l’avait désigné comme intermédiaire dans un système présumé de corruption de témoins.

Alors que la question refait surface dans le procès Yekatom, Karnavas estime que la « diligence raisonnable » ne semble pas avoir été respectée. « Je pense qu’il s’agit en partie d’un aveuglement volontaire. Si c’est la musique qu’ils veulent entendre, ils la suivent. » Il souligne que le bureau du procureur était auparavant divisé en équipe d’enquête et équipe des poursuites, de sorte qu’au moment du procès, les substituts « se retrouvent entre le bon, la brute et le truand ». C’est pourquoi, dit-il, il appartient à l’avocat général de revérifier et de reconnaître que « si quelque chose est trop beau pour être vrai, c’est que ce n’est pas vrai ». Bien sûr, selon Karnava, cela soulève une question : comment la défense peut-elle en savoir plus que l’accusation ? « Nous naviguons dans un canot à rames, ils ont une armada », en termes de ressources, dit-il.

Le traumatisme des acquittements passés

Malgré l’histoire difficile du recours aux intermédiaires par l’accusation, « ils ont recommencé », affirme Dimitri, qui déclare à la chambre de première instance que le bureau du procureur a délégué ses responsabilités d’enquête au témoin 2580 « sans supervision significative ». « C’est tellement scandaleux », dit-elle, que la défense va « déposer une requête en exclusion de preuves ». Contacté par Justice Info, le bureau du procureur répond par écrit que « le procureur a beaucoup insisté sur la nécessité pour le bureau d’appliquer effectivement l’article 54 du Statut de Rome qui exige une collecte des preuves à charge et à décharge de manière égale ».

« Cette cour était un espoir immense pour les victimes des graves crimes commis en République centrafricaine. Ce que nous redoutons, c’est qu’il n’y ait qu’une succession d’acquittements au niveau de la CPI », écrit Evrard Bondadé, secrétaire général de l’Observatoire centrafricain des droits de l’homme, une ONG, au correspondant de Justice Info en RCA. Bondadé fait référence à l’acquittement en 2021 de Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président du Congo poursuivi pour des crimes commis en RCA, et à l’abandon récent des charges dans l’affaire Mokom. « Ce qui fait que les victimes ne font pas assez confiance à la cour pénale internationale. Elles sont restées sur leur soif. »
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