Le conflit qui déchire la Centrafrique, avec ses violences dites “interreligieuses” car opposant des groupes dont les identités visibles sont confessionnelles – chrétiens contre musulmans -, puise ses raisons profondes dans des manipulations politiques et des déséquilibres socio-économiques.
“Les ennemis de la paix veulent faire croire à l’opinion que le conflit est un conflit interreligieux, c’est totalement faux. Ce ne sont pas de vrais chrétiens qui détruisent les mosquées, ni de vrais musulmans qui s’attaquent aux églises. Ce sont des individus à la solde de ces ennemis de la paix”, déclare à l’AFP le “général” Abdoulaye Hissène, ex-chef rebelle de la Séléka et actuel coordonnateur politique de ce mouvement, devenu conseiller à la présidence centrafricaine.
Le président de l’Alliance des églises évangéliques, Nicolas Guérékoyamé Gangou, dénonce également cette manipulation politique: “Avant que le conflit ne s’enlise, nous, dignitaires religieux, avions vu venir le danger à travers des propos incendiaires, va-t-en-guerre, des politiciens. Ce sont eux qui instrumentalisent ce conflit pour lui donner un caractère interreligieux”.
“Les chrétiens et musulmans ont toujours vécu ensemble. On a manipulé des jeunes pour tuer parce qu’on a perdu le pouvoir, parce qu’on veut le récupérer”, accuse-t-il.
Depuis décembre 2013, l’ex-rébellion Séléka affronte les milices anti-balaka.
La Séléka compte des Centrafricains du Nord et de l’Est, des Soudanais et des Tchadiens, majoritairement musulmans. Les anti-balaka se composent de Mbaya (ethnie de l’ex-président François Bozizé, renversé par la Séléka en mars 2013) du Centre et du Sud, au christianisme fortement imprégné d’animisme. Une tradition que partagent les Séléka, souvent porteurs d’amulettes et de gris-gris.
- Pillage systématique -
Mais le départ de Bangui, en janvier, de la Séléka sous la contrainte des forces internationales a entraîné une traque implacable des musulmans par les anti-balaka, soutenus par des proches de Bozizé, et le pillage systématique de leurs biens par la population, une des plus miséreuses de la planète, selon l’Indice de développment humain (IDH) de l’ONU.
“C’est surtout la mauvaise gouvernance, le non-respect du jeu démocratique, les détournements de fonds, les violations des droits humains qui nous ont conduits à cette crise grave”, affirme un ancien ministre de Bozizé devenu opposant, Joseph Bendounga.
Un autre aspect de ce conflit aux composantes uniques en Afrique, qui n’a rien à voir avec la montée du jihadisme frappant de l’est à l’ouest du continent, est l’interventionnisme du Tchad voisin.
“Pour la population locale, un musulmam est un Tchadien”, affirme Roland Marchal, chercheur français spécialiste de la région: “Et le Tchad est un encombrant voisin“.
Le Tchad avait favorisé la prise du pouvoir de Bozizé en 2003, avec l’aval de Paris et de la région, qui voulaient se débarrasser d’Ange-Félix Patassé. Il a ensuite activement soutenu la rébellion Séléka pour finalement la renverser, 10 ans après. Tout en intégrant la force africaine Misca pour… ramener la paix.
“La population ne s’est pas réjouie du départ des commerçants sénégélais, maliens, mais des Tchadiens, oui“, poursuit Roland Marchal.
Il souligne que les “chemins de migration des Tchadiens et Soudanais passent par la RCA” (République centrafricaine), des voies commerciales empruntées jadis par les esclavagistes venus rafler leur butin humain.
- “Jalousie sociale” -
Les commerçants musulmans, installés depuis plusieurs générations, réussissent souvent mieux que les autres. Ils tiennent les transports de ce pays enclavé, les villes minières du diamant. Leur réussite est visible au PK-5, centre commercial et dernière enclave musulmane de Bangui: les grandes boutiques sont musulmanes, tandis que les petites paysannes viennent vendre en bord de route manioc et patates douces.
Ces disparités socio-économiques entre commerçants et paysans – que l’on trouve ailleurs en Afrique, avec les Libanais dans l’Ouest, les Indiens dans l’Est – suscitent une forte envie de récupération du bien des plus riches quand l’occasion du pillage se présente, quand une société, sans loi ni police, se disloque.
Pour le chercheur, cette “jalousie sociale” est d’autant plus forte qu’elle est liée à la culture locale, qui “estime que la réussite n’est pas naturelle, mais liée à la sorcellerie, à l’invisible“.
Selon lui, il s’agit d’un conflit “beaucoup plus radical qu’ailleurs. On détruit la sociabilité, le vivre ensemble” dans un pays où, pourtant, beaucoup de familles sont mixtes